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samedi 30 novembre 2013

LM entendre François Roca évoquer l'opéra

Le deuxième Festival des illustrateurs qui s'est tenu à Moulins en septembre 2013 avait entre autres invité François Roca, dont on connaît les talents de peintre.

Une technique qu'il a bien entendue appliquée dans son nouvel album, et qu'il explique dans une séquence vidéo, filmée par l'Ecole Estienne pour le site Ricochet.

Ecoutons-le.




Le nouvel album que François Roca évoque est donc "Rose et l'automate de l'opéra" (texte de Fred Bernard, Albin Michel Jeunesse, 40 pages).

Encore un voyage pour ce vingtième livre du duo Fred Bernard-François Roca! Moins lointain que certains précédents puisqu'il se déroule à l'Opéra de Paris dont on visite les moindres recoins. Des escaliers aux toits, des vestiaires aux plateaux, mais sans fantôme...

On se promène dans les lieux mythiques en compagnie de deux guides privilégiés, la jeune danseuse Rose, aussi gracieuse et souple que volontaire, et un curieux automate, dénommé Hermès, que la demoiselle a trouvé démonté dans une malle du grenier. Elle n'a qu'une envie, lui rendre ses mouvements. C'est lui d'ailleurs qui se fait le narrateur de cet album plein d'aventure, de mystère et de charme. Un livre à la typographie originale, merveilleusement illustré, avec une très grande attention à la lumière pour qu'elle éclaire aussi les sentiments des différents personnages. Un récit peu conventionnel que celui de la rencontre de Rose et Hermès.


vendredi 29 novembre 2013

LM quand Sara parle de ses papiers déchirés

Le deuxième Festival des illustrateurs qui s'est tenu à Moulins en septembre 2013 avait entre autres invité Sara qui a, depuis toujours, choisi les papiers déchirés comme technique.

Une façon originale, sobre et terriblement efficace qu'elle explique dans une séquence vidéo, filmée par l'Ecole Estienne pour le site Ricochet.

Ecoutons-la.





L'album dont Sara parle ici est "A quai" (avec un DVD, Seuil Jeunesse,  2005). L'histoire d'un chien (thème récurrent chez elle) jaune (couleur qui rappelle un autre chien jaune), d'un marin et d'une mystérieuse femme en rouge qui se croisent une nuit, à travers un album, une lettre, un film. L'auteure-illustratrice présente leurs trois points de vue. Le DVD contient un film d’animation réalisé également en papier déchiré.


L'année 2013 est riche pour Sara: trois albums, deux créations et une réédition! La graphiste parisienne qui a commencé à publier chez Epigones en 1990 ("A travers la ville" et "Dans la gueule du loup") est aujourd'hui à la tête d'une bonne trentaine d'albums, chez divers éditeurs, la plupart sans texte. Parfois quand même, elle illustre un conte. Une seule fois, elle a écrit un texte, que Bruno Heitz a illustré. C'était le formidable "Ce type est un vautour" (Casterman, 2009).

"Eléphants" reparaît dans la collection "Encore une fois" (Ed. Thierry Magnier), petit format,  couverture souple, mini prix. "Ce petit livre est un très joli objet, très soigné", en dit-elle.
Pas un mot de texte dans cet élégant album qui fait trembler mais finit bien. Fidèle à sa technique des papiers déchirés, Sara raconte l'histoire toute simple d'un éléphanteau sauvé des loups par les aînés du troupeau. Les petits ont le droit de jouer et les grands celui de veiller. Au-delà du choc des couleurs, le brun pour les pachydermes, le rouge pour les loups, le gris pour l'ambiance de nuit, c'est la douceur de la famille que l'auteur célèbre.

"Le Roi-Grenouille ou Henri-le-Ferré", (Grimm, traduction d'Armel Guerne, Le Genévrier,
56 pages). Enfin, une version intégrale de ce conte des frères Grimm, le premier qui apparaît dans le premier tome des "Contes de l'enfance et du foyer" (1812). La cadette des filles du roi va devoir tenir l’imprudente promesse faite à une vilaine grenouille: pour avoir récupéré la boule d’or que la jeune princesse avait laissé tomber dans l’eau de la fontaine, celle-ci exige de partager sa vie…
A ce propos, Sara s'est  posé quelques questions. Elle y a bien sûr cherché des réponses visuelles: "Que faire d'une balle en or qui disparaît à la moitié du conte et dont on ne parle plus du tout? Qui est Henri-le-Ferré qui arrive soudain dans les dernières lignes du conte, alors qu'il est présent dans le titre? Le "ou" du titre est-il inclusif (ex.: la timidité ou la peur l'empêche de...), exclusif (ex.: fromage ou dessert) ou alternatif (ex.: le vin ou la boisson des dieux)? Pourquoi le père oblige-t-il sa fille, la cadette, a cette intimité avec l'horrible grenouille?"

"Un bon fermier" (texte de Su Dongpo, traduit du chinois par Chun-Liang Yeh, HongFei Cultures, 40 pages) est un texte vieux de mille ans sur lequel Sara a posé ses papiers découpés, après avoir découvert ce qu'est le tallage. Qui croirait qu'un champ où les semences viennent de lever portera mieux si on y lâche un troupeau qui va s'empiffrer des premières feuilles? C'est pourtant le cas, et c'est même ça, le tallage. Les feuilles que broutent les bêtes permettent aux racines de se développer pour faire naître de nouvelles tiges. De cet album, Sara dit simplement: "J’ai fait les illustrations d’un poème de Su Dongpo, poète chinois du XIe siècle."




jeudi 28 novembre 2013

LM écouter Lionel Koechlin parler

Le deuxième Festival des illustrateurs qui s'est tenu à Moulins en septembre 2013 avait entre autres invité Lionel Koechlin, reconnaissable de loin à ses personnages étirés, sa perspective déformée, sa palette de couleurs et ses aplats.

