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vendredi 31 juillet 2015

Quatre ans aujourd'hui!

Dessin de Claude Ponti pour les 50 ans de l'école des loisirs.

Et voilà! En route pour la cinquième année de ce blog lancé pile à la moitié des grandes vacances 2011.

Quasi cinq cents articles publiés, pour les grands et pour les petits.
Dans le peloton de tête des articles les plus lus, les décès de Maurice Sendak, Robert Doisneau, Mario Ramos et Alain Nadaud, et aussi les désirs d'interdictions du maire de Venise, depuis remballé à ses activités de maire par le ministre.

Plus de trois cent mille visites, nombre qui me réjouit le cœur.
Ci-après, quelques chiffres, parce qu'ils m'étonnent moi-même, fournis par l'hébergeur.
Si la moitié des connections viennent de France, treize pour cent sont localisées en Russie, à égalité avec la Belgique. Suivent les Etats-Unis (sept pour cent), l'Allemagne (quatre pour cent), la Suisse et le Canada (un pour cent et demi chacun). En tête du solde, la Turquie, l'Ukraine et l'Italie.


Mais surtout, parce qu'un anniversaire ne va pas sans cadeau, en voici un, et un fameux!
Une double page, en exclusivité mondiale, du prochain album de Claude Ponti, à paraître en novembre, "L'affreux moche Salétouflaire et les Ouloums-Pims" (L'école des loisirs), d'un format un peu plus petit que les deux derniers-nés, "Blaise et le Kontrôleur de Kastatroffe" (l'école des loisirs, 2014, 48 pages, lire ici), "L'avie d'Isée" (l'école des loisirs, 2013, 48 pages, lire ici).

Justement, à propos de derniers-nés, on va croiser de vieux bébés qui dorment dans ce nouvel album qui raconte, notamment, la rencontre des Ouloums-Pims.
Allez, encore quatre mois à attendre.
Le temps nécessaire pour savourer tous les détails de ce magnifique dessin de bébés et de grottes, dans lequel on distingue aussi les deux héros de ce nouvel album.

Dans les grottes, les vieux bébés dorment. (c) l'école des loisirs.

mercredi 29 juillet 2015

DTPE 8: les extrêmes avec Isabelle Autissier

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.

"Une île, un naufrage, un couple, des humains!"
C'est par ces quelques mots choisis qu'Isabelle Autissier présente son nouveau et troisième roman, l'excellent et plein de surprises "Soudain, seuls" (Stock, 249 pages) - un changement de maison d'édition parce que la navigatrice au long cours a suivi son éditeur de fiction, Manuel Carcassonne, passé de Grasset où elle avait publié les tout aussi bons "Seule la mer s'en souviendra" et "L'amant de Patagonie" (2009 et 2012) à Stock.

