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mercredi 29 mai 2013

LM beaucoup ce que fait Jeanne Ashbé

Jeanne Ashbé, l'auteure d'albums pour enfants principalement destinés aux tout-petits, évoquera les univers artistiques qui l'inspirent le 13 juin à Bruxelles.
C'est un jeudi.
Tous ses livres sont publiés chez Pastel, branche belge de L'école des loisirs, et disponibles dans les bonnes bibliothèques.




dimanche 26 mai 2013

LB nit Thalie Natkiel

Thalie est libraire chez Tropismes Jeunesse, à Bruxelles.
Elle lui a permis de reprendre son texte sur André François (1915-2005), paru sur le blog de la librairie.
Pour mieux connaître celui qui dessina entre autres le célèbre papillon logo de L'école des loisirs.
Voici son texte.











André François, "l'épreuve du feu" 


André Farkas naît en 1915 à Timisoara. Après des études aux beaux-arts de Budapest, il quitte la Hongrie pour Paris, ville aimant les artistes. Il commence par travailler auprès de Cassandre, grand affichiste français d’origine ukrainienne, influencé par l’école du Bauhaus. Cassandre s’intéressait beaucoup à la typographie, il créa notamment les polices Bifur et Acier. C’est aussi lui qui créera le logotype d’Yves Saint Laurent. André Farkas apprend beaucoup dans cet atelier, c’est vraiment là qu’il découvre la communication visuelle qu’il pratiquera pendant plus de 60 ans. En 1939, il est naturalisé français et prend "François" comme nom d’artiste. Pendant la guerre il collabore à différents journaux satiriques.  C’est en 1947, qu’il commence à travailler pour "Punch", un journal satirique anglais à la longévité impressionnante, puisqu’il a été publié de 1841 à 2002. Il y fait du dessin d’humour. Une compilation de ses dessins paraît aux USA dans les années 50, sous le titre "The tattoed sailor, cartoons from France". L’élément Made in France semble avoir son importance, même si ces dessins ont été réalisés pour un hebdomadaire anglais, la touche française fascine les américains. Et André François a la cote aux USA. Il sera un important collaborateur du "New Yorker", comme un certain William Steig. Il réalisera de nombreuses couvertures, essentiellement entre 1960 et 1990 (trente ans de présence dans un magazine aussi prestigieux, c’est pas mal). Son talent de faiseur d’images est apprécié aussi en France, puisqu’en 1952 il publie un album pour enfants avec Jacques Prévert :"Lettres des îles Baladar". Ce livre est un pamphlet anticolonialiste réalisé à quatre mains par les deux compères. Pendant la genèse du projet, les deux hommes se voyaient deux fois par semaine à Paris. Prévert inventait un bout d’histoire qu’il soumettait à André François, qui imaginait alors quelques images, de là Prévert écrivait un texte définitif. Un véritable échange s’opère entre les deux artistes, aux jeux visuels d’André François répondent les jeux de mots de Prévert.


L’histoire raconte comment Baladar, une île heureuse est soudain envahie par le Grand Continent, qui compte bien profiter des ressources de l’île, et surtout de son or ! Le récit fait bien sur allusion aux dérives du colonialisme sur un ton apparemment léger, mais rien n’y et épargné. Il évoque l’exploitation des indigènes, le vol des ressources naturelles, la destruction de l’environnement et les répressions parfois sanglantes. Ainsi l’actualité politique se glisse dans les pages de l’album; rappelons qu’en 1952, la France est en pleine guerre d’Indochine, et l’insurrection malgache de 1947 n’est pas si loin. A une époque où les livres pour enfants étaient plutôt complaisants par rapport au colonialisme, et du genre à encourager les clichés sur les populations colonisées (cf : "Tintin au Congo", ou "Babar en voyage"), Prévert et François choisissent un singe comme héros. "Quatre mains à l’ouvrage", c’est le nom de leur personnage (en référence à leur collaboration) est un singe balayeur de rue immigré..Un beau pied de nez aux clichés racistes qui comparent les noirs à des primates ! Les dessins d’André François ont un côté vraiment très lâché; en les voyant, je pense toujours aux dessins d’enfants. Il y a un côté assez plat, il fait fi des perspectives. Les corps sont souvent déformés et désarticulés, les décors réduits à leur plus simple expression. Et puis, il a un sens inné de la composition, ce qui l’a aidé dans un de ses nombreux métiers : la publicité.