Un itinéraire sur lequel celui  qui aime être présenté comme un "dessinateur" s'explique dans une séquence vidéo, filmée par l'Ecole Estienne pour le site Ricochet.

Ecoutons-le.

 


L'album dont Lionel Koechlin parle est "Lecture pour toutous" (Gallimard Jeunesse/Giboulées).
On y retrouve avec plaisir le célèbre Totof qu'on a précédemment croisé vétérinaire, pompier, footballeur...
Cette fois, il est instituteur. C'est la rentrée mais sa classe est vide. Faute d'enfants, il décide d'apprendre à lire aux chiens! Derrière le chien Hercule se trouve bien entendu son maître.
De façon délicate et élégante, Lionel Koechlin aborde l'illettrisme.

mercredi 27 novembre 2013

LM que Brigitte Morel parle d'édition jeunesse

C'était à Moulins, dans l'Allier, en septembre dernier.

S'y tenait le deuxième Festival des Illustrateurs.

Plein d'artistes y étaient invités. Au milieu d'eux, l'éditrice Brigitte Morel, aujourd'hui responsable des Editions des Grandes Personnes.

Elle explique son parcours professionnel et sa vision de la littérature de jeunesse dans une séquence vidéo, filmée par l'Ecole Estienne pour le site Ricochet.

Ecoutons-la, aujourd'hui où s'ouvre le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, toujours appelé Salon de Montreuil.




mardi 26 novembre 2013

LA dore le "nioulouc" de Dior et Goetzinger


C'est marrant, ce matin à la radio, j'entendais
Régine Deforges défendre son très beau et très épais livre de mémoires, "L'enfant du 15 août" (Robert Laffont, 474 pages). Un ouvrage où celle qu'on dit sulfureuse, courageuse, se décrit sans détour et qu'elle conclut par les mots: "Oui, merci de ce cadeau inouï: la vie."

Cela m'a rappelé un débat que j'ai animé il y a quelques semaines avec la même Régine Deforges et la dessinatrice Annie Goetzinger ("La Demoiselle de la Légion d'honneur", Dargaud, 1980, Les Humanoïdes associés, 1990, "La voyageuse de la petite ceinture", avec Pierre Christin au scénario, Dargaud, 1985, Les Humanoïdes Associés, 1990) qui vient de publier l'excellente bande dessinée, un roman graphique biographique, dans une belle édition à dos toilé, "Jeune fille en Dior" (Dargaud, 128 pages).


Quelle existence que celle de Régine Deforges! Et elle n'est pas finie...
Elle est née le 15 août 1935, juste avant la guerre. La lectrice précoce et boulimique nous raconte tout de sa vie de petite fille, d'adolescente, de femme, d'amante, de mère, d'éditrice, de libraire, d'écrivaine, de brodeuse.. Ses mémoires sont à la fois touchantes et passionnantes.

On comprend très vite dans ce texte qui reprend des épisodes vécus déjà intervenus dans ses romans combien elle a toujours souffert, jusqu'à aujourd'hui, d'une blessure ancienne: son journal intime d'adolescente, où elle relate ses expériences homosexuelles, lui a été volé par un camarade de classe et ne lui  a été restitué qu'à la condition expresse qu'il soit détruit. "Le cahier volé", c'était cette histoire-là. Un drame dont Régine Deforges ne s'est jamais remise.

On la suit avec intérêt dans les divers lieux où elle a vécu, la campagne du Poitou, l'Afrique, Paris, d'autres coins de France... Elle relate ses deux maris et son compagnon, Jean-Jacques Pauvert, ses trois enfants, ses procès, ses luttes pour les libertés, dont celle d'éditer.

L'air de rien, elle nous repasse en toile de fond tout le film du siècle dernier en France. Tout ça rien qu'en une vie! Mais, derrière toutes ces péripéties, se dessinent des aspirations assez fleur bleue de cette rousse magnétique.



"Jeune fille en Dior". (c) Annie Goetzinger/Dargaud.
"Jeune fille en Dior" commence en février 1947. Paris se relève péniblement de la guerre et Christian Dior organise son premier défilé.

Les élégantes se pressent au 30 avenue Montaigne, curieuses, intriguées. A leurs côtés, la jeune Clara Romant, envoyée par le journal "Le jardin des modes" et qui ignore encore qu'elle sera l'héroïne du titre.

Comme toutes les femmes présentes, malgré sa mise modeste, elle sera parfumée de quelques gouttes de "Miss Dior", tout juste créé lui aussi. En montant dans la pièce du défilé, elle découvre de prestigieuses consœurs, déjà placées, venant du "Harper's Bazaar", de "Vogue", de "Elle", des personnalités du Tout-Paris. Et elle assiste à ce défilé prodigieux, qui a enthousiasmé l'ensemble du public. "It's quite a revolution, dear Christian!", déclare Carmel Snow ("Harper's Bazaar"). "Your dresses are wonderful, they have such a new look!" L'expression célèbre était lancée...

Annie Goetzinger a fait un énorme travail de documentation pour concevoir cette épatante biographie de Christian Dior. Elle nous présente la maison de couture et surtout, tous ceux qui l'animent, qu'ils soient importants ou non. "J’ai tenu à montrer que la mode est une création collective", dit-elle. "Au-delà de l’idée géniale d’un créateur, toute une équipe travaille dans l’ombre."

La dessinatrice nous emmène dans les coulisses, dresse un attachant portrait de cet homme voué à son art, mais attentif à ses proches, qu'a été Christian Dior, à travers le regarde de Clara Romant. Son roman graphique est extrêmement prenant, qu'on soit féru de mode ou pas. Surtout, on sent à toutes les pages, simples ou doubles, bousculant les règles strictes de la bande dessinée, l'immense plaisir qu'elle a pris à les concevoir, à les dessiner et à les mettre en couleurs.

