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samedi 29 mars 2014

LE pas contente du tout

Elle vient de découvrir ce message illustré sur la page Facebook de Gilles Bachelet.




Petite bouteille à la mer…
Entre 150 et 200 illustrations originales m’ont été volées récemment sans effraction à mon domicile. La plupart de ces illustrations viennent de mes albums récents mais d’autres sont beaucoup plus anciennes et certaines sont inédites. La valeur commerciale de ces dessins est très relative mais le préjudice est énorme pour moi. Si par hasard vous apprenez qu’une ou plusieurs illustrations de moi ont été mises en vente sur internet, en salle de ventes ou sur un quelconque vide-grenier, merci de me faire signe… Elles ne peuvent provenir que de ce vol, je ne les mets jamais en vente moi-même.



vendredi 28 mars 2014

LD ambule, ravie, entre de nocturnes nouvelles


Denis Jeambar. (c) André Perlstein.
Enclenchez "Jasmine" de Keith Jarrett, cette version-ci ou une autre, et lisez les "Dark nights", c'est-à-dire les "nouvelles nocturnes" que vient de publier Denis Jeambar (Calmann-Lévy, 234 pages). Ce n'est pas moi qui le dis, mais l'auteur, et  je partage son idée. Autant au sujet de Keith Jarrett qu'à propos de son conseil de lecture. Il est bien inspiré.

On connaissait Denis Jeambar auteur de romans, d'essais, de biographies, d’entretiens, d'articles de journaux, et le voilà qui débarque avec un recueil de vingt-neuf nouvelles. Des textes qui empruntent en général une forme assez courte, à l'exception de l'avant-dernier qui est quasi un mini-roman. Ils ont en commun de se dérouler la nuit, bien entendu, et d'explorer les fêlures de la nature humaine au travers d'une très belle galerie de personnages fort variés.  "Dark nights" est réjouissant de bout en bout et se savoure avec un immense plaisir. Avec quelque angoisse parfois aussi, devant la noirceur humaine.

De passage à Bruxelles, Denis Jeambar le journaliste est devenu Denis Jeambar l'interviewé. "C’est la première fois que j’écris des nouvelles, après être resté dix-neuf ans sans écrire de fiction", me dit celui qui a travaillé au "Point", à l’"Express", à Europe 1... "Le dernier de mes cinq romans, "L'inconnu de Goa" (Grasset), est sorti en 1996. La fiction demande de la liberté. Ce recueil est venu à son heure. Quand j’ai quitté les Editions du Seuil en 2010, j’avais déjà le projet de revenir à la littérature." 

Une commande du "Magazine des aéroports de Paris" et le pas est fait. La nouvelle "La terrasse" (absente du livre) y paraît, ainsi que dans "Femme actuelle" et dans un recueil fin 2011. L'écriture courte n'était pas inconnue à Denis Jeambar, auteur de "Portraits crachés" (Flammarion, 2011),  cinquante portraits, dont vingt en politique, en textes de 4 à 5.000 signes. "J’ai eu beaucoup de plaisir à les faire, à retourner à la formule du news magazine", en dit-il.

Ensuite, les choses se sont enchaînées. Une nouvelle écrite durant les vacances de l'été 2011, "La cantatrice", qui a enthousiasmé son pote Louis Chédid. Le film sur l’engagement de Laetitia Masson en janvier 2012, dans le cadre de la présidentielle: "Deux heures et demie devant la caméra, à parler du libre arbitre, du destin, de la double et de la triple personnalité". En avril 2012, Denis Jeambar se met à écrire: vingt-sept nouvelles naissent en deux mois et demi! "J’avais toujours avec moi un carnet où je notais mes idées de sujet, sans toujours savoir d’où ils venaient. Je n’avais pas de projet de publication au moment de l’écriture." 

Quoique. A l’automne, le néo-nouvelliste fait lire son recueil à Claude Durand, l'ex-PDG de Fayard, qui le libère de ses doutes. Le texte est donc remis à son éditrice chez Calmann-Lévy. Et voilà les "Dark nights" publiées! "Tout le temps du livre, et c’est la première fois que cela m’arrive, cela a été la rencontre du moment et cela m’a possédé. J’ai trimballé mon texte partout avec moi, dans le Midi, dans ma voiture... Je  n’ai jamais commencé une nouvelle en sachant comment j’allais la terminer. C’était le plaisir de retrouver le goût d'écrire", se rappelle l'écrivain. Ce fou de Fitzgerald n'a pas choisi pour rien une forme très courte, celle des "short stories". Sauf celle à l’avant-dernière place du recueil, "Déambulations criminelles", qui est un un projet de roman d'il y a dix ans, en 150.000 signes relus et coupés pour en faire une longue nouvelle.

"Il n’y a pas de nouvelles vraiment joyeuses parce qu’elles ont été écrites à l’âge que j’ai", analyse Denis Jeambar, né en 1948… "A vingt ans, on voit le monde à 360°, à quarante-cinq ans, on voit une ligne droite, à soixante-cinq, c’est un angle mort, un angle fermé." Mais cette acuité dans la perception des choses rend la lecture éminemment plaisante. "Dark nights" nous balade dans le temps et dans le monde, comme l'auteur l'a toujours fait, entre personnages réels, de fiction et de nombreuses allusions littéraires. "J’adore Marilyn et je connais son véritable assassin. L’homme qui a toujours été l’ami de Marylin, c’est moi!"

En commun dans ces textes ciselés: la nuit, le libre arbitre, les identités multiples parfois insoupçonnées, la question de la responsabilité, la violence: "Parfois, quand j’ai fini d’écrire, je ne me reconnais pas. On a beaucoup de violence en nous, l’humanité consiste à la maîtriser. La question de la guerre me revient souvent: si j'avais vécu alors, aurais-je été un héros ou un salaud? Je pose des questions sur ce qu’on est et sur ce qu’on peut devenir. C’est un livre désenchanté. Je suis un optimiste de l’instant mais, profondément, je suis pessimiste, car tout va s’arrêter. Malgré cela, la vie est merveilleuse. Je suis perfectionniste, j’ai le goût du travail bien fait. J’aime les autres mais j’ai de la rage intérieure. Je suis très indigné, très révolté. Je domine toujours ma violence, je ne me sens jamais stressé. Mes livres politiques sont violents, comme si j’avais craché les mots. L’édito est un exercice que j’ai peu aimé car réalisé sous la contrainte. Petit, en colère, je faisais peur aux autres. Ma colère principale, c’est l’injustice de la mort, cela me travaille depuis toujours."

Et en particulier.
"J’ai placé la nouvelle "Le cheval dans la nuit" au début du livre parce que c’est l’image de la couverture et un triptyque que j’ai chez moi dans le Midi. Elle est une métaphore de la Shoah. Celle-là et celle du Peintre ont en commun que les personnages existent mais que les histoires sont inventées. Je suis peu imaginatif pour les noms, je prends ceux de ma famille, celui de mon meilleur ami même... La photo des sept gamins de "Dernier cliché" existe, tout y est vrai sauf la chute."

