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mercredi 22 octobre 2014

Etre un garçon manqué ou une fille réussie?


Près de quarante ans après sa première publication, revoici Julie. Elle a, heureusement, toujours son ombre de garçon. Je veux bien entendu parler de l'album "Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon"  de Christian Bruel et Anne Bozellec  (Editions Thierry Magnier, 54 pages). Un indispensable de la littérature de jeunesse de qualité, qui reparaît pour la quatrième fois aujourd'hui, dans une édition qui retravaille fort agréablement l'usage de la couleur rouge.

Le Sourire qui mord.
Etre éditions.
Pour mémoire, l'histoire de cette jeune Julie qui découvre avec une soulagement et satisfaction qu'elle est une fille réussie et non un garçon manqué, ébauchée en 1974 avec Anne Galland, a vu le jour chez IM MEDIA en 1975, a été reprise au Sourire qui mord l'année suivante, et a aussi été rééditée chez Etre éditions en 2009. La voici aujourd'hui, comme de nombreux titres édités par Christian Bruel dans ses différentes maisons, aux Editions Thierry Magnier.

On redécouvre avec plaisir les images d'Anne Bozellec, en noir et blanc pimenté de quelques aplats de rouge et sur doubles pages. Un trait simple et explicite que complète un texte souvent bref, tremplin vers cette belle et originale histoire de quête d'identité.

La première double, où la chaise est à imaginer en aplat rouge.

Manque le rouge des deux chaussettes. (c) Ed. Th. Magnier.

Les auteurs commencent par planter le décor: Julie lit dans sa chambre d'enfant, couchée sur son lit, ses patins aux pieds et son chat à côté d'elle. En écho, les remarques de la mère invisible et une brève présentation de Julie. Ce qu'elle est, ce qu'elle n'est pas. Ce qu'elle aime, ce qu'elle n'aime pas. La manière dont sa maman la rêve aussi: bien coiffée et avec un pull non déchiré. Un garçon manqué? Ses parents lui ressassent la formule. Julie n'en peut plus de l'entendre.

C'est au point qu'un matin Julie se réveille avec une ombre de garçon à ses pieds. Elle est la seule à la voir, cette ombre qui l'encombre et la dérange. Car au fond d'elle-même, elle sait bien qu'elle est une fille. Elle va utiliser toute son énergie à lutter contre cette ombre masculine envahissante. Au point de se perdre, de douter d'elle-même, de flancher.

Elle se réfugie au parc, près d'une stèle dédiée à Charles Perrault. Se cache dans un trou où la découvre un garçon qui pleure. Un garçon qui pleure comme une fille, selon son entourage. Les deux vont discuter ensemble toute la nuit - et tant pis si leurs parents les cherchent. Leur conclusion: "On peut être fille et garçon à la fois si on veut. Tant pis pour les étiquettes. On a le droit!"

Un retour à la maison en paix. (c) Ed. Th. Magnier.
Le matin les voit rentrer chacun dans soi, réconciliés avec eux-mêmes et le monde. Ils s'étaient perdus mais ils se sont retrouvés, formule joliment à double sens, comme on le voit dans l'ouvrage. Et Julie est avant tout Julie.

"Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon" est un album toujours aussi bienfaisant. La nouvelle maquette convient bien à la sobriété accueillante du texte et des images. Pas une ride à cet indispensable.


Christian Bruel.
Trois questions à Christian Bruel, l'auteur et l'éditeur de "Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon".

Quel regard sur cette nouvelle édition?
J'apprécie beaucoup cette nouvelle édition de l'"Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon" presque quarante ans après la première. Cet album, conçu en 1975, a connu sept réimpressions au Sourire qui mord, moult éditions étrangères, une nouvelle édition chez Être en 2009 (nouvelle maquette, nouvelle pagination, nouveau format). L'édition chez Thierry Magnier revient au format carré et est assez proche de l'édition originale. Elle donne aussi à lire un "plus" en archive: l'intégralité du texte de la première version datée de 1974.
Pourquoi le nom d'Anne Galland a-t-il disparu de la couverture?
Un ouvrage consacré à nos aventures éditoriales devrait paraître prochainement aux éditions du Cercle de la librairie. Il y sera marginalement question des variations des couvertures et des noms d'auteurs! Une vraie jungle: apparitions, disparitions, pseudonymes (il y aura des révélations!), absence des auteurs (et de la maison d'édition) sur les plats de couverture des six premières impressions de "Julie" au Sourire qui mord, etc. L'époque était épique et peu soucieuse des usages professionnels. Ainsi la collaboration amicale d'Anne Galland est créditée en page titre seulement pour les éditions au Sourire qui mord, puis en couverture de l'édition Être, et sous la forme d'un envoi-hommage face à la page titre dans l'édition chez Magnier. L'explication est simple: une question de contrats. Les seuls à avoir (tardivement) signé un contrat pour ce livre sont Anne Bozellec pour les images et Christian Bruel pour le texte. La collaboration d'Anne Galland à l'histoire n'a pas fait l'objet d'un autre écrit qu'un mot où elle disait ne rien revendiquer en la matière. Nonobstant, j'ai tenu personnellement à ce que son nom passe en couverture pour la nouvelle édition chez Être, ce qui n'était plus contractuellement possible pour l'édition Magnier…
Les versions de Julie ont connu beaucoup d'aventures, non?
Ce livre-phare a connu bien d'autres mésaventures: le camion s'est renversé lors de la livraison à mon domicile de la seconde édition au Sourire, la couverture de la troisième impression, réalisée en Italie avec l'édition italienne (traduction Adela Turin chez Della Parte Delle Bambine), s'est trouvée être d'un rose assez laid que je n'ai découvert qu'à la livraison, l'adaptation en vue d'un long métrage (scénario et dialogues de Christian Bruel et Maurice Bunio) qui aurait été réalisé par Maurice Bunio (réalisateur pour la télévision) et dont le producteur aurait été le même que pour "Jeux interdits", a passé une première commission du Centre national du Cinéma (CNC) avant d'être retoqué suite à d'obscures tractations propres au milieu du cinéma, les originaux du livre ont été volés dans un train lors de la co-impression italienne et, plus tard, les seuls films existants seront détruits lors de la liquidation d'une imprimerie: à l'époque, la fin des éditions Le Sourire qui mord, nous avions d'autres soucis que la conservation patrimoniale! 


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