Voilà un livre magnifique qui nous emmène au bout du monde et au bout de soi. Ludovic et Louise sont des trentenaires heureux. Avant d'être trop âgés, ils partent faire le tour de l'Atlantique et peut-être du monde en voilier. Là, ils sont loin, près de la Patagonie chère à Isabelle Autissier.
"Là-bas est un endroit que je connais bien et que j'aime. Le rapport homme-nature m'intéresse, aussi dans le roman. Je pose les mêmes questions que dans "L'amant de Patagonie", celles de la position de l'être humain par rapport à la nature. Ici, le couple est dans un huis-clos. Leur amour est mis à l'épreuve de la situation. Jusqu'où peut-on aller quand ça craque de partout?"
Les marins débutants ont laissé le bateau à l'ancre près d'une île australe. Ils sont montés dans l'annexe avec l'idée de visiter cette ancienne base baleinière. Elle, férue de montagne, est inquiète à cause des nuages qui arrivent. Lui s'énerve de cette prudence: pourquoi déjà rentrer alors qu'ils n'ont rien vu? Même pas le fameux lac sec.
"C'est le drame des marins peu expérimentés. Ils font une petite bêtise et se retrouvent dans la mouise. Pour le livre, il me fallait de la dureté. Des couples comme Louise et Ludovic, on en connaît plein. Ils aiment la nature mais ont grandi en ville. Ils ont le fantasme de l'année sabbatique."
Isabelle Autissier. (c) Francesca Mantovani/Stock.
Evidemment une tempête se déclare, violente, modifiant complètement le paysage, secouant le bateau au loin, tellement forte que l'annexe et son petit moteur ne passent plus dans les fortes vagues. Louise et Ludovic décident de passer se mettre à l'abri sur l'île et d'attendre que le grain passe. La prudente et l'impétueux s'expliqueront plus tard. La nuit n'arrange rien. Le vent redouble de violence. "Ils sont là, tous les deux, sans aucun être humain à des milliers de kilomètres à la ronde, seuls dans ce grand vent", écrit Isabelle Autissier.
"Ce que je dis, c'est que la nature n'est pas un terrain de jeux. Mes héros le redécouvrent brutalement. Sans doute, leurs arrière-grands-parents s'en seraient-ils mieux sortis qu'eux."
Le lendemain matin, le soleil est là. Mais la baie est vide, le bateau a disparu. Ils sont seuls, prisonniers de cette île déserte. Une réserve naturelle interdite au public, destination cachée à leurs proches qui les croient en route pour l'Afrique du Sud.
"Moi aussi, j'ai navigué dans ce coin-là. Et je me suis dit: si je perds le bateau, je fais quoi?"
Cette situation de détresse absolue remarquablement posée, la romancière va nous faire côtoyer de près ses deux Robinsons modernes. Le grand blond fougueux, gâté par la vie et par sa famille, et la petite brunette osseuse peu considérée par ses parents. Un couple qui s'aime et va découvrir une adversité absolue. Ils sont dans une situation épouvantable, sans issue, mais décident de s'en sortir. Comment et à quel prix? C'est ce que l'écrivaine nous dévoile petit à petit dans ce récit prenant, où les phrases coulent en une musique harmonieuse, fruit d'un long travail: "En écrivant, je lis à voix haute. Les mots ont une musique, ils sont la respiration de la phrase."
"Au départ, je ne savais pas s'ils allaient survivre ou pas. A la fin de la première partie, dramatique, je me suis dit que je ne pouvais pas abandonner le survivant là-bas. J'ai voulu le faire revenir et je me suis demandé comment il allait ressortir de cette expérience. L'occasion de voir ce qu'on raconte  de sa vérité, comment les autres s'en emparent, ce qu'ils en font. Je voulais que le personnage survivant se reconstruise, qu'il ait une blessure mais que la fin soit positive."
Après de multiples péripéties qui montrent comment aller jusqu'au bout de soi, qui glacent le lecteur d'effroi tant il est en empathie avec le couple, seul au milieu des manchots, des otaries de mer et des rats,  le roman rebondit en une deuxième partie, plus centrée sur la pratique du journalisme, où là aussi, on voit comment un rêve peut devenir un cauchemar.
"Les êtres humains sont capables d'aller très loin dans leur résistance, ils sont éminemment adaptables à la faim, au froid, mais l'isolement auquel ils ne sont pas préparés est psychologiquement la chose la plus difficile pour eux."
L'instinct de survie de l'être humain est ici traité avec une infinie opiniâtreté. Quel talent de raconteuse elle a, Isabelle Autissier qui estime avoir écrit ici le plus romanesque de ses trois romans. "Publier un livre est un moment émouvant pour moi qui ne suis pas professionnelle. C'est une chose personnelle envoyée dans la sphère publique."
"Je n'avais aucun a priori sur ce qui allait arriver à mes personnages en commençant à écrire: j'avais un couple sur une île. Mais je vis avec eux. Je rêve d'eux. Les idées me viennent petit à petit. C'est le mystère de l’écriture."
"Soudain, seuls" est une superbe robinsonnade australe et contemporaine. Un terrible suspense qui  se déroule au loin tout en creusant la force de la résistance humaine et sans faire l'impasse sur ce qui se passe ici, chez nous, dans nos villes. Isabelle Autissier aborde par exemple le problème des réfugiés afghans en France. Pourquoi ce problème-là? "Parce que plein de gens font des choses aussi difficiles que mes personnages et ne sont pas des héros. Il ne faut jamais oublier cela." C'est, on l'a compris, un livre à ne pas manquer.