Elle s'en explique ici.
http://www.youtube.com/watch?v=s0-xnDSOmBw&list=UURw2Zb9E6WTj8-LTUACCePA



"Jeune fille en Dior". (c) Annie Goetzinger/Dargaud.

lundi 25 novembre 2013

LD couvre "Le Grand Meaulnes" en grand format

De mon temps, on entrait souvent en littérature avec "Le Grand Meaulnes",  d'Alain-Fournier, "Le lion", de Joseph Kessel, "L'étranger" d'Albert Camus et/ou "Le vieil homme et la mer" d'Ernest Hemingway.
Des bouquins formidables, tapis rouges vers des tas d'autres lectures exaltantes, qu'on découvrait bien entendu en format de poche, date de parution et budget obligent.

Il m'a donc fallu attendre que "Le Grand Meaulnes" ait cent ans pour le voir en belle collection! Le livre était en effet sorti fin octobre 1913 chez Émile-Paul Frères; il sera réimprimé plus de dix fois cette même année et manquera de peu le prix Goncourt attribué le 3 décembre au onzième tour de scrutin. A noter encore que le texte d'Alain-Fournier avait été prépublié de juillet à novembre 1913 dans "La Nouvelle Revue Française".


"Le Grand Meaulnes", de Henri Alban Fournier, dit Alain-Fournier (Bleu autour, 272 pages, diffusion Harmonia Mundi), est une remarquable réédition, pensée à l'occasion du centenaire du livre. La couverture,  création de Claire Forgeot, reflète bien l'atmosphère du roman. La préface est signée Pierre Bergounioux et le livre est complété de photos et de éclairages inédits d'écrivains, d'historiens et de journalistes, une édition pilotée par Bernard Stéphan.

Ce qui est assez amusant, c'est que les Editions Bleu autour sont établies non loin d’Épineuil-le-Fleuriel (Cher) où se noue l’intrique du roman d’Alain-Fournier. Le premier, d'inspiration autobiographique, et le seul complet puisque l'auteur mourra l'année suivante, à 27 ans, sur le front des Hauts de Meuse. La Grande Guerre avait commencé...

Alain-Fournier.
Ce livre initiatique, tragique aussi, a marqué des générations de lecteurs, par sa quête d'ailleurs et d'absolu.

Qui ne se souvient des premières lignes écrites par Alain-Fournier:
"Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189...
Je continue à dire "chez nous", bien que la maison ne nous appartienne plus. Nous avons quitté le pays depuis bientôt quinze ans et nous n'y reviendrons certainement jamais.
Nous habitions les bâtiments du Cours supérieur de Sainte-Agathe. Mon père, que j'appelais M. Seurel, comme les autres élèves, y dirigeait à la fois le Cours supérieur, où l'on préparait le brevet d'instituteur, et le Cours moyen. Ma mère faisait la petite classe..."

Qui ne se rappelle des personnages: Augustin Meaulnes d'abord, 17 ans, orphelin de père, admiré par sa mère, en quête d’amour absolu et de perfection. François Seurel, le narrateur du roman, 15 ans, enfant unique, l’ami fidèle et constant du Grand Meaulnes. Yvonne de Galais, la belle jeune fille du Domaine des Sablonnières, rencontrée au bord de l’étang et au cours de la promenade en bateau, l’image de la pureté inaccessible et l’objet d’un désir impossible. Frantz de Galais, le frère de la précédente et son opposé complet. Le "Domaine mystérieux", où a eu lieu la "Fête étrange" et la "Rencontre " du héros avec Mademoiselle Yvonne de  Galais.

Qui n'a frémi devant cette merveilleuse histoire d'amour, pleuré à cause des forces contraires et vibré aux dernières lignes: "Et déjà je l'[Augustin Meaulnes] imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures".



Création originale à l'occasion du centenaire. (c) Claire Forgeot.

dimanche 24 novembre 2013

LC tonne toujours de la frontière linguistique

Qu'y a-t-il de plus facile à partager qu'un dessin sans texte?
Et pourtant, il existe un mur bien étanche en Belgique entre régions francophone et flamande. Dans un sens comme dans l'autre.
Résultat, je découvre seulement l'existence de l'illustrateur gantois Jan Van Der Veken, né en 1975, un adepte de la ligne claire créée par Hergé à laquelle il confère un style rétro futuriste.

Bien sûr, j'aurais pu examiner toutes les couvertures du "New Yorker" et je serais tombée sur celle qu'il a faite en janvier 2010.

Bien sûr, j'aurais pu prendre une par une les cartes postales éditées par Plaizier et j'aurais découvert les siennes.

Bon, j'ai pas fait tout ça, mais je sais où sont exposées une quinzaine de ses sérigraphies. Pour s'en faire une idée rapide, disons qu'elles rappellent les univers graphiques d'Ever Meulen et Joost Swarte, le dessinateur néerlandais qui inventa le terme de "ligne claire" en 1977 à l'occasion de l'exposition Tintin qui  s'est tenue à Rotterdam. C'est à la librairie Candide, place Brugmann, à Ixelles. Et l'accrochage est prévu au moins jusqu'au 31 décembre.

Au fil des tirages en noir et blanc ou en couleurs, on découvre un hommage à l'exposition universelle de Bruxelles en 1958 avec bien entendu l'Atomium mais aussi "Mon oncle" de Jacques Tati, sorti cette année-là, une belle séance de pétanque dans des tons céladon pâle, un clin d’œil aux amours impossibles en discothèque, boule tournante présente (l'illustration préférée de l'auteur), une intrigante scène de nuit, une curieuse séance de balançoire, des affiches pour une course cycliste et un concours de musique rock et pop...