Dans "Flic Flac", l'histoire de Paul et Virginie est vraie et Mystic River est un coup de chapeau au film; je l’avais lue dans le "New York Times". C'est la dernière nouvelle que j’ai écrite, je l’ai écrite à New York, comme "La Belle Cubaine"."

Une des nouvelles préférées de Denis Jeambar? Celle avec le boxeur, "sur cette question anatomique du visage". Celle avec l’aveugle, déstructurée, en rupture avec les autres. "C’était important pour moi de la maintenir car elle est pleine de codes que je peux seul expliquer. On ne le voit pas mais le nom de ma mère et de ma femme y sont."

Et en finale, évidemment: "Ce recueil m’a donné envie de faire un roman. J’ai commencé, sur la dualité: D et son double. Scott Fitzgerald n'était-il pas le double de Zelda?"


mardi 25 mars 2014

LE ravie: Barbro Lindgren a le prix Lindgren

Barbro Lindgren.

Equivalent du Nobel en littérature de jeunesse, le prix Astrid Lindgren 2014 a été attribué mardi à  Barbro Lindgren. La Suédoise née en 1937 est l'auteure d'une œuvre particulièrement riche, innovante, imperméable à la bienpensance. C'est la raison pour laquelle le jury l'a choisie, elle qui écrit aussi bien des albums pour la jeunesse que de la poésie, du théâtre et des romans pour jeunes adultes (ou grands adolescents). Depuis ses débuts en 1965, elle a publié plus de cent titres, traduits en trente langues! Que nous ne connaissons pas tous, faute de traduction ou de réédition.

Quelle joie en tout cas de voir la créatrice de "Juju le bébé terrible" (illustrations d'Eva Eriksson, La Farandole, 1982, épuisé) ainsi souverainement récompensée! Depuis son Juju (réédité chez Mijade en 2006, dans une nouvelle traduction, sous le titre de "La maman et le bébé terrible"), on sait que les bébés peuvent être terribles. Et c'est même pour cela qu’on les aime.
Juju a une maman grande, un peu forte et surtout terriblement gentille. Le bébé en profite pour lui en faire voir de toutes les couleurs. Les bêtises s'enchaînent: descentes d’escalier,  ploufs dans l’eau de vaisselle, échappées... Mais derrière tout cela, on perçoit la formidable complicité entre eux et leur immense amour.

Barbro Lindgren a continué à explorer l'univers des tout-petits avec les séries pleines d'humour "Tom" et "Mini Bill", toujours avec l'illustratrice Eva Eriksson (Casterman et Duculot, épuisés). En petit ou en grand format comme "Mini Bill monte à chien"  (Barbro Lindgren et Eva Eriksson, Duculot, épuisé), mettant en scène l'adorable bébé suédois. Un rejeton qui sait fameusement ce qu'il veut... au désespoir de sa maman parfois. Ici, Mini Bill veut absolument un animal à lui. Chien, chat, cheval, tout lui va. Sa maman lui promet une surprise, à son anniversaire, c'est-à-dire dans soixante jours. Deux mois! On imagine la tête du bébé pour qui attendre une minute est encore trop long.

Ses mimiques rendent terriblement sympathique ce fameux garnement si tendrement humain. Quand ses cadeaux d'anniversaire ne lui plaisent qu'à moitié, il le fait savoir. Malicieuse, sa maman lui a offert un chien en peluche. Mini Bill ne l'entend pas de cette oreille. Au milieu de la nuit, le chien remue, se dresse. Le bébé bondit: il va enfin avoir un anniversaire comme il le souhaite. Et le voilà qui s'en va à l'aventure dans la nuit, entouré de toutes ses peluches, réveillées à l'apparition de la lune. Une folle balade à dos de chien commence, qui emmène toute la bande de planète en planète. Chaque animal rend visite à ses congénères. Mini Bill, chevauchant toujours son chien, arrive enfin, après moult péripéties, à la lune, sur laquelle sont déjà installés plein de chiens et de bébés. Un accueil peu chaleureux les fait poursuivre leur promenade. L'expédition se termine par un retour sur terre, très attendu par la maman, toute contente d'avoir récupéré ses chéris.

Mini Bill n'a rien d'un bébé de papier glacé, c'est ce qui fait son charme. C'est pourquoi on l'aime, c'est pourquoi sa maman l'aime. Barbro Lindgren a le chic de concevoir des histoires à hauteur de bébés ou de très jeunes enfants, avec des préoccupations et des plaisirs de bébés ou de très jeunes enfants.

En 2002 a été traduit en français l'album "La tototte", de Barbro Lindgren et Olof Landström (L'école des loisirs). L'histoire de Benny, le petit cochon qui voulait un petit frère. Et qui en a un maintenant! Le bébé est là, invisible dans son panier. Mais ce que Benny ignorait, c'est que ce petit frère aurait une tototte et lui pas. Sa mère prétend qu'il est trop grand! S'il avait su... Une seule solution pour le héros de ce délicieux album: chiper celle du bébé. Un emprunt qui va mener le héros bien plus loin qu'il ne le pensait. Et c'est bien l'intérêt de cet album, ton léger, aux illustrations classiques, qui se déroule au pas de course. L'excellent rapport texte-images en rend la lecture encore plus jubilatoire.

En 2008 paraît chez nous "Benny à l'eau" (Barbro Lindgren et Olof Landström, L'école des loisirs) où apparaît la délicieuse idée d’"aller grouiner un peu". L'album s’ouvre sur des bêtises: Benny et son petit frère font rouler des pommes de terre de tous côtés. C’est simple, les gamins ont besoin de sortir. "Ils ont envie d’aller grouiner un peu", écrit l’auteur. Maman est d’accord et recommande à Benny de veiller à ce que le petit ne tombe pas dans la mare.

Près du point d’eau se trouve déjà du monde: des cochons et un chien, "ceux qui sont vraiment bêtes" et "ceux qui sont vraiment gentils", dont Klara que Benny aime beaucoup. Les petits jouent à courir autour de la mare jusqu’à ce que le vilain Marco pousse le petit frère de Benny à l’eau. Mais à quelque chose malheur est bon: c’est Klara qui le sauve. Benny a compris: il tombe aussi à l’eau. Et Klara le sauve aussi! Sauf qu’après l’envie de câlins vient celle de "grouiner un peu à la maison". Et les compères repartent pour d’autres aventures avant de rentrer chez eux. Cet album plein d’humour, de délicatesse et de fantaisie,  prend la vie comme elle va.

Barbro Lindgren a un ton unique pour s'adresser directement aux enfants. En se rappelant de l'enfant qu'elle a été ou de ceux qu'elle a côtoyés. Ses histoires ont un charme incroyable et les illustrateurs qui posent des images sur ses mots sont en parfaite complémentarité avec elle. Quel talent!

Les prix Andersen 2014


Lundi ont été dévoilés à la Foire du livre de Bologne les deux lauréats du prix Hans Christian Andersen. Le jury de l'IBBY (International Board on Books for Young People) a élu l'écrivaine japonaise Nahoko Uehashi et l'illustrateur brésilien Roger Mello.

Deux auteurs peu traduits en français, dont on connaît mal le travail.

Trois romans pour Nahoko Uehashi: "La charmeuse de bêtes", tomes 1 et 2, et "Les gardiens de l'esprit sacré" (tous les trois publiés chez Milan).