En ce moment, Isabelle Autissier navigue au Groenland avec un équipage composé d'alpinistes et de marins. "Mais, moi, je ne quitte jamais mon bateau, l'Ada 2, du nom d'une héroïne polaire", sourit-elle. "Je ne fais pas de course mais j'aime traîner dans des endroits lointains."



Rappel
DTPE 1 "Nous étions l'avenir", de Yaël Neeman (Actes Sud)
DTPE 2  "Jules", de Didier van Cauwelaert (Albin Michel)
DTPE 3 "Le Caillou", de Sigolène Vinson (Le Tripode)
DTPE 4 "Georges, si tu savais...", de Maryse Wolinski (Seuil)
DTPE 5 "Quatre murs", de Kéthévane Davrichewy (S. Wespieser/10-18)
DTPE 6 "Et si on aimait la France", de Bernard Maris (Grasset)
DTPE 7 "Les quatre saisons de l'été", de Grégoire Delacourt (JC Lattès)


lundi 20 juillet 2015

Prince, roi, princesse et reine

En préparation de la fête nationale du royaume de Belgique,
le 21 juillet, quatre albums pour enfants de circonstance: avec des couronnes. Quatre belles histoires.

Célia Le Dressay - Cati Baur
"Un Très Grand Prince"
L'école des loisirs, 40 pages

Voilà un album remarquable à tous égards. Le joli texte de Célia Le Dressay campe le portrait d'un jeune prince, misanthrope absolu, qui se laisse apprivoiser pour ne pas dire humaniser par une dynamique demoiselle à jupes arc-en-ciel ou pastèque. Les illustrations de Cati Baur réjouissent le regard et capturent l'attention.

Comment se sont- ils rencontrés, alors que le grognon vit seul sur une île minuscule où ne se dresse que son magnifique chapeau de sable? Que le solitaire chasse tout poisson ou toute mouette osant s'approcher de son royaume? Tout simplement, parce que la petite fille a accosté un beau matin sur sa plage et a frappé à sa porte. Qu'il l'a renvoyée et qu'elle s'est mise à pleurer.

Le Prince et ses jumelles. (c) l'école des loisirs.
Coincé, le prince a trouvé une solution: installer la visiteuse sur une autre île, pleine de végétation, visible à l'horizon. L'histoire aurait pu s'arrêter là si le prince n'avait eu envie de savoir ce que devenait sa naufragée. Et ce qu'il voit dans ses jumelles lui déplaît au plus haut point: la demoiselle danse, avec un pirate, une otarie et un singe. Il ne peut supporter cela et saute dans sa barque à trône royal.

Et là bien sûr, il va découvrir une autre manière de vivre. S'amuser entre amis, rire, danser, manger, boire. Ce jour-là, à l'occasion de l'anniversaire de la dernière arrivée, ce qui permet quelques quiproquos qui vont déboucher sur une autre relation entre le Très Grand Prince et la petite fille, surtout que les deux îles se sont par miracle rapprochées.

Y a d'la joie. (c) l'école des loisirs.

Si cet album est aussi enchanteur, c'est bien sûr à cause du talent de sa narratrice qui multiplie les épisodes prenants et enfile superbement rires et émotions, romantisme et réalité, mais aussi en raison des magnifiques illustrations de Cati Baur - elle a déjà passe en BD deux tomes des "Quatre sœurs" de Malika Ferdjoukh (Rue de Sèvres). Ses images à l'aquarelle, sobres ou luxuriantes, en vignettes sur fond blanc ou en larges plans à l'italienne, créent une magnifique atmosphère à laquelle il est difficile de rester insensible tout en prolongeant de mille détails superbes l'histoire de base. Son trait plein de finesse excelle aussi à rendre avec force les sentiments des personnages. Un vrai bonheur de lecture que cette histoire.

Les planches originales en vrac. (c) Cati Baur.