Enfin, la première monographie de Jan Van Der Veken, "Fabrica grafica" (Die Gestalten Verlag, Berlin, 2013),  en anglais devrait être bientôt aussi disponible à la librairie Candide.

Amour impossible à la discothèque. (c) Jan Van Der Veken.




Le projet. (c) Jan Van Der Veken.

vendredi 22 novembre 2013

L5 terroge: une romance est-elle un ovni?

Avec son joli titre écrit comme à la main en grand et en rouge vif, "Romance" est le nouvel et formidable album du génial Blexbolex  (Albin Michel Jeunesse, 280 pages).
Tout juste paru, il est le troisième et dernier opus d'un triptyque consacré par l'auteur-illustrateur français à l'imagier.
Très intriguant avec sa reine à diadème et longue robe volantée en couverture; au dos, on trouve une sorcière, un chat botté... Un air de conte classique?

Vite, vite, ouvrons ce livre, parent des deux précédents,  "L'imagier des gens" et "Saisons" (2008 et 2009, même éditeur), un peu plus petit mais tout aussi épais. Entièrement imprimé en écriture cursive.
Tout de suite, un mode d'emploi nous attend. A lire.
 

Blexbolex,  Bernard Granger de son vrai nom, a partagé son récit en sept séquences, de plus en plus longues, puisque chaque nouvelle reprend les éléments de la précédente et lui en ajoute d'autres. Comme ces jeux de mémoire où il faut rallonger une phrase sans rien omettre des versions précédentes.

Chaque chapitre est introduit par un texte bref que développent trois, cinq, neuf, dix-sept,  trente-trois images, etc.
L'école, le chemin, la maison pour la première séquence d'images.
L'école, la rue, le chemin, la forêt et la maison pour la deuxième.
L'école, l'inconnu, la rue, le pont, le chemin, les brigands, la forêt, la sorcière et la maison pour la troisième.
Une véritable contrainte oulipienne puisque:
5 = 3 +2
9 = 5 + 4
17 = 9 + 8
33 = 17 + 16
etc.
Une "amplification" dit l'OuLiPo.

Chapeau pour réussir ce contrat. Chapeau surtout pour l'émerveillement que procurent les images fourmillant de détails, complétant à merveille un texte plein d'aventures en lien avec les contes. On peut contempler ces magnifiques sérigraphies séparément, les comparer à leur version précédente dans l'album, les savourer par rapport au récit, solidement construit.

Chacune d'elle est soulignée d'un seul mot, souvent à l'endroit, parfois à l'envers, ou encore en mode "secoué" ou transparent. Comme si un sortilège lui avait été lancé. Normal pour cette "Romance" qui ne cache pas son inspiration.

Que s'est-il passé? (c)  Blexbolex/Albin Michel.



Qui pourrait imaginer qu'autant de choses puissent se passer sur le chemin qui va de l'école à la maison? Et pourtant! D'inquiétants personnages font leur apparition, un inconnu, deux brigands, une sorcière au nez bien crochu, qui jette un sortilège de renversement général (cfr la maison ci-dessus)!


Chacun se débrouillera à sa façon devant cette magie maléfique, Blexbolex nous le détaille avec un charme infini et un sens du suspense maîtrisé.


La reine est bien entendue également concernée. De rebondissements mineurs en rebondissements majeurs, en parallèle à l'enlèvement royal, à la guerre qui est déclarée, c'est aussi la vie de notre société qui apparaît, le délit de sale gueule par exemple. Mais tous les éléments des contes sont là, du farfadet à l'oiseau messager en passant par le dragon, le trésor ou le souterrain... Ils pimentent un récit rocambolesque qui tient vachement bien la route et qu'on suit avec passion jusqu'au bout.

Voilà un "page-turner" dans le meilleur sens du terme. Tout s'enchaîne, dévie, revient dans cette épatant album, magique à tous points de vue.

"Romance" est-il pour autant un "livre ovni", comme l'ont décrété les Pépites du Salon du livre jeunesse de Montreuil? Bien sûr que non. C'est un album pour enfants signé Blexbolex, tourbillonnant, décoiffant, exceptionnel tout simplement.

Il est même complètement dans la ligne des deux qui l'ont précédé. L'auteur-illustrateur français, y poursuit tout simplement son travail sur l'imagier avec sa technique de prédilection, la sérigraphie.



L'imagier des gens
Blexbolex
Albin Michel Jeunesse
2008
Précieuse leçon d'humanité que cet imagier au superbe graphisme composé d'aplats colorés juxtaposés. Dans les doubles pages se suivent toute une série de gens, jamais désignés par leur appartenance ethnique, mais par leur statut ou leur activité. On peut les identifier chacun, deviner le fil qui les relie, réfléchir aux idées qu'ils font naître, penser à soi, aux autres, à la vie. Le livre a reçu le Prix 2008 du Plus beau livre du monde!




Trois doubles pages de "L'Imagier des gens". (c) Blexbolex/Albin Michel.



Saisons
Blexbolex
Albin Michel Jeunesse
2009
Illustrateur surdoué, Blexbolex poursuit son exploration de l'imagier. Chaque image, sur simple ou double page, est uniquement accompagnée d'une légende la désignant. Après avoir présenté successivement les quatre saisons dans le même paysage, il précise son approche par diverses caractéristiques. "Un bourgeon", "une hirondelle", "une graine", "une pousse", "une asperge", "une fraise", etc., voilà le printemps. Mais pas tout le printemps! Il reviendra au cours des trois autres cycles de saisons qui composent ce livre subtil et original, mariant regroupements thématiques et sauts dans le calendrier. Jouant parfois avec le principe du marabout-bout-de-ficelle. Les plus attentifs repéreront des similitudes entre décors, objets et personnages, mais ce n'est pas essentiel. Cet album au graphisme magnifique est idéal pour s'ouvrir à la Beauté.