Une bande dessinée et un album pour Roger Mello: "Brasilia" (collectif, Requins marteaux), et "Jean fil à fil" (MeMo)




lundi 24 mars 2014

LC qu"'il y a littérature" chez Quentin Mouron


Dans son troisième roman, "La Combustion humaine" (Olivier Morattel Editeur, 113 pages, diff. Harmonia Mundi), le Canado-Suisse Quentin Mouron épingle habilement un sujet d'actu en ce dernier jour du Salon du livre de Paris: le monde de l'édition.


Il le fait par le prisme d'un éditeur, dénommé Jacques Vaillant-Morel ou plus simplement Jacques Morel, toute ressemblance avec le nom du sien auquel le livre est dédié n'étant qu'un pur hasard. Un petit éditeur donc, arrivé sur le tard dans le milieu littéraire mais qui, en quinze ans, y a fait son chemin.

Des livres sur le milieu de l'édition, il y a en déjà eu plein. Des bons et des moins bons. Il y a deux ans sortaient conjointement le pétillant et pétulant roman de Paul Fournel, "La liseuse" (P.O.L., 220 pages), celui, solide, de Louis Gardel, "Le scénariste" (Stock, 208 pages) et le beaucoup plus discutable "journal de stage" de Bruno Migdal, "Petits bonheurs de l'édition" (La Différence, 142 pages).

Sujet romanesque donc que le milieu de l'édition. Ce que confirme encore Quentin Mouron avec un bref roman joliment troussé, qui ne cache rien des mesquineries de ce petit monde mais arrive aussi à travers le portrait un peu désabusé d'un éditeur genevois à questionner la nature humaine en général.

Le roman s'ouvre sur la lettre qu'un candidat auteur adresse à l'éditeur. Des lettres pareilles, ou des extraits, on en lit plein sur Facebook depuis qu'une éditrice y déverse régulièrement ses trouvailles ou ses exaspérations. Mais quand même, on compatit immédiatement avec Morel tout en découvrant sa  méthode de tri. Ce dernier se soucie avant tout de déterminer "quand il y a littérature". Autant dire, pas souvent. Et même s'il ne course plus le chef-d’œuvre, il a le jugement sec. Tous ces textes insignifiants, il les rassemble dans une poubelle qu'il vide le samedi à la déchetterie avec ces mots définitifs: "voilà toute la littérature moderne".

Le ton est donné mais l'atout du livre de Quentin Mouron est qu'il pratique l'ironie fine plutôt que le bulldozer. Ni requin, ni passionné, son Jacques Vaillant-Morel révèle son humanité. Bien sûr, il aime les écrits de qualité, il apprécie certains de ses auteurs, peu, mais il sait également que les livres, il faut les vendre. Il a donc décidé d'utiliser internet à cette fin. Il fait la promotion de ce qu'il publie sur Facebook et Twitter et utilise la toile pour échanger avec ses auteurs. Un progrès pour celui qui n'est plus tenu de les inviter à un repas: "Les auteurs sont encore plus assommants que leurs bouquins, et ce n'est pas peu dire!", lui fait dire Quentin Mouron.

Cet éditeur techniquement à la pointe permet à l'auteur de brosser un tableau de la grrrrrande famille facebookienne tout en épinglant également les habitudes anciennes de l'édition: sorties de livre, cocktails, presse, salons... Sans oublier les portraits de ceux qui l'animent et quelques lances rompues envers des sujets chauds comme le prix unique du livre, inexistant en Suisse, ou l'édition à compte-d'auteur. C'est fait avec une connaissance de l'intérieur du genre mais sans méchanceté gratuite. Ne dit-on pas: "Qui aime bien, châtie bien"?

Econome de ses mots, Quentin Mouron voit juste et frappe de même. S'il ne rate pas son éditeur, l'envoyant même à la Migros se coltiner une cliente revêche, il défend aussi certains écrivains: "Morel n'avait aucune considération pour ses auteurs, ce qui  ne l'empêchait pas de se plaindre régulièrement de leur ingratitude." Et glisse des vraies personnes comme Jacques Chessex, Vladimir Dimitrijevic, Olivier Morattel ou même Quentin Mouron dans son texte. Et un lieu comme la librairie du DeliVrium Tremens, ultra-branchée, qui aura le mot de la fin de ce roman plaisant de bout en bout, qui marie réalité et imagination, pique d'un venin élégant et nous ramène à la condition humaine et à ses moteurs.

"Un milieu étroit, ridicule, insuffisant", analyse Mouron. Comme la vie de l'éditeur, Jacques Vaillant-Morel. Un milieu qu'on ne peut quitter que d'une seule façon. "La Combustion humaine" le raconte fort bien, à sa façon originale et réussie.



vendredi 21 mars 2014

LM tant l'escapade littéraire de Patrick Roegiers

Patrick Roegiers. (c) Jérôme Bonnet.
Il est arrivé à l’entretien malade et presque aphone. Après un thé au gingembre, citron en zeste et en tranches, et miel, dans le quartier de sa jeunesse (il vécut notamment dans le même immeuble d’Ixelles que Julio Cortázar, à l’honneur ces jours-ci au Salon du livre de Paris), Patrick Roegiers est reparti en meilleur état. "Le quartier Brugmann a été celui de mon enfance jusqu’à mes quinze ans", me glisse-t-il. "A onze ans, j’ai même été opéré de l’appendicite dans l’ancienne clinique de la Croix-Rouge, le jour du voyage scolaire!"

Mais bon, nous n'étions pas là pour échanger entre voisins mais pour parler de l'épatant bouquin que Patrick Roegiers vient de publier,  "La traversée des plaisirs" (Grasset, 254 pages). Un titre attrayant qui abrite une jubilatoire escapade littéraire au milieu des livres et des écrivains qui ont compté pour l'auteur du "Bonheur des Belges". Rien à voir avec un essai au sens classique. Ce sont plutôt des vagabondages érudits à apprécier comme le menu dégustation d'un grand restaurant.

Patrick Roegiers utilise le principe du marabout-boutdeficelle-selledecheval dans ce petit bouquin alerte, bien troussé, terriblement captivant et bourré d'informations et d'anecdotes savamment agencées. Une idée en appelle une autre et le lecteur suit avec un plaisir inouï ces promenades pleines d'enseignements. "Cela a été un chantier jusqu'au bout!", se rappelle l'auteur. Les rapprochements entre notions littéraires sont riches de surprises et passionnants dans la première partie, intitulée "Le corps des mots". L'auteur s'y occupe avec un charme fou de ses livres restés orphelins parce que d'autres sont partis: il avait vendu sa bibliothèque photographique. Et il nous fait participer aux rangements de ses étagères. L'escapade lettrée est aussi singulière que plaisante car qui a jamais eu l'idée de rassembler 39 raisons d'écrire et 10 conseils de lecture, d'examiner les menus des écrivains et leurs façons de mourir, de retourner le mot "écrire" sous toutes ses coutures, d'établir un palmarès des livres de sa bibliothèque ou encore de rigoler des éloges fait par la critique? Quel travail de recherche alors qu'on n'en voit que les fruits!

