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mercredi 1 octobre 2014

Quand la belle de Nadia Galy retrouve son étoile

Qui connaît le nom de Saint-Pierre-et-Miquelon?
Les fervents de géographie.
Les lecteurs d'Eugène Nicole.
Pour le reste, pas grand-monde sans doute...

Et bien entendu la romancière Nadia Galy qui, architecte de profession sous son vrai nom de Nadia Agli, a passé six années dans l'archipel français, situé près de Terre-Neuve. De 1998 à 2004, notamment pour y construire un aéroport. Tiens, c'est justement à l'aéroport de Saint-Pierre que travaille l'héroïne de son beau nouveau roman, "La belle de l'étoile" (Albin Michel, 234 pages). Une histoire d'amour tragique qui commence dans l'obscurité et se termine dans la lumière, un livre apaisant, une résilience.

Ce troisième livre de la Franco-Algérienne, née à Alger en 1961 et arrivée à Paris vingt ans plus tard, est le premier qu'elle écrit à la première personne et dans la peau d'une femme. Une narratrice qui n'a pas de nom, "Je ne sais pas pourquoi", m'avoue Nadia Galy lors de son passage à Bruxelles, mais qui explique dès les premières pages le drame qu'elle a vécu: Sorj, son amour, son amant, son présent et son futur, s'est suicidé, et c'est elle qui a découvert son corps. Son histoire d'amour fulgurante est stoppée net. Elle est vidée. Après un séjour en hôpital psychiatrique, elle part travailler à l'aéroport de Saint-Pierre-et-Miquelon. Au bout du monde. Loin de lui, loin d'elle-même, loin de son père. La contrôleuse aérienne a toutefois pris le soin de se faire expédier là-bas les 107 lettres que Sorj lui a écrites quotidiennement durant leur histoire.

Nadia Galy. (c) David Ignaszewski.
"Je voulais poser le problème dès le départ", m'explique Nadia Galy. "L’objet du livre n'est pas le suspense par rapport à la mort de Sorj. Mais la solitude, l’amour, l’engagement. C'est un roman d'amour. Je voulais raconter la plénitude qu’engendre l’état amoureux, cette réciprocité formidable à vivre. Mais j'ai aussi voulu montrer qu'en dépit de cet amour incroyable qu'il avait pour elle, son geste l'a dégradée. Le drame qui entame le livre pose les choses. Mais on pressent que cela va s’arranger. L’héroïne part dans l'idée de disparaître. Elle va dans le froid, ne mange presque rien, boit inconsidérément, fume exagérément. Même si tout cela présente un aspect assez puéril." 

Au début, la jeune femme ne sait pas quoi faire d'elle, à part se faire du mal, ce en quoi elle est experte. Dans ce monde extrême, elle ajoute d’autres extrêmes, ne pas se nourrir, boire, fumer, se dévêtir dehors, se baigner la nuit. Elle s'installe à Saint-Pierre et en découvre les usages tout en se remémorant son histoire avec Sorj. Elle travaille, va régulièrement recueillir poste restante les lettres de Sorj, y répond cette fois. Va-t-elle rafistoler son passé?

"J'ai inventé l'idée de mon personnage de se réexpédier les lettres qu’elle a reçues", avance Nadia Galy, profondément attachée à ce roman. "Mais le résultat a agi même sur moi. Au début, je voulais qu'elle meure. Les lettres et ce qui se passe entre les lettres vont avoir une telle influence qu'elle continue à vivre. Quand le temps passe, il y a des choses de la vie qui vous retiennent."

Petit à petit, le livre se construit, dépliant d'autres pans éminemment romanesques que la romancière n'avait absolument pas prévus. On suit avec intérêt le chemin de sa contrôleuse aérienne dont le métier semble tellement en opposition avec son comportement personnel. "J'aime bien l’idée de son métier. Il l’oblige à rester isolée de longs moments dans la journée. Et puis, de la tour de contrôle, on a une vision à 360°. Elle aide les gens à partir, à revenir. Elle voit aussi la petite ville de loin, la foule. Elle n’a pas d’histoires avec les habitants. Quand elle est hors du boulot, elle n’est plus au boulot. Elle est assez carrée en réalité. Elle suit les procédures en usage dans le monde de l’aviation." Mais elle tisse aussi quelques liens qui donneront lieu à de fameux rebondissements.

"La belle de l'étoile" se lit avec d'autant plus de plaisir qu'on en savoure aussi l'écriture, riche d'expressions descriptives bien trouvées, un peu comme les épithètes homériques. "Je suis née à Alger, je parle deux langues, français et arabe. L'arabe est une langue où on est obligé d'avoir des images. En français, je manque d'expressions, il y a des tas de mots insuffisants. J'aime bien raconter des histoires mais le plaisir qui fait que je continue d'écrire, c'est une page riche. J'aime écrire comme les enfants  font de beaux dessins, de bons matches, des réussites. Par exemple, les scènes de la toilette mortuaire et de la lettre finale, je les ai écrites en une fois. Après, j'étais apaisée. J'avais l'impression d'être juste, j'étais sereine. Je n'avais pas besoin d'avis sur ces passages."

C'est une héroïne qui a rafistolé bien plus que son passé qu'on laisse au terme de la lecture de ce beau roman. Une jeune femme qui s'est réconciliée avec son histoire et rappelle le pouvoir de la résilience. En plus, avec humour et autodérision!



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