Déjà mis sur les rails par Cassandre, c’est Robert Delpire qui va lui confier les plus grandes campagnes publicitaires de sa carrière. Robert Delpire est un grand éditeur et un sacré dénicheur de talents. Il a révélé au grand public des photographes tels que Brassaï, Cartier-Bresson ou Lartigue. Il a publié en France le livre "Les américains" de Robert Franck. Il a créé la collection "Photopoche" avec l’envie de démocratiser l’accès aux livres de photo. Il y publie aussi André François et Saul Steinberg, dans une sous-collection dédiée aux illustrateurs. Il édite plusieurs albums d’André François dont les fameuses "Larmes de crocodile".Lui et sa femme, la photographe Sarah Moon, sont de grands amis de l’artiste. C’est avec lui qu’André François développe une campagne publicitaire pour Citroën. On retient surtout cette très belle image pour les 2CV, qui lui vaudra plusieurs récompenses internationales. On y reconnaît son goût pour les associations. Ses affiches publicitaires témoignent aussi d’une certaine liberté qui était donnée aux artistes à l’époque.  En 1966, André François réalise une campagne pour un laboratoire pharmaceutique. 45 ans plus tard, ces images deviennent un livre sous l’impulsion de Robert Delpire. Ce sont "Les rhumes". Ce livre est une sorte de bestiaire des différentes espèces de rhumes, puisque le rhume serait un petit animal, qui, contrairement au mammouth ou au chienoptère, aurait survécu jusqu’à aujourd’hui, mais pourquoi ? C’est ce qu’André François tente de nous expliquer. "Un rhume s’attrape facilement. Mais quand on a le choix, on préfère ne pas en attraper. C’est pourquoi, il y a toujours énormément de rhumes." Ce petit livre à l’humour décalé est parsemé de différents rhumes (rhume des foins, de cerveau, gros rhume, rhume de rien du tout), qui prennent vie sous le pinceau de l’artiste. Il les dessine directement à l’encre, ce qui leur donne un contour un peu flou.

André François était aussi peintre et sculpteur; après un passage en Bretagne, il commence à sculpter avec du bois flotté et toutes sortes de matériaux de récupération. Il expérimente toutes les techniques, il travaille de manière complètement décomplexée, il touche à tout, il essaie, il s’amuse. Son oeuvre est multiple, elle revêt différentes formes.


André François n’a jamais cessé de travailler, sauf entre le 20 décembre 2002 et le 20 mars 2003. La nuit du 19 décembre, son atelier est ravagé par un incendie. Toutes ses oeuvres partent en fumée. André François accumulait tout, il ne vendait rien, ses originaux, ses peintures, ses sculptures, sa correspondance étaient empilés dans l’atelier au fond de son jardin. Il ne reste rien ou presque après la terrible épreuve du feu. L’artiste est en état de choc et doit être hospitalisé. Il rentre chez lui, et avec l’aide de sa famille, il tente de sauver les quelques dessins encore ensevelis sous les décombres. Trois mois après l’incendie, il se remet au travail avec une rage créatrice peu commune pour un homme de 88 ans. En mars 2004, une exposition lui est consacrée au Centre Pompidou, il y présente 60 nouvelles oeuvres toutes réalisées après l’incendie!


André François s’éteint en avril 2005. Il laisse derrière lui une oeuvre incroyablement riche et diverse. Quelques mois après sa mort, un hommage lui est rendu sous la forme d’une exposition rassemblant plus de 45 illustrateurs souhaitant témoigner de leur admiration au maître (on peut citer Quentin Blake, Beatrice Alemagna, Tomi Ungerer, Philippe Dumas, Claude Ponti).
Heureusement, les livres subsistent, "Les larmes de crocodile" est toujours édité, ainsi que "Les rhumes", chez Delpire tous les deux. Le "Petit Brown" a été récemment traduit en français par les éditions Memo. "Les lettres des îles Baladar" avec Prévert est disponible chez Gallimard.  Je vous recommande d’écouter l’interview de Robert Delpire et Sarah Moon enregistrée en 2004 dans laquelle ils parlent de leur ami et du choc terrible qu’il a subi après l’incendie de son atelier. Sarah Moon a aussi réalisé un film documentaire,"André François l’artiste".

vendredi 3 mai 2013

LB nit Gilles Paris

Gilles Paris, écrivain et attaché de presse français, qui lui permet de publier une très jolie nouvelle sicilienne qu'il a écrite pour le site Jimlepariser.