La deuxième partie est, elle, intitulée "Le corps des écrivains". Ils sont neuf à avoir tellement compté dans l'écriture et l'imaginaire de Patrick Roegiers qu'il leur trousse un portrait qui les rend surtout humains. Parfois on l'oublierait à force de les admirer. Ici aussi, chacun des neuf écrivains cyclistes a droit à sa peinture en divines petites touches, précises mais parfois déconcertantes et tant mieux. Se succèdent Georges Perec, Samuel Beckett, Louis-Ferdinand Céline, Roland Dubillard, Michel Leiris, Roland Barthes, Henri Michaux, Alain Robbe-Grillet et Claude Simon. Autant de choix dûment justifiés par l'auteur. "Si on n'y trouve pas Charles Dantzig", ajoute Patrick Roegiers, "c'est parce qu'on ne sait rien de sa vie" et que l'objet du livre est justement de raconter la vie des écrivains. Mais Charles Dantzig, autre encyclopédiste fameux de la littérature, apparaît régulièrement dans la première partie.

Traversez donc les plaisirs que ce fou de littérature vous offre.



Sept questions à Patrick Roegiers

Comment est né ce nouveau livre?
Après avoir écrit "Le bonheur des Belges" qui m’a demandé beaucoup d’énergie et avant d’écrire le roman suivant, j’avais besoin d’autre chose. Je disposais d’un manuscrit de 500 pages, antérieur au "Bonheur des Belges", où je consignais tous mes plaisirs, tout ce que j’aime en matière de création artistique. J’en ai fait plusieurs versions avant de tout reprendre en ne gardant plus cette fois que ce qui concerne la littérature. J’ai encore tout réécrit, et recommencé sept fois la structure du livre. Il existe beaucoup de livres sur la littérature et beaucoup d’essais littéraires. Moi, je voulais traiter de la littérature française contemporaine. Il y a trente ans que je vis et travaille en France mais je porte la pancarte du Belge de service! Je voulais déclarer mon amour pour les auteurs français car c’est la culture française qui m’a formé depuis que j’ai 17 ans.

Quand avez-vous su quelle forme aurait "La traversée des plaisirs"?
J’ai voulu un livre léger, fluide, ludique. Ne pas m’appesantir et répondre à la question: quels sont les auteurs contemporains qui me constituent? Souvent on ne les relie pas entre eux, alors qu’il n’y a pas d’opposition entre eux. Tout est complémentaire. Ce sont tous des écrivains morts, qui sont dans la Pléiade ou ont eu le Nobel. Tout est fait sur eux. Moi, j’ai voulu restituer mon plaisir de lecture.

Et pourquoi l'avoir coupé en deux parties?
Longtemps, le livre a été un tout. J’avais treize thématiques dont mes neuf auteurs sélectionnés, la bibliothèque, les brouillons, Charles Dantzig… mais la partie "Le corps des écrivains" raconte la vie des écrivains. Je me suis rendu compte qu’il y avait deux livres, que certaines notices étaient beaucoup plus longues que d’autres. Deux livres en un, cela m’arrive souvent. Il y a un autre livre dans le livre et, à un moment, il décide de sortir. L’auteur doit alors trancher. "Le corps des mots" allait raconter ma bibliothèque et "Le corps des écrivains" mes neuf auteurs admirés.
Mais j’ai beaucoup changé le texte en cours de route. Au second jeu d'épreuves, j’ai vu que "con" qui renvoie à Céline et "bus" qui renvoie à Perec et Queneau étaient dans la première partie! J’ai donc fait des déplacements de blocs entiers. Pareillement, ce qui avait trait à l’Académie est allé chez Robbe-Grillet et ce qui concernait le prix Nobel chez Claude Simon. C’est merveilleux quand le livre est vivant jusqu’au bout.

Comment avez-vous écrit ces textes?
Je fonctionne par associations, par fragments. Je n’ai pas relu les œuvres des auteurs mais les biographies et les essais qui leur ont été consacrés. Par exemple, j’ai découvert "L’empire des signes"  de Roland Barthes en 1975 à Central Park, avant d’entamer un tour de 45 jours en voiture aux Etats-Unis. Je m'y suis fait voler mon portefeuille mais mon permis de conduire m’est revenu 25 ans après... Je suis impressionné par la fréquence des chutes chez Barthes. Celle, enfant, dans le trou, et les suivantes, devant chez le boulanger, après son déjeuner chez François Mitterrand, celle, définitive, dans le coma… Ces chutes récurrentes, je les ai reliées pour comprendre autrement le personnage. "Le corps des écrivains" raconte la littérature. Leurs corps racontent des histoires. Je rends les écrivains vivants.

Vous dites avoir réalisé une escapade littéraire.
Mon livre est un exercice d’admiration dans une époque où on se débarrasse un peu vite de ceux qui sont des références
J’ai fait un livre utile, salutaire, nécessaire et heureux. A la fois léger et rapide. C’est une escapade, le contraire de la ligne droite, un chemin de traverse.
J’ai voulu essayer d’alléger les choses, de réjouir le monde.
Je voulais dire d’où je viens et qui j’admire. Tous les écrivains devraient le faire.
J’ai veillé à ne pas m’imposer dans ce livre, à être là sur la pointe des pieds.
L’humour est plus voyant que dans mes autres livres. Par exemple, quand je mélange les titres ou les noms. C’est Oulipien, Calvino aurait bien aimé, je pense. Perec aussi, l’homme de lettres. Les lettres et les chiffres sont les instruments avec lesquels on travaille.

Et la question bateau: pourquoi écrivez-vous?
Pour écrire mieux, même si ce n’est pas du tout facile. Mais j’adore écrire.
L’écriture doit évoluer. Je n’écris pas en 2014 comme en 1990. Je ne baisse pas ma garde. Je fais évoluer mon écriture car on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Je cherche aussi le bonheur de lecture. Dans ce livre-ci, je me suis même occupé de la mise en pages. C’est cela le respect du public: aller vers lui sans aucune concession.
Et lundi, je reprends mon roman, il doit paraître en septembre 2015.
Vous dites écrire beaucoup. Qu'écririez-vous ici?



19/3/2014
Lucie Cauwe,

m'écoute sur la place de mon enfance où me remonte en mémoire l'effacement de la vie, diluée déjà par du miel dans une tasse de thé

Bien amicalement
P. Roegiers

lundi 17 mars 2014

LD ambule de Coe en Coe


Si vous avez raté la rencontre Coe & Cauwe à la Foire du livre de Bruxelles, ce n'est pas très grave.

L'auteur britannique a excellemment répondu, avec beaucoup de générosité, à mes questions à propos de son premier roman jeunesse, "Le miroir brisé" (traduit de l'anglais par Josée Kamoun, illustré par l'Italienne Chiara Coccorese, Gallimard Jeunesse, 112 pages) et de la genèse de ce livre.

Mais entre nous, ce premier essai en littérature de jeunesse n'est pas très bon, même s'il est plein de bonnes intentions.