Trois doubles pages de "Saisons". (c) Blexbolex/Albin Michel.


Qui est Blexbolex?
Né dans le nord de la France, à Douai, en 1966, Bernard Granger – il prendra le pseudonyme de Blexbolex en publiant –  file vers le sud à
17 ans, pour étudier. Tenté par la bande dessinée, il entre à l'école des Beaux-arts d'Angoulême, mais en section la peinture.

Très vite, l''école l'ennuie. Il part faire son service militaire à Berlin. "Une ville contrastée, dure", dit l'invité des XVIIes Rencontres de la bande dessinée et de l'illustration de Bastia."Une ville étonnante parce qu'elle était bien sûr coupée en deux par le mur, mais aussi partagée en quatre entre parties française, anglaise, américaine et russe."

Il revient à Angoulême, termine ses études, rencontre la sérigraphie. Elle deviendra sa voie. Actuellement, l'auteur-illustrateur vit à Leipzig mais  sait qu'il retournera à Berlin.

Ces allers-et-retours caractérisent aussi son travail, constamment partagé entre bande dessinée et album, entre image et texte, entre revues et livres. Même si Blexbolex a aujourd'hui défriché son terrain: "Pour moi, le dessin n'est pas un contour avec du trait. C'est plus comme de la pâte à modeler où je peux enlever ou ajouter des parts. Les aplats sont pour moi une nécessité. Il m'est évident de découper une image par ses traits."

Son œil d'imprimeur ne passe rien aux livres de lui que l'on publie. "Je suis toujours assez déçu du résultat",avance-t-il, l'air de rien, même pas caché derrière ses lunettes rondes, "parce que je sais qu'on pourrait faire mieux. Un livre, c'est entre un mois et un an de travail. Je ne suis jamais content, sauf des deux imagiers que j'ai publiés chez Albin Michel Jeunesse."

Le premier, "L'imagier des gens", a frappé dès sa parution par la qualité de sa recherche graphique et son accessibilité. Quelle clarté dans la couleur et dans la forme des images, pas nécessairement aussi "rétro" qu'on le dit régulièrement. "Mon inspiration est quotidienne. Je regarde des gens et des choses. Cela se répercute dans mon imaginaire. Comme je n'ai pas de mémoire photographique, je dois trouver des codes. La démarche des artistes des années 20 et 30 est de l'ordre du réflexe pour moi. "L'imagier des gens" est un livre à la limite de l'utopie, avec son idée de couple dès le départ et sa construction en spirale où les univers des gens s'éloignent de plus en plus les uns des autres."

L'autre imagier, superbe lui aussi, "Saisons", paraît plus scénarisé. "Le livre est totalement différent de son intention. Pour parler du temps, on a besoin de souvenirs. C'est la mémoire qui crée le temps."

Auteur de l'affiche des XVIIes Rencontres de la bande dessinée et de l'illustration de Bastia (2010), Blexbolex en dit: "Je me suis amusé à m'autoparodier, tout en faisant un clin d'œil aux affiches anciennes vantant des croisières. Dès le départ, je savais que la typo devait intégrer l'illustration."



jeudi 21 novembre 2013

LB nit Paul Colize et sa "Camille"

Paul Colize est un écrivain belge qui est actuellement finaliste du prix Victor Rossel avec son roman "Un long moment de silence" (La manufacture de livres).
Il est en compétition avec quatre collègues:
Alain Berenboom, "Monsieur Optimiste" (Genèse éditions), Stéphane Lambert, "Mon corps mis à nu" (Les impressions nouvelles), Nathalie Skowronek, "Max, en apparence" (Arléa) et Isabelle Wéry, "Marilyn désossée" (MaelstrÖm ReEvolution).

Verdict le 3 décembre.


Paul Colize est un écrivain belge qui a été finaliste du prix Victor Rossel 2012 avec son roman "Back-up" (La manufacture de livres, repris cette année en Folio policier).
Il était en compétition avec quatre collègues:
Patrick Declerck, le lauréat 2012, pour "Démons me turlupinant" (Gallimard), Yun Sun Limet, "Joseph" (La Différence), Jacques Richard, "Petit Traître" (Albertine) et Giuseppe Santoliquido, "L’audition du Docteur Fernando Gasparri" (Renaissance du livre).



Le mur des photos trouvées chez Pêle-Mêle.
Paul Colize est un des écrivains à qui le "Focus Vif" a proposé de choisir une des centaines de photos anonymes, affichées sur les murs du célèbre magasin de livres de seconde main Pêle-Mêle du boulevard Lemonnier à Bruxelles. Affichées parce qu'oubliées dans les livres revendus là chaque jour, mais toujours à la disposition de leurs propriétaires.
La consigne pour les auteurs était de choisir une photo et d'inventer son histoire.
La série a été publiée dans le "Focus Vif" durant l'été 2013.
Cet hiver, ONLIT REVUE la reprend en ligne, dans sa nouvelle série "Pêle-Mêle".




Inauguration en  fanfare avec le très joli texte "Camille" de Paul Colize.
Ce dernier m'a très aimablement autorisée à reprendre l'intégralité de son texte sur mon blog. Je l'en remercie chaleureusement.


Camille
 


Cette année-là, un homme avait marché sur la lune et Jane Birkin n’en finissait pas de s’envoyer en l’air. Il suffisait d’allumer la radio pour l’entendre gémir de plaisir.

L’été touchait à sa fin, je venais d’avoir seize ans et je me préparais à faire une connerie.

Au départ, l’affaire se présentait pourtant bien. Une petite agence isolée dans un quartier calme, deux ou trois employées vieillissantes, le premier commissariat à plus de cinq kilomètres.