Chic, une fois de plus, son blog est réveillé et de quelle façon!

Le dernier livre paru de Gilles Paris est "Autobiographie d’une Courgette", version augmentée d'un roman précédent, né chez Plon en 2002, illustrée par Charles Berbérian (Flammarion, collection "Etonnantissimes!"). Il a aussi signé "Au pays des kangourous" (Don Quichotte, 2012) et "Papa et Maman sont morts" (Points/Seuil, 1991).
Un roman tous les dix ans, sauf le quatrième, à paraître bientôt.

 

 

Chambre 27, Panarea


Maman est morte quand je suis née. Comme je ne l’ai pas connue, je n’ai pas de chagrin. Je regarde parfois des photos : c’est une belle étrangère aux cheveux longs qui sourit à papa. Ses yeux sont aussi bleus que la mer, ici, à Panarea, en Sicile, où je vis avec papa qui n’a jamais voulu retourner en France. Maman est enterrée à Stromboli ; une tombe entre les hautes herbes qui cachent les fleurs que papa dépose chaque semaine. De belles roses jaunes qui respirent la mer au loin avant de se faner, laissant leurs pétales flotter dans l’eau croupie qui sent l’œuf pourri. Je tiens papa par la main et je ne ressens rien. Maman est sous terre et je n’ai du chagrin que pour les pétales de roses jaunes.
J’ai grandi trop vite sur cette île où personne ne fait vraiment attention à moi. À la réception de l’hôtel, je donne les clés et le courrier. Parfois je monte les télégrammes jusqu’aux chambres. Je n’ai pas le droit d’y entrer. Juste sonner, ou glisser le pli sous la porte. Seul Matheo m’aime bien, mais il est très vieux, et n’a plus l’âge de jouer ou de courir avec moi. Il m’offre des poupées que je cache sous mon matelas. Son uniforme est toujours impeccable, il parle plusieurs langues et tout le personnel de l’hôtel tremble quand il fait sa grosse voix. Papa vit dans sa chambre, une suite au dernier étage avec vue sur la mer où il ne se baigne jamais. Depuis que maman est morte, papa ne fait plus rien, à part boire du vin blanc et me grogner dessus. Car si maman est morte, c’est à cause de moi. Je l’ai deviné  toute seule. Si je n’étais pas venue au monde, papa et maman seraient repartis vivre en France et je n’aurais pas à donner les clés à des clients qui font autant attention à moi qu’à la poussière sous un meuble. Le mercredi, Mme Agostino m’apprend l’italien, l’histoire, les mathématiques et la géographie. Cette vieille bique a une voix aiguë, qui me fait penser à un ongle griffant le tableau. Je m’applique sur mes leçons pour ne pas entendre les grognements de papa qui m’a promis un vélo pour mes dix ans si je retiens tout. Mme Agostino n’a pas d’enfant et elle n’en veut pas. Elle dit que ça coûte trop cher. Et elle regarde ma chambre comme si je ne la méritais pas. Le soir, j’aime bien m’asseoir sur la terrasse et fixer le volcan. Si j’avais une baguette magique, je le réveillerais et toute sa lave ferait disparaître notre île et moi avec. Des fois, je parle aux buses qui se posent sur la rambarde de ma terrasse. Je leur dis que je m’appelle Alice, je leur demande si elles veulent bien être mes amies. Je ne sais pas si les oiseaux ont des oreilles. Parfois la buse incline sa tête comme si elle était mon amie, mais elle s’envole aussitôt et moi, je ne sais pas voler.