On a de la peine à suivre l'histoire de la narratrice solitaire qui se réfugie dans ce qu'elle voit dans un bout de miroir, trouvé sur une décharge, pour contourner les aléas de sa vraie vie.On la voit grandir, passer de l'enfance à l'adolescence. Douter d'elle-même, éprouver ses premiers émois amoureux, prendre son miroir comme un doudou... Les drames et les difficultés de cet âge difficile sont tous là, et la fin, même si elle est ouverte, s'annonce plus heureuse que les années qui l'ont précédée.


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En même temps, Jonathan Coe publie un nouveau roman pour les adultes, "Expo 58" (traduit de l'anglais par Josée Kamoun, Gallimard, 330 pages), son dixième. Un sujet qui séduit bien entendu la Belge que je suis, puisqu'il se déroule aux alentours de l'Atomium. Même si je n'étais pas née au moment de l'Exposition universelle de 1958 - pas plus que l'auteur d'ailleurs!
Le Roi Baudouin, la Belgique joyeuse, les diverses attractions, que de références...

On retrouve bien dans le texte tant la joie de l'Expo que l'atmosphère de guerre froide qui régnaient à l'époque. Cette dernière d'autant plus perceptible que les autorités belges n'ont pas trouvé mieux que d'installer côte à côté les pavillons américain et russe! Ce qui donne pas mal de travail à tous les services secrets du monde.

Ceux de Grande-Bretagne ne sont pas en reste puisqu'on suit l'intrigue du roman à travers les yeux de Thomas Foley, fonctionnaire au ministère de l'information, détaché à Bruxelles le temps de l'exposition. Il sera responsable du "Britannia", le bar célébrant les bières et les inventions britanniques. L'occasion pour le jeune époux et père de famille de sortir de sa routine londonienne. Dans des limites qu'il n'avait pas imaginées au départ mais auxquelles il prend bien vite goût. On le découvre au fil du récit et des lettres qu'il échange avec Sylvia.

L'écrivain s'amuse dans ce roman historique qui parodie les romans d'espionnage. Il nous amuse aussi, le temps de la lecture de l'ouvrage. Et même si le livre se déroule essentiellement en Belgique, il donne un délicat portrait en creux de la société britannique de la fin des années 50.


Mais il n'atteint pas le niveau d'un livre plus ancien tel "La pluie, avant qu'elle tombe" (traduit de l'anglais par Serge Chaumin et Djamila Chauvin, Gallimard, 2009, Folio, 2010). Là, Jonathan Coe ne pourfend plus la politique britannique, mais il explore l’intime avec le même brio.

Ce roman est magnifique, prenant, bouleversant avec ses personnages d’un romanesque superbe. Moments de grâce et tragédies s’y donnent la réplique dans un style virtuose. Le canevas est simple: Rosamond vient de mourir à 73 ans; en rangeant sa maison, Gill, sa nièce et exécutrice testamentaire, découvre, entre autres choses curieuses qui s’expliqueront plus tard, quatre cassettes enregistrées. "Gill, ces cassettes sont pour Imogen", a griffonné Rosamond. "Si tu ne la retrouves pas, écoute-les toi-même."

Imogen est une lointaine cousine aveugle dont la famille a perdu la trace et que Gill ne parviendra pas à localiser. C’est donc elle qui écoutera les cassettes, en compagnie de ses deux filles. "J’espère, Imogen, que c’est toi qui m’écoutes", commence la voix de Rosamond qui explique qu’elle se sent une obligation envers elle, "un devoir que je n’ai jamais vraiment accompli".

Pour sa confession, la vieille dame a sélectionné vingt photos, "vingt scènes de ma propre vie (…) que je me propose de te raconter". Elle sait que son histoire concerne aussi Imogen et qu’elle est la seule à pouvoir la lui transmettre, la seule à pouvoir révéler ces secrets de famille.

Débute alors, à l’usage d’une aveugle, la description des vingt clichés: les personnages, les paysages, les scènes, mais aussi les odeurs, les musiques, les sensations. Tout de suite, on est pris par l’écriture de Jonathan Coe qui nous projette, sur fond de marche du monde et de la société, au cœur de tragédies familiales, d’une incapacité féminine à aimer se transmettant de génération en génération, de coïncidences à répétition. En numérotant les photos, le romancier enclenche un compte à rebours qui rappelle que cette lecture fascinante progresse inéluctablement.

Rosamond entame l’histoire de sa famille avant la guerre, elle l’achève de nos jours. "Une chose n’a pas besoin d’exister pour rendre heureux", écrit Coe qui déroule bonheurs et tristesses, joies et remords de Rosamond et de ses proches, dont sa cousine Beatrix, son aînée de trois ans. Celle dont la rencontre déterminera toute sa vie. Sa sœur de sang sera en effet la mère de Théa et la grand-mère d’Imogen, deux petites qu’elle a chéries à des époques différentes.


samedi 15 mars 2014

LD fend "Oh, boy!" contre la bêtise des adultes

L'hebdomadaire "L'express" annonce que "l'inspection académique du Val-de-Marne a annulé la représentation de "Oh Boy", une pièce prévue sur le temps scolaire d'écoles primaires de Bonneuil, par crainte d'une réaction hostile des parents d'élèves, car le personnage principal est homosexuel".

Sont-ils vraiment devenus fous en France? Il n'y a pas une semaine sans qu'un livre jeunesse soit mis à l'index.















Je ne sais pas ce que vaut l'adaptation théâtrale de "Oh boy", mais je sais que le roman original, "Oh, boy!", signé Marie-Aude Murail (L'école des loisirs, 2000, 210 pages) est un chef-d’œuvre. Un de ces rares livres portés unanimement aux nues, à la fois par la critique et par les lecteurs adolescents. Il a d'ailleurs remporté tous les prix décernés en France et en Belgique par de jeunes lecteurs.

Paru en 2000 et n'ayant pas dérangé grand monde jusqu'à présent (lire ci-dessous), il est LE roman qui a révélé Marie-Aude Murail au grand public - comme "Lettres d'amour de 0 a 10" l'avait fait pour Susie Morgenstern en 2002 (L'école des loisirs).

Entre rire et larmes, on suit dans "Oh, boy!",  roman fort, attachant, rebondissant, interpellant, Siméon, Morgane et Venise Morlevent, respectivement âgés de 14, 8 et 5 ans.Un père évanoui dans la nature et  une mère morte d'accident à moins que ce ne soit un suicide, telle est la situation de départ des enfants Morlevent, profondément unis.

Siméon, 14 ans, est maigrichon, moche et surdoué. Morgane, 8 ans, est effacée, pas trop belle et première de classe. Venise, 5 ans, est une ravissante petite fille. Tous trois ont juré qu'on ne les séparerait pas. Leur sort est mis entre les mains d'une assistante sociale inquiète et influençable et d'une juge des tutelles accro au chocolat noir. Question des deux femmes: à qui confier le trio? Deux parents proches surgissent: une demi-sœur et un demi-frère qui se détestent.

Avec ce roman bouleversant, Marie-Aude Murail a opéré un virage dans son œuvre d'écrivain. Vers plus d'humanité, plus de profondeur, tout en conservant son style alerte et percutant. Elle a réussi le pari risqué de mettre en place des personnages terriblement originaux sans que le lecteur ne les ressente comme des caricatures. Les moments durs qu'elle leur donne à vivre, deuil, rivalité entre enfants, ballottages entre adultes empêtrés dans leurs raisons avouées et non avouables, maladie grave, provoquent autant d'émotions vraies chez le lecteur.