Jean Leroy - Matthieu Maudet
"Le pirate et le roi"
L'école des loisirs, 44 pages

Changement d'ambiance, d'époque (la Marine est alors royale) et de couleurs (variation de gris sombres relevés de points de jaune) dans cet album où le roi Jehan 1er, unique rescapé d'un terrible naufrage, débarque sur une île habitée seulement par un pirate hirsute, Matt le Maudit, au langage plutôt direct: "Alors, mon gros? On est tombé d'son bateau?" sont les mots qui accueillent le monarque. Ses oreilles n'ont pas fini de siffler...

Première rencontre. (c) l'école des loisirs.

Les deux lions, aussi opposés qu'on peut imaginer, vont devoir apprendre à vivre ensemble. Une cohabitation qui leur fait prendre chacun un peu de l'autre. Au point qu'ils finissent par se ressembler comme deux frères, l'un portant toujours sa couronne néanmoins.

Un an passe avant qu'une voile n'apparaisse à l'horizon et ne fasse route vers l'île. Et c'est là que le naturel va reprendre le pouvoir. Jehan en sera pour ses frais, pas tout à fait cependant, Matt s'étant montré un peu moins mauvais qu'imaginé.

On s'amuse beaucoup lors des conversations entre le pirate et le roi et on ne peut que s'étonner de l'aveuglement des marins de ce dernier. Des zèbres! Proches de la bande dessinée, les images donnent une belle présence aux deux personnages dont on suit avec plaisir l'évolution de la relation.


Christine Naumann-Villemin
Marianne Barcilon
"L'autre princesse"
Kaléidoscope, 32 pages

Eliette et Alice, les deux cousines-copines, les deux princesses, sont en vacances. Dans une caravane et en camping. Elles s'amusent rudement bien, prennent plaisir à tout ce qui se présente à elles, la caravane, le jardin, la piscine, les bonbons, la vaisselle, la plage... tandis qu'une voisine ne cesse de les houspiller, de les diminuer. Mais à deux, elle font la paire contre la solitaire, plus attachée à ce qui se voit plutôt qu'à ce qui se vit. Jusqu'au jour où Eliette et Alice vont sauver la vie de Victorine et entamer une autre relation avec elle.

Des lunettes pour ne pas avoir mal aux mirettes. (c) Kaléidoscope.

A savourer les dialogues entre les deux princesses et l'autre, par exemple: "Salut, les plouquettes! Vous allez vraiment dormir dans cette cagette? Moi, ma caravane est en or, comme le carrosse de la reine d'Angleterrre!", "Eh ben, nous, à l'intérieur, tout est en diamant! C'est pour ça qu'on met des lunettes: pour ne pas avoir mal aux mirettes!" Ces joutes verbales se prolongent agréablement dans les illustrations. Jalousie, quand tu nous tiens, manque d'amitié, quand tu nous perds...


Gaby Swiatkowska
"La Reine du Mercredi"
adapté de l'américain par l'auteure
Le Genévrier, collection "Est-Ouest"
40 pages

Des peintures épaisses mais des sujets à l'ancienne délicatement dessinés, souvent en des pages à l'italienne, pour ce premier album en solo d'une Polonaise habitant en France. Avec une belle sobriété, il met en scène Thelma, qui s'ennuie tellement qu'un mercredi, "elle décide de devenir la reine". Un choix qui lui impose mille activités tout au long de la semaine, à tel point qu'elle s'épuise et renonce à sa couronne. Le mercredi suivant, Thelma s'ennuie de nouveau mais on dirait bien qu'une nouvelle idée germe en elle... Un bel album sur l'imagination reine où toutes les illustrations sont à regarder en détail.

Les trois premières doubles pages de "La Reine du mercredi". (c) Le Genévrier.





vendredi 17 juillet 2015

DTPE 7: amour avec Grégoire Delacourt

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.

Les lectrices de l'hebdomadaire "ELLE" se rappelleront peut-être de la nouvelle de Grégoire Delacourt publiée le 9 août 2013 dans les mini-livres estivaux. Revu et réaménagé, le texte "Pimprenelle" ouvre le nouvel ouvrage de l'écrivain français, "Les quatre saisons de l'été" (JC Lattès, 269 pages). Un beau roman bien construit qui sort en fin de la saison littéraire 2014-2015, saison que l'auteur avait également ouverte avec le superbe "On ne voyait que le bonheur" (Lattès, 2014, lire ici).

