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lundi 19 mai 2014

L100 va écouter Aharon Appelfeld à Flagey

Aharon Appelfeld. (c) Hannah/Opale.
Aharon Appelfeld, c'est simple, je l'aime.

J'aime l'homme, né à Czernowicz en 1932, sa force, son esprit de résistance, sa capacité d'adaptation.

J'aime l'écrivain. Celui qui écrit pour les adultes, beaucoup (plus de 40 livres) et  depuis longtemps, en hébreu, cette langue qu'il a apprise à l'adolescence. Celui qui s'est décidé, à 80 ans passés, de se lancer dans un roman pour enfants.

Aharon Appelfeld, c'est simple, je l'aime.

Et, merveille des merveilles, l'écrivain israélien est à Bruxelles cette semaine!

Le mercredi 21 mai, à 20 h 15,  il sera à Flagey, à l'initiative de Passa Porta.
L'écrivain Joseph Pearce s'entretiendra avec lui, en anglais. Ce sera l'occasion de l'entendre à propos de son œuvre magnifique et nécessaire.
Il reste des places. Ne passez pas à côté d'une telle rencontre. Pour réserver, c'est ici.

Autre chance exceptionnelle: Aharon Appelfeld est annoncé à la librairie La Licorne le vendredi 23 mai de 17 h à 18 h 30. Lectures d'extraits de son œuvre par Patricia Ide à 17 et 18 h, signatures et dégustation de thé.


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L'actualité littéraire francophone d'Aharon Appelfeld, c'est la sortie de la traduction française de son premier roman pour enfants, dense et bref, le prenant et superbe "Adam et Thomas" (traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti, illustré par Philippe Dumas, L'école des loisirs, grand format, 154 pages). Difficile de ne pas vibrer et frissonner à sa lecture tant il capte ses lecteurs. Sa sortie a enthousiasmé Israël. Normal, c'est un nouveau chef-d’œuvre.

Les deux garçons du titre, ces deux prénoms d'Adam et de Thomas, ont neuf  ans tous les deux. Ils représentent les deux visages de l'écrivain israélien. Petit, il avait déjà l'âme forte.

Le lecteur adulte reconnaîtra dans ce nouveau livre -  qui ne doit pas être réservé aux enfants même s'il leur est destiné - certains thèmes présents dans l’œuvre de l'écrivain en littérature générale. La guerre, la forêt comme refuge, la solitude, la protection invisible d'une mère, la foi en l'avenir, les rencontres improbables et salvatrices...

Ici, tout commence quand Adam est conduit par sa mère dans la forêt, un lieu qu'il connaît bien car il l'a souvent exploré avec ses parents, avant la guerre et le ghetto. Elle viendra le rechercher le soir. Adam est confiant. Il a son pique-nique et apprécie l'endroit. La journée se déroule tranquillement quand le gamin entend des pas. C'est Thomas qui déboule, lui aussi confié à la forêt par sa maman. Les deux garçons se connaissent de loin. Ils sont en classe ensemble mais n'ont pas vraiment sympathisé. Thomas est trop bon élève.Ils se découvrent toutefois vite un point commun, celui d'avoir oublié les consignes maternelles identiques: aller chez Diana, si leurs mères n'arrivent pas en fin de journée. Et ils vont vite se trouver de nombreuses complémentarités au-delà de leurs divergences.

Une illustration de Philippe Dumas.
Le roman raconte dans une belle langue au vocabulaire riche et précis les mois qu'Adam et Thomas vont passer dans la forêt. Car les jours vont devenir des semaines et les semaines se transformer en mois. Leur survie.
Que faire quand les provisions sont épuisées? Changer de nid, précaire abri construit dans un arbre, et continuer à chercher à résister. Découvrir la nature nourricière et hostile, la nuit, soigner les hommes blessés qui fuient l'ennemi. Avoir faim, très faim, froid, très froid. Etre mouillé, gelé même.

Aharon Appelfeld a vis-à-vis des enfants le même talent fou qui raconte les choses de l'intérieur. La guerre dans ce cas, qui a obscurci son enfance puisqu'elle lui a volé sa mère. Et ensuite son père et toute sa famille.

Avec l'écrivain israélien,on est vraiment dans le nid édifié dans l'arbre, en compagnie d'Adam et Thomas. On grimpe avec eux, on mange avec eux. On se baigne dans le ruisseau avec eux, on observe tout avec eux. On a peur pour eux. On frémit quand ils s'opposent. Mais on se réjouit quand des aides imprévues et providentielles leur permettent de tenir encore, quand leur arrive un compagnon inattendu, porteur d'une missive d'espoir.

On voit leurs forces et leurs faiblesses. Leurs différences, leurs complémentarités. L'un est croyant, l'autre pas. L'un est habile de ses mains, l'autre est plutôt intellectuel. L'un parle aux animaux, l'autre apprend à le faire. Mais tous deux s'interrogent sur la haine qui les  prive des leurs, qui envoie les pères au travail obligatoire, qui chasse les habitants. Les Juifs doivent-ils toujours souffrir?, se demandent-ils. Est-ce que tout ce qui nous arrive est un hasard?, est une autre de leurs questions.

"Adam et Thomas" est un roman exceptionnel par la manière dont il aborde la guerre et le ghetto. Habilement construit entre narration, dialogues entre les garçons et extraits du journal que tient Thomas, il compense la dureté de ses pages, obligatoire vu le contexte, par un espoir constant en la vie et une fin heureuse. Il glisse aussi des conseils: "Il n'y a pas de raison d'être en compétition. Chacun doit être fidèle à lui-même", dit ainsi Adam. Valérie Zenatti a trouvé les mots pour faire ressentir le texte de l'auteur dans notre langue. Les aquarelles de Philippe Dumas, extraordinaires, le rendent encore plus présent.