"Oh, boy!" est une formidable rencontre auteur-public autour de héros attachants. Les destins se vivent, se croisent, renvoyant chacun à lui-même jusque et y compris sa sexualité. Tact et art littéraire.

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Dans les archives du "Soir", j'ai retrouvé un article de mai 2003, déjà. Des lecteurs s'en étaient pris violemment au "Soir Junior", supplément destiné aux juniors, qui avait osé présenter l'homosexualité à l'occasion de la Gay Pride.

Voici un extrait de la réponse du médiateur du Soir à  ce sujet: "Agrémenté de témoignages forts de jeunes qui vivent plus ou moins bien leur homosexualité et d'un entretien avec un expert, ce dossier faisait le tour de la question avec rigueur et émotion. Jusqu'à la référence à "Oh, boy!", le livre de Marie-Aude Murail, ce que certains lecteurs nous ont reproché. Cet auteur est de très grande qualité et ce livre en particulier est très sensible et très riche, m'a expliqué Lucie Cauwe, spécialiste de la littérature de jeunesse à la rédaction."






vendredi 14 mars 2014

L5T rroge sur le hasard des inspirations

En février, nous avions cette affiche pour annoncer la Foire du Livre de Bruxelles.
Un "Mister Foire" signé Salomé Gautier (ESA Saint-Luc de Bruxelles) lauréate du concours d'affiches.


Et en mars, nous avons ceci comme visuel du carton invitant au vernissage du Salon du livre de Paris.
Un fort en lecture dû à Bac CHU-VU, également lauréat d'un concours.


Hasard des inspirations.

mercredi 12 mars 2014

L100 va de Grigny à Tunis en passant par Berlin


"La traversée du chien"... Drôle de titre pour un roman, le premier du journaliste Pierre Puchot (Galaade éditions, 119 pages). Doit-on comprendre que le chien est Bruno, le jeune narrateur, quand on lit "Bruno, Bruno, mon petit chien". Sans doute. Si l'auteur s'amuse à égarer un peu son lecteur dans les premières pages, il ne l'abandonne jamais dans ce très intéressant premier roman, voguant de la Cité de la Borne (Grigny) à Tunis en pleine révolution, en passant par Berlin.

On suit donc Bruno. L'apprenti en mécanique rencontre sur ses terres de la Borne - il habite un des 790 appartements identiques des la série d'immeubles posés là, le sien étant décoré à l'extérieur de "pâte de verre bleu piscine" -  Mathilde, une stagiaire un peu plus âgée que lui. Elle va lui inoculer le virus du journalisme. Leur rencontre est tellement importante que l'auteur la consigne minute par minute. Bruno devra toutefois attendre trois mois avant de revoir la visiteuse.

Bruno raconte alors sa cité et y promène la jeune journaliste. Un quotidien connu de chacun mais que Pierre Puchot rend intéressant par son style. Tout comme l'étrange couple que forment Mathilde et Bruno, la première rêvant d'une enquête hors du commun sur les cités, leurs exorcistes, leurs salafistes, le second ne demandant qu'à rencontrer ses désirs et à passer du temps avec elle. Même qu'il a "un plan pour la faire rester."

Bien sûr, ce plan l'oblige à se montrer intéressant, cultivé, à lire des livres, à réfléchir à son lieu de vie et à sa réalité par rapport à tous les beaux projets caressés. "Nous ne sommes pas hors la vie, nous sommes dedans", écrit Pierre Puchot qui, à la moitié de son roman, envoie ses deux personnages à Berlin. D'autres découvertes y attendent Bruno, le mode de vie, l'urbanisme local, la personnalité de Mathilde, de l'évanescente Mathilde qui disparaît alors de la vie du narrateur.

Un départ qui enfonce Bruno pendant six mois avant de le faire rebondir. Non, il n'acceptera plus cette vie. Il envoie tout promener, l'école et le reste, se prépare un petit sac, fonce à Roissy et saute dans le premier avion qui décolle. Il arrive à Tunis, tout début janvier 2011. La Révolution est en marche et Bruno en sera le témoin privilégié. Il sort, regarde, consigne, contacte des journaux, signe des articles avant le départ du président-dictateur Ben Ali le 14 janvier. "On dit qu'un chien ne traverse jamais la route tout droit, jamais de la même façon, mais qu'il arrive toujours sur l'autre trottoir", écrit en finale l'auteur, grand reporter à Mediapart. Son Bruno est sans doute un de ceux-là mais qu'il est plaisant d'effectuer la traversée en sa compagnie.


Pierre Puchot. (c) Aurélien Pic.

Sept questions à Pierre Puchot

Vous mêlez plusieurs lieux, Grigny, Berlin et Tunis. Pourquoi les avoir choisis et réunis?
Avant tout parce que ce sont trois lieux dotés d'une identité forte, sur lesquels notre imaginaire se projette. La différence entre cet imaginaire et l'expérience quotidienne de la vie sur place en font des objets narratifs tout à fait passionnants. Établir des ponts entre ces trois villes permet de les animer, de tisser une histoire urbaine par l’entremise de Bruno, le personnage principal, qui découvre ces trois lieux tour à tour. Cela permet également d'interroger les rapport entre vie quotidienne et architecture.

Votre narrateur vous ressemble-t-il par un côté ou un autre?
Pas vraiment, je voulais que ce roman soit le moins autobiographique possible, pour pouvoir me projeter dans un autre univers, et puiser dans le réel sans avoir peur de le dénaturer en y mêlant des éléments trop personnels. Les trois lieux choisis sont toutefois des villes que je connais bien, et dont le rapprochement est à l'origine de ce projet littéraire. L'idée de la dimension journalistique n'est venue que bien plus tard.

Etiez-vous présent à Tunis début janvier 2011? Si oui, quels souvenirs en gardez-vous? Y êtes-vous retourné ensuite?
Je suis arrivé à Tunis le 16 janvier 2011, mes articles ne me permettant pas de venir en Tunisie sous le régime de Ben Ali. Mediapart était alors interdit en Tunisie.
J'y retourne plusieurs fois par an depuis, pour les besoins de mon travail de journaliste, ainsi que pour mes deux précédents livres, "Tunisie, une révolution arabe" (Galaade, 2011), et "La Révolution confisquée" (Actes Sud, 2012).

On constate des changements de rythme dans votre récit. Sont- ils volontaires et liés à la narration?
Absolument, je conçois d'abord le texte comme une musique, comme une ensemble de rythmes, de vagues, dont la succession est au service de la narration.

Vous abordez le journalisme par la petite porte. Que pensez-vous du métier aujourd'hui?
Je ne crois pas que le roman aborde le métier de journaliste par la petite porte, au contraire, il montre son extrême proximité avec le quotidien et le réel tel qu'il se déploie dans la Grande Borne. Le fait de convertir un mécano en apprenti journaliste montre bien qu'il s'agit ici d'un métier ouvert, qui laisse une grande place à improvisation, et dont l'apprentissage n'est par définition jamais achevé. Bien plus qu'un "intellectuel", le journaliste est avant tout un artisan de l'info, qui la travaille pour la rendre la plus intelligible possible pour le lecteur et la mettre en résonance avec l’environnement qui l'a produit.