Nous l’avons braquée à moto, Max et moi. J’ai mis la honda sur sa béquille en laissant tourner le moteur et nous sommes entrés dans la banque, nos casques sur la tête, de fausses pétoires dans les mains. Tout s’est déroulé comme prévu, personne n’a moufté. Les femelles se sont allongées sur le sol pendant que le gérant nous remettait le magot. Nous avons tout mis dans un sac et sommes sortis en hâte.

Ils nous attendaient. Trois bagnoles, une douzaine de flics et des milliers de canons braqués sur nous.

J’ai chopé sept ans.

Pour mon malheur, ils m’ont envoyé dans le quartier des mineurs, à Saint-Gilles.

Quelques jours après mon incarcération, elle est venue me rendre visite et m’a offert ce bouquin, Papillon. C’était le best-seller du moment, mais d’autres critères avaient dicté son choix. Elle savait que je ne lisais pas, mais elle avait insisté. Le texte contenait un message d’espoir, une promesse de liberté, une leçon de courage.

Ce n’est que quelques jours plus tard que je l’ai ouvert et que j’ai trouvé la photo. Je me suis souvenu du moment et de l’endroit où je l’avais prise. Ses cheveux tombaient sur ses épaules. Elle affichait cette gravité dans le regard et ce sourire énigmatique qui m’avaient fait craquer. Soir après soir, le souffle court, j’ai imaginé les courbes que la photo ne dévoilait pas en me remémorant nos étreintes platoniques.

Au fil des semaines, ses visites se sont espacées. Au printemps de l’année suivante, elle a cessé de venir.

J’ai lu le bouquin, et bien d’autres à sa suite. Petit à petit, j’ai oublié l’histoire, mais je suis tombé amoureux des livres. Les mois passant, j’ai oublié la présence de la photo. En définitive, je l’ai oubliée, elle aussi.

Je suis sorti après quatre ans. J’ai arrêté de déconner et j’ai refait ma vie. Je suis devenu menuisier. Je me suis trouvé du boulot et une femme. Nous avons eu deux beaux enfants.

Plus de quarante ans ont passé. Ma femme s’en est allée, emportée par le crabe, mes enfants ont terminé leurs études et suivi leur chemin. À leur tour, ils se sont mariés et je suis resté seul, avec mes livres comme amis dévoués. J’en dévorais plusieurs par semaine, pour la plupart des pavés que je trouvais rangés pêle-mêle dans les rayons d’un magasin de seconde main.

C’est là que je l’ai retrouvé.

Sa couverture a accroché ma mémoire. Papillon. Je me suis souvenu de ce qu’il m’avait apporté, la naissance d’une passion et le sentiment de liberté qui me manquait entre mes quatre murs.

Je l’ai pris et mes mains ont commencé à trembler. Comme si elles étaient mues par une force propre, elles se sont mises à feuilleter les pages.

Elle était là, vers le milieu du bouquin. La photo.

Des fourmillements ont parcouru mon corps. Cela faisait bien longtemps que je ne croyais plus au hasard, mais je savais que la vie offrait parfois une dernière chance.

Je suis rentré chez moi et j’ai entamé mes recherches. Elle avait probablement changé de nom et d’adresse. Sans doute ne savait-elle plus qui j’étais. Peut-être la maladie l’avait-elle également emportée.

Il m’a fallu une bonne semaine de travail. Une semaine pour découvrir qu’elle habitait dans une maison à Ixelles, face aux Étangs.

J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai composé son numéro.

J’ai à peine reconnu sa voix.

Elle savait qui j’étais. Elle semblait embarrassée par ses souvenirs et la trahison qui avait mis un point final à notre histoire. Je l’ai rassurée, je ne lui en voulais pas, je comprenais, nous n’étions que des enfants, le temps avait accompli son œuvre.

Nous avons arrangé un rendez-vous.

C’était au mois de mai. L’été approchait. L’air était doux.

Nous nous sommes retrouvés à la terrasse de la Patinoire, au cœur du bois de la Cambre, là où nous allions quand nous avions seize ans.

Je suis arrivé bien à l’avance.

Elle était ponctuelle. Les années s’étaient écoulées, mais je l’ai reconnue au premier coup d’œil. Au-delà des rides, j’ai deviné les traits de sa jeunesse. J’ai revu la gravité dans son regard et le sourire énigmatique qui m’avaient fait craquer. J’avais devant moi la Camille de mes années d’insouciance.

Nous avons commandé des thés à la bergamote et nous nous sommes raconté nos vies. Son parcours ressemblait en de nombreux points au mien. Un mari au cœur fragile, deux enfants débrouillards, des centaines de livres dans la bibliothèque et un retour dans la maison familiale.

L’après-midi a passé en l’espace de quelques minutes.

Au moment où elle s’est levée pour s’en aller, je lui ai proposé de faire quelques pas avec elle. Nous avons longé le chemin et sommes arrivés à l’endroit que nous appelions le ravin, la grande pelouse en pente où nous nous étendions pour échanger des baisers et nous moquer des bien-pensants qui pique-niquaient.

Elle s’est arrêtée et a souri.

Elle m’a demandé si je me souvenais.

Je me souvenais.

Nous avons continué à marcher. J’ai pris sa main dans la mienne. Elle était douce. L’air était chargé d’un parfum léger. L’été renaissait.



mercredi 20 novembre 2013

L100 va sans trop de peur chez les ours














Plus de vingt ans après "Chhht!", album traduit en français en 1991 et dont le succès ne s'est jamais démenti - en Belgique du moins,
Sally Grindley (texte) et Peter Utton (illustrations) remettent le couvert avec un nouvel album animé attrayant, "Ouste!" (agréablement traduit de l'anglais par Maurice Lomré, L'école des loisirs/Pastel, 34 pages).

