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mardi 4 novembre 2014

Mission accomplie pour les jurés du Médicis


Fondé en 1958 par Gala Barbisan et Jean-Pierre Giraudoux, le prix Médicis se donne pour mission de couronner un ouvrage dont l'auteur débute ou n'a pas encore une notoriété correspondant à son talent. But parfaitement atteint avec les lauréats 2014, dans chacune des sections.

Réuni à son habitude au restaurant La Méditerranée, place de l'Odéon, ce mardi 4 novembre, le jury du prix Médicis a en effet récompensé  Antoine Volodine et son "Terminus radieux" (Seuil, 624 pages) en catégorie roman français. L'auteur aux quatre pseudonymes l'a emporté au premier tour de scrutin par  huit voix contre une pour Laurent Mauvignier ("Autour du monde", Minuit). Rappelons qu'il n'y avait pas eu de troisième sélection.

Né en 1950, ce forçat du travail pratiquant le "post-exotisme" aligne un nombre considérable de romans chez de nombreux éditeurs. On en recense une vingtaine sous le nom d'Antoine Volodine, depuis 1985, chez Denoël, Minuit, Gallimard, Seuil. Sans oublier quelques traductions du russe chez Denoël, Flammarion et aux Editions de L'Olivier.

Et sous ses autres identités?
En tant qu'Elli Kronauer, il signe entre 1999 à 2001 cinq romans pour adolescents, inspirés par la Russie, à l'école des loisirs. On le retrouve chez le même éditeur avec dix autres romans pour adolescents, de 2002 à 2011, sous le nom de Manuela Draeger. Un pseudo qu'il utilise aussi pour deux romans publiés aux Editions de L'Olivier, en 2010 et 2012. Est-ce assez pour un seul homme? Bien sûr que non. C'est toujours le même romancier qui se fait cette fois appeler Lutz Bassmann quand il publie aux Editions Verdier, quatre romans pour le moment, entre 2008 et 2012.

Avec tout cela, l'excellent romancier n'avait ramassé que deux récompenses, le prix du Livre Inter 2000 pour "Des anges mineurs" (Seuil) et le Grand prix de l’imaginaire en 1987 pour "Rituel du mépris" (Denoël). Grâces soient rendues aux jurés du Médicis, Emmanuèle Bernheim, Michel Braudeau, Dominique Fernandez, Anne F. Garréta, Patrick Grainville, Frédéric Mitterrand, Christine de Rivoyre, Alain Veinstein et Anne Wiazemski.

Dans "Terminus radieux", Antoine Volodine revient à son inspiration russe en mettant en scène des morts-vivants, des princesses et des corbeaux obstinés à poursuivre le rêve soviétique, dans une Sibérie rendue inhabitable par des accidents nucléaires. Le début du roman est à lire ici.


Le prix Médicis du roman étranger a été décerné à l’Australienne Lily Brett pour son sixième roman mais le premier disponible en français, "Lola Bensky" (traduit de l’anglais par Bernard Cohen, La grande ourse, 270 pages). Une découverte donc que ce livre très autobiographique, qui raconte l’histoire  d'une jeune journaliste de rock un peu naïve qui, lorsqu'elle n’interviewe pas Mick Jagger ou Jimi Hendrix, pense au prochain régime alimentaire qu'elle va suivre. Hommage aux génies du rock des années 60 et 70, il retrace aussi le destin d'une femme, fille de rescapés de la Shoah, qui se bat contre ses fantômes avec humour, tendresse et générosité.

Lily Brett est née en Allemagne en 1946 dans un camp de personnes déplacées. Ses parents se marient dans le ghetto de Lodz (Pologne), puis sont séparés à leur arrivée au camp d'Auschwitz. Ils survivent à la Shoah et se retrouvent quelques mois après la fin de la guerre. En 1948, la famille émigre en Australie, à Melbourne, où Lily Brett grandit. A l’âge de 19 ans, elle est embauchée par un magazine de rock australien et interviewe des dizaines de musiciens, y compris ceux qui deviendront des légendes du rock, comme Jimi Hendrix, Mick Jagger, Janis Joplin, Brian Jones… Sa vie s’articule alors autour de l’écriture. Romancière et poète, elle vit aujourd’hui à New York.


Enfin, Frédéric Pajak, né en 1955, encore un homme doué mais méconnu, a été désigné prix Médicis de l'essai pour "Manifeste incertain 3" (Editions Noir sur blanc, 224 pages) par cinq voix contre quatre pour Jean-Yves Jouannais ("Les barrages de sable", Grasset) au deuxième tour.

Il s'agit du troisième volume d’une série commencée en 2012 et il a comme décor Paris en 1939, pendant la "drôle de guerre". L'écrivain et philosophe Walter Benjamin a été interné dans un camp de travailleurs à Nevers puis libéré sur pression de ses amis. Il s'enfuit de la capitale à l'arrivée des troupes de la Wehrmacht. Commence alors pour lui une errance dans le Midi puis dans les Pyrénées, jusqu'au poste-frontière espagnol de Port-Bou où, menacé d'être livré à la Gestapo, il se donne la mort.

Le récit s'entrecroise avec une évocation du poète américain Ezra Pound, exilé à Rapallo, au nord de l’Italie fasciste, dont il partage aveuglément les opinions. À Rome, le poète rencontre Mussolini dans le but de se mettre à son service, mais celui-ci décline la proposition, convaincu d’avoir affaire à un esprit dérangé. Arrêté en 1944 par les Américains, condamné pour trahison, il est enfermé à Pise dans une cage en plein air, avant d'être interné durant treize ans dans son pays.

Deux figures antagoniques qui dessinent une époque, petites histoires dans la grande, écho ancien du temps présent.

Bien entendu, les trois lauréats 2014 étaient présents à Paris et ont posé pour "Livres-Hebdo".

Antoine Volodine, Lily Brett et Frédéric Pajak devant les jurés. (c) Olivier Dion.


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