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mardi 17 septembre 2013

L100 vole à bord d'un avion oulipien piloté par Annocque et Galeron

Regardez bien: dans "oreille", il y a les quatre lettres du mot "œil". Et dans le bon ordre, je vous prie! C'est ce que l'OULIPO (Ouvroir de littérature potentielle) appelle un "avion" (invention de Michelle Grangaud). "Avion est une abrévation du mot abréviation", explique-t-elle dans "Une bibliothèque en avion" (La bibliothèque Oulipienne n° 115). "L'abrévation du mot abréviation sous la forme avion est un mot dans le mot."
On savait qu'un train peut en cacher un autre, voilà qu'on va savourer des mots cachés dans d'autres mots, avec toutes les collisions de sens ou les renforcements ou les évasions que cela peut supposer.

Cette contrainte oulipienne de l'avion régit l'album  "Dans mon oreille" (Motus, 72 p.). Un ouvrage né de la bonne entente d'un duo mixte: Philippe Annocque, qui écrit pour la première fois pour les enfants, et Henri Galeron, ce merveilleux vieux routier de la littérature de jeunesse.

L'album à l'italienne se base sur le rapport qui s'établit entre le texte, un distique où les lettres jouent à cache-cache entre elles, et l'image prolongeant ou faisant obliquer le texte toujours écrit en lettres capitales. C'est un peu difficile à expliquer mais paraît évident quand on ouvre le livre.  Pages de dessin et de texte se répondent, conversent, dialoguent.
Quelques exemples.


 




"L'ÂME DE MA MARIONNETTE?
C'EST MA MAIN."











"SUR LES AILES DU PAPILLON,
LA QUEUE DU PAON."


 




"DANS MON COQUILLAGE,
IL Y EN A MILLE."





 



"LE PRISONNIER, LA HAUTE FENÊTRE
ET LE SON DE LA FÊTE." 






Toutes ces petites phrases sont indépendantes les unes des autres, même si on peut en relier certaines. Elles touchent à tous les domaines, l'émotion, la rire, la poésie, le sens de la vie. Des trouvailles réjouissantes, oulipiennes, qui font sourire ou rire, qui font surtout reculer le champ du réel. Des tremplins pour l'imaginaire, dont les ressorts sont encore plus tendus par les merveilleuses images de Henri Galeron. On retrouve dans ses dessins à l'aquarelle et aux crayons de couleurs son goût pour l'humour et le non sense, son amour du détail le plus infime, sa palette de coloris lumineux.

Ecrire en effaçant

L'"avion" permet d'écrire en effaçant, s'amuse Philippe Annocque, de voir des mots qu'on ne voyait pas avant. L'écrivain a ainsi découvert qu'il avait un œil dans l'oreille mais vl'ignorait. Par contre, il tenait l'idée d'un livre pour tous les publics, son rêve. "Je vois venir une série de distiques, très simples, explique l'auteur sur son blog, qui me disent des choses que je n'avais pas vues. Ce ne seront plus des avions au sens strict du terme, peu importe. Il faut que ça me parle. Que me parlent les mots à l'intérieur des mots pour voir s'ils ont vraiment quelque chose à me dire. Je creuse un peu la question: j'ai l’impression que oui."

Dessiner au plus près du sujet

Henri Galeron dans son atelier.
Ecrire, c'est bien, publier, c'est mieux. Aux éditions Motus? Contactées par mail par Philippe Annocque, elles marquent leur accord. Et ses distiques sont confiés à Henri Galeron. Ce n'est pas une contrainte oulipienne qui va effrayer l'illustrateur des "Poèmes sans queue ni tête" du génial Edward Lear (traduits et adaptés par François David, Motus, 2004). Quelle réussite que cette association! Car bien sûr, Henri Galeron suit la ligne de la phrase mais à sa manière, en la rendant encore plus forte ou en lui ouvrant d'autres possibles.
Pour reprendre nos exemples: les maisons derrière l’œil et l'oreille, les personnages masculins et féminins qui prolongent les mains-marionnettes, l'absorption du papillon par le paon à moins que ce ne soit l'inverse, le coquillage qui invite chez lui non pas Vénus mais une mer et son paquebot, sans oublier cette formidable idée des yeux derrière les barreaux d'une prison.

Et on vous laisse imaginer le pommier qui donne des poires, l'arbitre qui confond sifflet et arbre, le ciel de plomb qui menace une maison illuminée. On retrouve avec plaisir les thèmes graphiques chers à Henri Galeron (en voir davantage sur son site personnel), les ponts qui s'envolent, les hommes en haut de forme, le peintre et sa toile, les contre-sens logiques comme dans la dernière double page où un homme en manteau qui a la tête dans un sens et les pieds dans l'autre porte une valise de forme humaine: "DANS MA VALISE, J'EMPORTE MA VIE."

"Dans mon oreille" est vraiment un album pour tous, enfants et grandes personnes. Il demande du travail à son lecteur mais le récompense d'une solide et très amusante séance de remue-méninges.

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