Les deux titres se répondent l'un à l'autre tout en inversant leurs scénarios. Dans "Chhht!", le lecteur encourage l’enfant de l’histoire: "Tu vas bientôt pousser la porte du château d'un géant... A partir de maintenant, reste tranquille et parle tout bas, sinon..." Un visiteur pénètre dans le château d'un géant redoutable. De page en page, il en  traverse les pièces avec les plus grandes précautions: si jamais le monstre se réveille, ce sera la catastrophe!

Dans "Ouste!", tout juste paru et sous-titré "Attention aux ours!", c'est l’enfant du livre qui encourage le lecteur de l’histoire. "Ce livre a l'air très, très effrayant. Veux-tu vraiment le lire?", commence le texte. Les écriteaux placés près des arbres de la page de titre ne se montrent guère engageants: "Danger! Ici, on mange les enfants!", "Défense d'entrer!", "Attention aux ours!" encore.

Le narrateur invisible ne cesse de prendre le lecteur à partie: "Les panneaux disent de ne pas entrer. Je crois qu'on devrait faire demi-tour, non?" Bien sûr que non. Pas de demi-tour, que l'histoire continue. Mais il insiste: "Ça ne te fait pas peur? Moi, si! Je n'ai pas du tout envie de rencontrer un ours!". Le lecteur attentif repèrera les traces de l'animal sauvage dans un paysage où les arbres aux branches entremêlées créent la peur.

Les deux auteurs britanniques se sont bien amusés à  concocter leur histoire de plantigrades pour frémir et rire. Pages qui se déplient et rabats à soulever distillent chacun à leur tour leur lot d'angoisse. Un mouvement furtif. Serait-ce un ours? Fausse alerte. Le narrateur continue son chemin, débusquant dans le paysage d'autres motifs de frayeur, derrière la pierre, en haut de l'arbre, dans la mare... Chaque fois, les flaps donnent la réponse.


Une scène de "Ouste!", rabat fermé ou ouvert. (c) Pastel.

Le lecteur et l'histoire avancent dans les sous-bois, représentés très à l'anglaise. On arrive au pont, point de non-retour puisqu'encore encombré de pancartes d'alerte et marqué de traces de pattes bien reconnaissables. "Si tu veux que je te suive, tu devras me le demander très gentiment." Ciel, une porte dans un mur et toujours ces avis... "Ici, on mange les enfants!" Un jardin, une maison un peu tarte à la crème. Son paillasson dit "Ouste!", une affiche invite à se méfier des... brocolis. "Chhht! (rappel du titre précédent) Doucement!", poursuit le narrateur, "il ne faut pas qu'on nous entende". Visite de la maison jusqu'à l'accélération du suspense avant la double surprise finale: on se retrouve en territoire connu et c'est terrifiant. "Ouste!" est très bien pensé, efficace et drôle. Il y a mille choses à repérer dans les délicieuses illustrations (à part la maison), nécessitant au moins trois lectures de l'album...

**

Sally Grindley et Peter Utton étaient de passage en Belgique. L'occasion de leur poser quelques questions, dont la première, évidente.

Vingt ans après "Chhht!", immense succès que vous avez signé ensemble, vous publiez "Ouste!" dans le même esprit. Vous aviez envie d’une suite?
Sally Grindley. Nous n’avons pas voulu faire de suite à cet album. Il avait eu tellement de succès que c’était un terrible défi. Et puis, il y a quatre ou cinq ans, j’ai essayé. J’ai eu quelques idées mais elles n’étaient pas bonnes et j’ai tout jeté. Je n’étais pas sûre que le géant de "Chhht!" allait réapparaître dans ce nouveau livre. J’ai préféré changer de personnages. Et j’ai pensé que des ours allaient bien convenir au rôle. Au début, il n’y avait pas de lien avec le conte classique des trois ours mais notre éditeur britannique a insisté pour que ce soit le cas. Une fois qu’on a découvert cela dans la lecture, si on repart en arrière dans le livre, on découvre plein d’indices, plein de références au trio d'ours.

Comment travaillez-vous à un album? Ensemble ou séparément?
Sally Grindley. J’écris mon texte et je l’envoie à mon éditeur qui le fait suivre à Peter Utton, l’illustrateur. C’est un système ridicule. Mais Peter et moi, nous nous téléphonons. Mon texte donne beaucoup d’indications à Peter pour qu’il sache ce qui doit apparaître dans les images ou sous les volets à soulever.
Peter Utton. Les éditeurs voulaient que l’ours soit très effrayant, mais ils n’ont pas admis qu’il porte un appareil dentaire. Pour mes illustrations, j’utilise surtout l’aquarelle mais aussi  les crayons et des encres. Mes originaux sont toujours plus grands que les pages des livres imprimés.

Vous inspirez-vous de la nature pour vos illustrations ?
Peter Utton. Oui, beaucoup. Par exemple, la barrière qui apparaît dans l’album existe vraiment. Elle se trouve dans l’Essex. Elle est pliée parce qu’un arbre est tombé dessus il y a longtemps. De même j’ai fait le portrait d’arbres qui existent là-bas et qui portent même des noms.



Le croquis des pages 4 et 5, qui dépliées donnent les pages 4, 6 et 7.


Croquis de la double page fermée et puis ouverte. (c) Peter Utton.


Les mêmes pages dans l'album publié.

Pages 4 et 5. (c) Peter Utton/Pastel.



Pages 4, 6 et 7 ( la page 5 a été dépliée). (c) Peter Utton/Pastel.


Un croquis plus avancé des trois pages. (c) Peter Utton.





 
Quand un arbre de l'Essex trouve sa place dans l'album "Ouste!"