Les femmes paraissent évanescentes dans votre livre, Selima, Mathilde, Nadia. Est-ce voulu?
Dans la mesure où le récit est conduit par un homme, Bruno, en apprentissage amoureux si je puis dire, le caractère évanescent des femmes qu'il rencontre est surtout lié à ses interrogations vis-à-vis d'elles, à l'image qu'il s'en fait, à la distance qu'il imagine et qu'il construit entre elles et lui.

L'attente a aussi sa place, semble-t-il. De quoi est-ce le signe?
L'attente est une des expériences les plus difficiles, qui exige à la fois de la force et la confiance dans le parcours que l'on est en train d'emprunter. Comme nous tous, Bruno est sans cesse confronté à elle. Mais la richesse des quelques mois que nous vivons en sa compagnie lui permet de l'apprivoiser, et de comprendre qu'elle n'est pas nécessairement son ennemie, et qu'il lui peut finalement aller puiser en lui-même les ressources pour construire sa propre permanence.



mardi 11 mars 2014

LAU chaud avec Petit Pierre

Adrien Albert est définitivement un nom à retenir. Celui d'un auteur-illustrateur de la nouvelle génération qui confirme les espoirs placés en lui dès son premier album, le déjà fameux "Seigneur Lapin" (L'école des loisirs, 2008).

La première page de la nouvelle histoire d'Adrien Albert.

La première page de son tout nouvel album, "Au feu Petit Pierre" (L'école des loisirs, 36 pages) présentant en couverture une voiture de pompiers comme les enfants les apprécient, est déjà un petit régal. "Cette nuit, dans la caserne, Orang-outan, Jars et Petit Pierre profitent d'un moment calme pour se détendre", signale le texte. Car l'illustration en dit cent fois davantage. On y voit notamment trois lits superposés, Petit Pierre qui lit, Jars qui empile des cubes, des jouets, des casques de pompiers, la célèbre colonne d'accès pour ne pas perdre de temps dans les escaliers et plein d'autres petites choses à repérer.

Cette quiétude ne va guère durer car la sirène retentit dans la caserne des pompiers. Un incendie s'est déclaré quelque part. Les trois pompiers casqués foncent et sautent à bord de leur camion rouge, chacun à son poste. On en verra le détail et la raison d'être en cours de récit.

Il va s'en suivre une aventure pleine d'inattendu et de rebondissements. On découvre au fil des doubles pages à fonds colorés changeants comment Petit Pierre, Orang-outan et Jars vont rivaliser d'habileté pour juguler l'incendie qui ravage toute la ville. Leurs techniques sont souvent originales mais rudement efficaces. Qu'il s'agisse d'aspirer la fumée, de pomper l'eau nécessaire ou de sauver la Mamie de Petit Pierre, en très mauvaise posture sur son bout de plancher, le reste s'étant écroulé.
Encore une fois, la technique des trois pompiers fait merveille.

Première mission de Petit Pierre: arroser Bubulle, le poisson rouge de Mamie.

Il ne s'agit pas de dévoiler ici la finale des rebondissements pleins de fantaisie mais de saluer l'imagination d'Adrien Albert qui rend toute son histoire logique, un pied dans le domaine des adultes, un pied dans celui des enfants. Sans oublier son talent graphique qui opte pour les couleurs en aplats.

A l'heure du "tout électronique", il est vraiment plaisant de découvrir une histoire aussi fouillée sous son apparente simplicité. Avec des jouets et des idées d'enfants dans des codes d'adultes. Du suspense, de la fantaisie et de l'humour. C'est rudement d'avoir chaud et de trembler avec Petit Pierre!


En 2012, Adrien Albert publie l'album  "Simon sur les rails", avec un lapin blanc aux idées aussi originales que bien accrochées.
On y découvre notamment pourquoi les marteaux ont une partie de leur manche peinte en rouge – déjà là, il faut bien regarder les images car le texte ne le mentionne pas. La raison est simple: à la chaîne de l’usine de marteaux, Simon, un lapin blanc, est celui qui porte le coup de pinceau sur le manche.

Il est content, le héros, ravi même. Il part en week-end chez son grand frère. Il ira en train de l’autre côté de la montagne où il est attendu. Sa course joyeuse est arrêtée net par un employé des chemins de fer: le train du soir est annulé. Simon a les oreilles qui en tombent. Et pas du tout envie d’attendre le train du lendemain comme l’y invite son grand frère.

Mais il a de la ressource, le joli lapin blanc, pressé à sa manière. Il va suivre les rails qui mènent à la ville. Besace sur le dos, oreilles au vent, il court sur la voie ferrée pour faire une surprise à son frère. Jusqu’à ce qu’il rencontre un tunnel sombre, inquiétant.Commence alors pour lui une véritable épreuve d’alpinisme. Le lapin est si petit dans les paysages immenses! Une épreuve d’endurance également quand la nuit tombe et noircit les lieux. Au matin, le jeune héros "a tellement marché qu’il ne sent plus ses pattes". Il arrive à l’extrémité du tunnel en même temps que le train. Il ne lui reste qu’à piquer un nouveau sprint en direction de la gare…

Adrien Albert confirme avec "Simon sur les rails" son talent et son charme. Un très agréable graphisme proche de la ligne claire et, surtout, un passionnant rapport texte-images invitant le lecteur à décrypter chacune des pages. Ses histoires sont issues de scènes quotidiennes et conduites de main de maître jusqu’à leur issue, invitant l’humour, l’imaginaire et la magie dans des récits à hauteur d’enfant. Ses albums révèlent de nouveaux détails à chaque lecture.


"Cousa" (L'école des loisirs, 2010), démontrait déjà qu'on ne peut compter que sur soi et sur son imagination.Le titre est le nom d'une petite fille en vacances chez sa grand-mère en compagnie de ses quatre grands frères. L'album raconte le premier jour de ces vacances. Ce moment où chacun cherche ses marques, défend le territoire qu’il s’est attribué.

La brunette en fera les frais. Elle se fait sauvagement remballer par ses aînés quand elle se présente au grenier dont ils occupent l’espace. Pas facile d’être la plus jeune… Au passage, on remarquera leur formidable installation de ville fortifiée, toute en blocs de bois et matériaux de récupération.

Déçue par le refus du chat et de la grand-mère qui lui préfèrent la sieste, Cousa sort dans le jardin. Tiens, un trou dans la haie. Un passage? Oui, vers la rivière proche. Elle y entre avec plaisir quand son regard est attiré par des mouvements dans les buissons.