Ce matin, j’ai donné deux nouvelles clés à Mme de Valère et à son fils, Solal. La 27 et 28, deux chambres communicantes. Solal s’est retourné avant de disparaître dans l’ascenseur et m’a souri. Je n’ai pas l’habitude. Matheo qui a des yeux dans sa poche m’a fait un clin d’œil et m’a dit : « Fais-t-en un ami ». En fin d’après-midi, Solal est descendu à la réception et m’a demandé si je voulais bien me promener avec lui. Matheo a dit oui avec la tête et je suis sortie avec Solal. À Panarea, il fait toujours beau. Les rues sont blanches et la chaleur écrasante. Personne ne s’y promène à part les chats. J’ai dit à Solal que nous étions des chats et cela n’a pas eu l’air de l’étonner. J’entendais nos pas sur le sol et la voix de Solal qui voulait tout connaître de moi.
- Maman est morte quand je suis née. Papa boit du vin blanc. À l’hôtel, je donne les clés et le courrier. La buse est mon amie. Matheo aussi. Voilà, tu sais tout.
- Moi, papa est mort avant ma naissance. Maman boit du champagne. Je vais à l’école Notre-Dame Saint-Roch à Paris. J’ai des tas d’amis, je t’apprendrai. Voilà, tu sais tout.
Je me suis arrêtée pour ne plus entendre nos pas. J’ai regardé Solal. Ses yeux étaient aussi bleus que ceux de maman en photo. Il portait un short et une chemise blanche trop grande pour lui, une chemise de papa. Ses cheveux étaient coupés en brosse, ses oreilles petites ; je m’étonnais qu’elles entendent quoi que ce soit.
- Comment tu sais que j’ai besoin d’amis ?
- Je l’ai su tout de suite à tes yeux. Ils sont tristes.
J’ai repris la marche. Solal a pris mes petits doigts dans les siens et je me suis laissé faire. C’était comme si je tenais le soleil par la main. Tant pis si ça me brûlait de partout. En bas de la rue, nous sommes arrivés à la plage ; nous ne pouvions aller plus loin. J’aurais aimé marcher sur l’eau avec Solal et disparaître avec lui de l’autre côté de l’horizon. Mais Solal a fait demi-tour et nous sommes retournés à l’hôtel. Le soir, j’ai dîné seule dans ma chambre, et je suis allée embrasser papa avant de me coucher. Je l’ai trouvé allongé sur le canapé, sa bouche grande ouverte, en caleçon et tee-shirt, une bouteille de vin blanc à la main, serrée comme un doudou. J’ai refermé sa bouche et attrapé la bouteille que j’ai rangée à côté des autres. Puis j’ai déposé un baiser sur son front et j’ai dit : « Bonne nuit papa ». Je me suis assise sur ma terrasse et j’ai sifflé mon amie la buse. Elle est apparue dans le noir et s’est agrippée à la rambarde. Je lui ai parlé de Solal et de son papa mort et la buse a incliné sa tête comme si elle comprenait tout. Le matin suivant, Louise de Valère, chambre 27, m’a demandé au téléphone de monter dans sa chambre. Je lui ai répondu que je n’avais pas le droit d’entrer dans les chambres des clients de l’hôtel. Matheo a fait sa grosse voix et j’ai ajouté qu’on venait de me donner l’autorisation de la rejoindre. Sa chambre était aussi grande que la mienne et donnait sur le volcan Stromboli. La maman de Solal a commandé un chocolat chaud que j’ai bu sans rien dire. Je sentais son regard sur moi, très doux, comme un papillon qui hésitait à se poser et voletait tout autour de moi.
- Solal m’a dit que tu étais une petite fille étonnante.
- Je n’ai rien d’étonnant, Madame. Ah si ! Peut-être : je parle aux buses.
- Comment ça, tu parles aux buses ?
- Ce sont mes amies, Madame.
- Appelle-moi Louise.
- Je vais essayer, Madame.
Une odeur douce montait en moi et me chatouillait les narines. Un parfum à la fois sucré et fleuri. Peut-être était-il enfermé dans un de ces flacons que j’apercevais sur la table basse. Ce pouvait être, aussi, une odeur de maman. Après tout, je n’en savais rien. La main de Mme de Valère s’est posée sur mon bras.
- Ton père accepterait-il que tu dînes avec nous ce soir ?
- Je ne sais pas, Madame. Je vais demander à Matheo.
- Pourquoi pas à ton père ?
- Parce qu’il ne sait pas me dire oui.