La fameuse barrière pliée par une chute d'abre, en vrai et en illustration.

mardi 19 novembre 2013

LE entrée dans la tête de Jane Eyre

La littérature réserve d'incroyables bonnes surprises. Par exemple, le roman "Quand j'étais Jane Eyre" de Sheila Kohler (traduit de l'anglais par Michèle Hechter, Quai Voltaire/La Table Ronde, 2012) tout juste passé en poche, chez 10/18. Le troisième traduit en français de l'auteure née en 1942 à Johannesburg, partie en 1981 aux Etats-Unis après avoir passé quatorze ans à Paris. Depuis est sorti cette année un quatrième livre en français d'elle, "L'enfant de l'amour" (Quai Voltaire/La Table Ronde).

Pourquoi cette curiosité pour un roman alors que des centaines d'autres attendent dans la bibliothèque? Le fait que Charlotte Brontë a passé quelques mois à Bruxelles ? Le titre qui intrigue ? Ou tout simplement la baguette d'une bonne fée qui m'a guidée vers ce formidable roman?

Il commence quand Charlotte Brontë veille son pasteur de père, tout juste opéré des yeux. Nous sommes en 1846, à Manchester. C'est dans ce calme que la jeune femme commence à écrire "Jane Eyre", très différent de son premier roman, "Le professeur", malhabile et distancié alors qu'il raconte une peine de cœur. Le vieil homme guéri, toute la famille se retrouve au presbytère de Haworth. Enfin, ce qu'il reste de la famille. La mère est décédée, les deux filles aînées aussi. Dans la sombre bicoque se meuvent les rescapés, le père, sa belle-sœur et quatre enfants : un garçon, le fils unique idolâtré, empêtré dans l'alcool et l'opium, et celles qu'on appellera plus tard les sœurs Brontë. Les trois écrivent, sous un pseudonyme masculin commun, et tentent de se faire publier.

Ce magnifique texte nous entraîne, insensiblement mais de plus en plus profondément, dans la tête de Charlotte Brontë, sensible, souvent blessée, sœur aimable mais aussi jalouse. Il dépasse les événements biographiques pour nous plonger dans les dédales de la création littéraire. Il livre en parallèle un percutant portrait de la société britannique de l'époque en général et de la vie des femmes, combien ennuyeuse, en particulier.

Sheila Kohler explique qu'elle a essayé d'imaginer ce qui avait pu se produire pendant que Charlotte écrivait "Jane Eyre" et comment ce livre a changé la vie des Brontë et de beaucoup de lectrices. "Est-ce que ce sont les moments qu'elle a passés avec son père immobile, impotent, qui lui ont donné la permission d'écrire “ je” sur la page, de s'approcher plus près du matériel qu'elle-même était?"  

"Quand je me pose une question, je commence à écrire", ajoute la romancière. "J’ai choisi des parties de la vie de Charlotte Brontë qui m’intéressaient: la compétition entre les sœurs et le soutien qu’elles se portent les unes aux autres, l’équivalent de nos actuels cours d’écriture".

"Quand j'étais Jane Eyre" nous entraîne dans le sillage de Charlotte Brontë, jeune femme peu gâtée par le destin, à laquelle Sheila Kohler est liée depuis toujours. "J'avais sept ans quand mon père est mort. A cet âge, ma tante m'a lu le premier chapitre de "Jane Eyre". C'était une idée bizarre mais elle a déclenché quelque chose en moi. J'ai commencé à écrire à ce moment-là."

Toute son enfance, la future romancière et professeure universitaire a écrit. Elle a eu ses enfants très jeune. La mort de sa sœur, dans un accident de voiture inexpliqué, a déclenché son premier livre, écrit en trois mois, "par terreur et rage". Refusé, il lui a permis de prendre de la distance.

Depuis, elle se partage entre l'écriture (neuf romans et trois recueils de nouvelles, pas tous traduits) et l'enseignement aux universités de Columbia et de Princeton. Et elle suit à merveille le conseil de l'écrivain J.M. Coetzee: "Quand vous écrivez sur quelqu'un, ne restez pas trop près de la vérité".





Sheila Kohler. (c) Hélène Bamberger.
Sheila Kohler
est aussi depuis toujours une fervente admiratrice de
Charles Dickens



Elle nous confie pourquoi elle aime l'écrivain dans un texte personnel.


"Dickens a été très important dans ma vie comme dans la vie de beaucoup d’écrivains, j’imagine. Ses livres sont peuplés de personnages, souvent mineurs mais qu’on ne peut pas oublier. Ces personnages demeurent peut-être plus vivants dans la mémoire que les vrais membres d’une famille.

Qui pourrait oublier le personnage de Miss Havisham dans "Les Grandes espérances", par exemple? La vieille dame toujours vêtue de sa robe de mariage qui force le pauvre Pip à marcher avec elle autour de la table, couverte de poussière et de toiles d’araignées et présentant les restes du repas de noces? Ou le forçat qui, dans le même ouvrage, apparaît tout un coup, sortant des brumes, renversant le petit Pip, le tenant par les pieds, et lui montrant les tombeaux de sa famille sous cet angle surprenant? 

Comment oublier le bon Joe Gargery ou sa femme qui arrive à mettre des aiguilles dans le pain qu’elle presse contre sa poitrine? Comment oublier Mr. Micawber se tirant par ses propres cheveux dans "David Copperfield", ou le personnage du titre lui-même, qui essaie d’apprendre la sténographie avec autant de difficultés; ou David amoureux et portant des chaussures trop petites pour plaire à sa Dora?

Ces êtres imaginaires sont rendus inoubliables par une phrase ou par un geste qui les expriment parfaitement dans leur entièreté, à moins que ce ne soit qu’un nom ou une simple sensation comme les mains moites de Uriah Heep, aussi dans David Copperfield. Ce sont des personnages exagérés, peut-être, mais rendus éternellement crédibles et vivants par des détails qui nous parlent si éloquemment."