Un ours sort de la verdure, aussi brun qu’elle, mais aussi grand qu’elle est petite. Cousa est terrifiée, surtout quand il s’approche. Mais il se détourne. Il a autre chose à faire et s’en va. La fillette a eu chaud mais elle se sent fière d’elle. Toutefois, elle ne partagera l’aventure ni avec sa grand-mère ni avec ses chamailleurs de frères. Cousa est comme elle est et c'est comme cela qu'on l'aime.




vendredi 7 mars 2014

LA pprécie les sculptures de guerre

Centenaire oblige, publications et rééditions d'albums jeunesse traitant de la Première Guerre mondiale abondent. Avant de les recenser - on a au fondtoute l'année -, je pointerai un album, tout juste sorti de presse et au sujet original, aussi parce que son illustrateur est à Bruxelles ce vendredi 7 mars.
Il s'agit de "On nous a coupé les ailes" dont le texte est signé Fred Bernard et les illustrations Emile Bravo (Albin Michel Jeunesse, 56 pages). Ce dernier sera en dédicaces à la librairie Tropismes (11, Galerie des Princes, Bruxelles) ce vendredi 7 de 16 à 19 heures.

L’histoire a été inspirée par des petits avions fabriqués dans les tranchées, avec des douilles et des éclats d’obus, par l’arrière-grand-père de la compagne de Fred Bernard. C’est en quelque sorte un trésor de famille qui nous est offert ici. Emile Bravo s’est emparé de cette histoire avec des illustrations mêlant les souvenirs de l’enfance de René, sa fascination pour l’aviation et l’enfer de la Grande Guerre.

L'album suit une double chronologie en parallèle: d'une part, la vie d'enfant insouciant de René, que l'on découvre gamin dans sa famille en août 1899, et d'autre part, celle que René à peine plus âgé, on est le 5 octobre 1914 et il est devenu soldat dans les tranchées, écrit à sa famille. Déjà en 1914, la situation est loin d'être rose sur le front.

Après le gris de la guerre, retour à la lumière et aux couleurs pimpantes pour célébrer la vie. On est alors en juillet 1903 et les frères Wright commencent à faire des vols planés de quelques centaines de mètres avec leurs avions en devenir. René est tout de suite fasciné par tout ce qui vole.

Retour dans la boue et la désolation le 5 janvier 1915. Le nouveau brigadier continue à raconter à sa mère ce qui se passe et ceux qui ne sont déjà plus là. Quelques mois plus tard, le 15 août de la même année, René voit passer les premiers avions de guerre, et assiste du fond de son trou aux premiers combats aériens.

Nouveau flash-back: décembre 1903 et les histoires du grand-père de René, et aussi, le 17 de ce mois, le premier vol motorisé des frères Wright!

Du côté de la guerre, dans sa lettre du  19 juin 1916, René le poilu dénombre de plus en plus de morts et les saisons qui ne semblent plus avancer. Seule maigre consolation, les avions qui traversent le ciel et font son bonheur.

L'album "On nous a coupé les ailes" se poursuit dans cette alternance de périodes, la première correspondant aux progrès de la toute jeune aviation, la seconde s'enfonçant de plus en plus dans les drames de la guerre. La vie dans les sous-sols, pour survivre, sans autre occupation que de construire des petits avions avec les douilles d'obus que René envoie en cadeau à sa famille.

Vient enfin le jour où la guerre s'arrête. Le brigadier René Nicolas s'en sort vivant. Les petits avions qu'il assembla sont toujours conservés aujourd'hui par son arrière-petite-fille. Précieusement. On la comprend.



mardi 4 mars 2014

L100 va parler de poésie à Radio Panik

A Radio Panik pour "Poésie à l'écoute". (c) Mélanie Godin.

Mercredi 5 mars à 19 heures, vous pourrez m'écouter sur Radio Panik (105,4 FM à Bruxelles) dans l'émission "Poésie à l'écoute" ou me réécouter ensuite (http://www.radiopanik.org/emissions/poesie-a-l-ecoute/). Mélanie Godin m'y a invitée, ainsi que Natacha Wallez (IBBY).
J'y parlerai de littérature de jeunesse en général, un peu de la Foire du livre qui vient de s'achever, et surtout de la poésie destinée aux enfants.


La poésie pour les enfants, ce n'est pas comme Tintin, de 7 à 77 ans! Cela commence à la naissance avec les "Enfantines", ces formulettes traditionnelles qui, depuis des siècles, font les délices des tout-petits, et les  "Berceuses", premier patrimoine de l'enfance. Deux genres de textes cousins que Marie-Claire Bruley et Lya Tourn ont réunis dans deux superbes recueils grand format, remarquablement illustrés par Philippe Dumas (L’école des loisirs, 1988 et 1996).


Après ces panoramas patrimoniaux, je présente la création contemporaine de comptines, à travers la collection tout-carton "Les comptines en continu", d’Olivier Douzou et Frédérique Bertrand (Rouergue). Des histoires d'animaux, pleines d'humour et d'inattendu, jouant avec la langue et les images. Douze volumes sont prévus, six sont parus: "Poney", "Teckel", "Ours", "Minou", "Truite" et "Zignongnon". On attend les autres avec impatience!





D'autres excellentes créations contemporaines se nichent dans la collection "Pommes pirates papillons" des Editions Motus, forte déjà  de 24 titres imprimés sur papier recyclé coloré.

Dernier paru: "Un jardin sur le bout de la langue", de Constantin Kaïtéris et Joanna Boillat (Motus, 72 pages), une autre façon de consommer, par la poésie, la sacro-sainte ration des cinq fruits et légumes par jour! A raison de cinq doubles pages? D'autres façons en tout cas de considérer citrouilles, lentilles, navets en fleurs ou pas, plein d'autres légumes et de fruits, et même l'oignon! Avec fantaisie, imagination et une fameuse gourmandise pour les goûts et pour les mots.

Dans les titres anciens, je pointe "Poèmes sans queue ni tête", d'Edward Lear, adaptés par François David (2004), et "Le rap des rats", de Michel Besnier (2002), tous deux illustrés par Henri Galeron. Sans oublier, dans une autre collection, la dernière création de ce dernier, sur des textes de Philippe Annocque, "Dans mon oreille" (2013).




Aux amateurs de poésie classique, illuminée par des artistes contemporains, je conseille de s'orienter  vers la collection "Enfance en poésie" (Gallimard Jeunesse). Déjà riche de plus de trente titres, elle a été créée par Guy Goffette à qui l'on doit la phrase: "Il suffit de les nommer pour que les choses se mettent à exister, à danser, à chanter, à rire. La poésie, c'est un peu cela: faire exister ce qui n'existe pas."


Enfin, parmi toutes les parutions récentes en poésie destinée aux enfants, j'ai retenu la réédition des "Poèmes pour sourigoler" d'Alain Boudet, illustrés cette fois par Huguette Cormier (Les carnets du dessert de lune, collection "Lalunestlà"). Des poèmes pour grignoter la vie du bon côté.
Parce que la poésie sait aussi ne pas se prendre au sérieux, se faire légère, joyeuse et même s'amuser un coup, rejoignant ainsi dans ses délicieuses applications les plus sérieuses de ses définitions.

Un exemple parmi les 25 poèmes réunis dans le recueil.

Poème pour faire la sieste
Aujourd'hui
il fait soleil
il fait bleu
il fait sourire
il fait doux

Et moi je ne fais rien.


Et en illustration sonore, ceux, qui me connaissent sauront pourquoi, la "Ballade de Noël", de Noé Preszow, dédiée aux réfugiés afghans du Béguinage.