Et je me suis enfuie. J’ai marché longtemps sans savoir où j’allais. Je pensais à Matheo qui allait me disputer en rentrant. J’ai su en traversant toutes les ruelles de Panarea que mes pas me conduiraient au port. J’ai pris un bateau jusqu’à Stromboli et je suis allée voir maman. C’était la première fois que je m’y rendais seule. J’avais en tête le parfum obsédant de Mme de Valère, mais il s’effaçait dans ce paysage d’herbes hautes et d’eau croupie qui sentait l’œuf pourri. J’ai fermé les yeux sur quelque chose de beau, ses yeux bleus, comme ceux de Solal, et j’ai dit à voix haute : « Prends-moi dans tes bras ». Le vent s’est levé au même moment et m’a enveloppée dans son souffle tiède.
À l’hôtel, Matheo ne m’a pas disputée. Il m’a dit :
-Fais-toi belle. Mme de Valère t’attend à vingt heures. Ton père est d’accord.
Sur mon lit m’attendait un carton aussi grand que moi, avec un petit mot accroché par un bout de scotch. J’ai reconnu l’écriture de papa, toute de traviole, comme si elle buvait autant que lui. Le mot disait : « Pardonne-moi. Ton père. » Dans le carton, il y avait une robe de princesse trop belle pour moi. C’est à peine si j’osais la regarder. Quant à la toucher ! Mes mains étaient trop noires. J’ai disparu dans la salle de bain. J’ai frotté comme si je voulais disparaître sous l’eau et le savon. Une fois la robe sur moi, j’ai osé me regarder dans le miroir, derrière la porte. J’ai fait un bond en arrière. Et je me suis rendue chambre 27, pieds nus. Solal m’a ouvert la porte. J’ai vu dans ses yeux bleus que la robe lui plaisait, et mes pieds nus aussi. La table était dressée sur la terrasse, avec nappe blanche, porcelaine, argenteries et verres à pied. Je ne me souviens pas du contenu des assiettes, ni de tout ce qu’on s’est dit ce soir-là, Louise de Valère, Solal et moi. Il me semble que mon amie la buse s’est posée un instant sur la rambarde, puis elle s’est envolée, rassurée par mes nouveaux amis.
Je ferme les yeux un instant.
Le visage de Solal apparaît, avec ses yeux bleus comme ceux de maman. Il est parti avec sa mère si tôt le lendemain matin, que je ne les ai pas vus reprendre le bateau. Dans une lettre que Mme de Valère m’a laissée à la réception, j’ai appris qu’elle était la sœur de ma maman morte et que Solal, donc, était mon cousin. Et qu’à partir de maintenant, on se reverrait souvent et que papa, bien sûr, était d’accord. Le mercredi suivant, Mme Agostino n’est pas venue à l’hôtel. Papa m’a dit le jour même qu’elle ne reviendrait plus et que dorénavant ce serait lui qui me donnerait les cours. Je n’ai pas eu à m’appliquer car entendre papa me parler de mathématiques relevait de la magie. Me parler tout court. J’ai tout retenu d’un coup. Et pas une seule fois, je n’ai pensé au vélo, promis pour mes dix ans. Le soir, on a dîné dans un petit restaurant de Panarea. La première fois, avec papa. Je portais la robe de princesse. J’avais mis des ballerines pour qu’il ne grogne pas. Ma main dans la sienne, immense, avait disparu. On a commandé du poisson. Le serveur a proposé la carte des vins et papa a répondu : « Non, merci. Juste de l’eau, une grande bouteille d’eau plate, s’il-vous-plaît. » J’ai regardé au loin le volcan endormi. J’étais heureuse de ne pas avoir eu de baguette magique pour le réveiller.
La vie, enfin, peut commencer.
Peut-être même que papa acceptera de me parler de cette belle étrangère aux yeux bleus et alors, j’aurai du chagrin et ce ne sera plus pour les pétales de roses jaunes. Et je raconterai tout à mon amie la buse, en attendant le retour de Solal.