Ci-dessous, un entretien qu'Aharon Appelfeld a accordé à son éditeur français.

Et, en fin de note, deux de ses chefs-d’œuvre en littérature générale.













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Invité à la Villa Gillet, à Lyon, en 2009, on pose à Aharon Appelfeld la question "Quelle est votre position sur le débat entre histoire et mémoire? La littérature ne peut-elle pas servir de "casque bleu" entre les deux?" Il répond.
"La bonne littérature devrait rester modeste. Et devrait comprendre que son pouvoir est limité. La littérature, par nature, ne peut pas changer les hommes, ne peut pas changer la société. Mais elle est comme la bonne musique: cela fait germer en nous quelque chose d’essentiel, cela purifie notre vie, cela donne un parfum à notre vie et nous donne de la lumière. Donc la littérature, on ne connaît pas exactement son effet, mais elle porte le germe de quelque chose qui préserve notre humanité."



Toute l’œuvre littéraire d'Aharon Appelfeld, magnifique, est plus ou moins fortement inspirée par son propre chemin dans l'existence. Pas pour nous faire pleurer mais pour nous rendre plus humains.

C'est évidemment le cas de "Histoire d'une vie" (traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti, L'Olivier, 2004, Points, 2005), prix Médicis 2004.
Dans ce livre autobiographique, l'écrivain trace les contours de la mémoire pour résister à la souffrance.

Il partage les souvenirs de sa petite enfance à Czernowitz, en Bucovine où il est né en 1932. Il offre les portraits de ses parents, des Juifs assimilés, et de ses grands-parents, un couple de paysans à la spiritualité simple dont il est proche. Après le cauchemar de l'assassinat de sa mère, le ghetto, la séparation d'avec son père et les camps d'extermination, après les années d'errance d'un gamin de dix ans évadé d'un camp, après l'arrivée d'un garçon de quatorze ans en Palestine, vient le temps du silence, du travail, de l'invention d'une langue. L'hébreu, encore une nouvelle langue pour celui qui est né en allemand et en yiddish, a appris l'ukrainien et le russe.

"Plus de cinquante ans ont passé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale", écrit-il dans "Histoire d'une vie"." Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu'il pleut, qu'il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m'ont abrité longtemps. La mémoire, s'avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l'odeur de la paille pourrie ou du cri d'un oiseau pour me transporter loin et à l'intérieur."



Dans "Le garçon qui voulait dormir" (traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti, L'Olivier, 2011, Points, 2012), autre récit exceptionnel au titre a priori énigmatique quoique idéal, Aharon Appelfeld se penche cette fois avec davantage de précision sur son adolescence.

Il met en scène le jeune homme qu’il a été, un Erwin juif de 17 ans, originaire de Bucovine, sorti vivant du ghetto, d’un camp de déportation, de la forêt, et qui a rejoint une cohorte de réfugiés. Un garçon qui a frappé ceux qu’il a côtoyés par son besoin inouï de sommeil. Partout où il était durant cette errance, il dormait. "Dans mon sommeil j'étais relié à mes parents, à la maison dans laquelle j'avais grandi", écrit Aharon Appelfeld. Certains de ses compagnons de voyage étaient d’avis de le laisser sur place, mais il s’en est toujours trouvé un pour transporter également "le garçon du sommeil" endormi.

A l’ouverture du livre, Erwin se trouve à Naples et tente de sortir de ses torpeurs. Eveillé, il croit reconnaître en ceux qui l'entourent un oncle ou une tante. Ces illusions vont toutefois lui donner la force de reprendre pied dans l'existence. Là, sur les plages italiennes, il sera contacté comme d'autres jeunes gens par Efraïm, un émissaire de l'Agence juive. Il suivra un entraînement physique intensif et apprendra l'hébreu, moyen aux yeux de ceux qui veulent créer l'Etat d’Israël d'unifier les apatrides. On le convaincra même de changer de prénom. Erwin deviendra Aharon.

Il embarquera ensuite clandestinement à destination de la Palestine, alors sous mandat britannique. Nouveau séjour en camp, puis établissement d'une ferme dans les montagnes de Judée. Il y construira des terrasses agricoles. Et tombera, salement blessé aux jambes, lors d'un des premiers combats. Il n'a pas dix-huit ans et sa vie n'a été que zigzags! Suivront l'hôpital, les opérations multiples, la maison de repos, les amis qui viennent ou ne viennent pas, la convalescence, d’autres espoirs…

Ces épreuves alignées sans pathos sont ponctuées de rendez-vous nocturnes magiques, quasi quotidiens, qu'Aharon entretient avec sa famille tant aimée et disparue dans la guerre. Sa mère affectueuse, attentive à son enfant unique, son père plus lointain mais présent à sa façon et qui lui transmet l’idée d'être écrivain, ses grands-parents qui habitent les Carpates et lui donnent le goût de la nature. Ces rêves nocturnes le rassurent et l'accompagnent le jour. Il y tient de véritables conversations avec ses disparus, et en garde le souvenir au réveil.

Tant d'amour vibre entre lui et les absents qu'il lui donne la force de vivre et de s'ouvrir aux autres, parfois aussi mal lotis que lui. Que de rencontres lumineuses, de moments de grâce, d'inventivité littéraire, dans ce roman superbe qui n'élude aucune question. En une langue magnifique, le citoyen israélien aborde aussi bien la perte des siens et de sa langue maternelle, l'allemand,  que la force de l'amour et la naissance d'un écrivain extrêmement exigeant avec lui-même: il recopie la Bible en hébreu pour pénétrer sa nouvelle langue et attendre qu'elle lui souffle les mots à écrire lui-même. Des mots qui offrent bonheur de lecture et réconfort total.


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