Quatre saisons, quatre parties titrées de noms de fleurs, quatre histoires d'amour, beau, fou, solide, de désamour aussi, qui se croisent et se recroisent sur la plage du Touquet sans que leurs protagonistes le sachent toujours, pour le plus grand plaisir des lecteurs qui, eux, repèrent les personnages et les reconnaissent ici ou là. "Le texte de "Pimprenelle", je l'ai un peu modifié", me disait Grégoire Delacourt lors d'un passage à Bruxelles. "Mais, en l'écrivant, je savais qu'il y aurait une suite, je donnais déjà des indices pour ce qui allait suivre." L'héroïne est Victoire, dont Louis est tombé fou amoureux: "J'ai choisi une ado pour rappeler qui nous avions été et parce que les lectrices de "ELLE" ont des enfants qui éclosent à l'amour."

L'été dont il est question dans le titre est celui de 1999, le dernier avant l'an 2000, celui où on annonçait la fin du monde. Allait-on aimer plus vite ou plus fort pour cela, surtout le 14 juillet? Francis Cabrel chantait "Hors saison", curieux hasard. Grégoire Delacourt nous raconte l'amour aux quatre saisons de la vie, de manière moins anecdotique qu'on ne pourrait le croire en début de lecture, mais de sa toujours belle plume. Plus la lecture avance, plus il capture ses lecteurs et leur donne envie de connaître la suite de ces histoires pleines de rires et de larmes. Pleines d'espoir en la vie aussi. Avec de beaux personnages de mères, parfois plus lucides sur leurs enfants que sur elles-mêmes.

Les personnages vieillissent chaque fois de vingt ans. "Vingt ans, c'est un cycle", estime le romancier. "Après vingt ans, on est quelqu'un d'autre. Et puis, les chiffres de 15, 35, 55 et 75 ans sont jolis aussi." Victoire a donc quinze ans, mais c'est Louis qui raconte leur amour débutant. Isabelle en a trente-cinq et est la narratrice de sa rencontre avec Jérôme. C'est aussi Monique qui, du haut de ses cinquante-cinq ans, évoque son histoire passée et présente avec Richard. Mais ce sont Rose, 75 ans, et Pierre qui expliquent d'un tendre "nous" ce qui leur est arrivé dans leur longue vie d'amour.

Voilà un beau roman polyphonique, présentant une foule de personnages et leurs manières de vivre. Joyeux ou tristes, imaginatifs ou plus réalistes, tous confrontés à des drames qui vont être ce qui les lie, aux yeux les lecteurs en tout cas. "Les quatre saisons de l'été" est un roman lumineux sur les élans du cœur, plus forts que les blessures intimes. Joliment écrit, élégamment composé, il réjouit plus que  son propos ne le laisse penser.

Trois questions à Grégoire Delacourt

Grégoire Delacourt.
Le langage des fleurs est très présent dans le livre. Pourquoi et que veulent dire celles que vous avez choisies?
J'ai appris le langage des fleurs en travaillant sur une campagne de publicité. Quelle magnifique scène d'amour que cette fleur envoyée chaque jour qui donne une phrase à la fin!
Dans mon livre, "Pimprenelle" veut dire premier et unique amour, "Eugénie Guinoisseau" rose ancienne, "Jacinthe" relation d'amour avec un brin d'érotisme et "Rose", amour intemporel et fou. Je voulais faire un bouquet avec ces quatre histoires.
A quel couple correspondriez-vous le plus?
Le petit Louis a une maman formidable, une mère seule avec une magnifique histoire d'amour. Il va attendre cette gamine qu'il a rencontrée. Dans la deuxième histoire, Isabelle, le personnage féminin a du mal avec les hommes. La mécanique est inversée. Jérôme est gourmand de choses qu'il ne connaît pas. Louis est un romantique, un fidèle. J'étais plutôt comme Louis. Le troisième couple pourrait être le mien mais je suis remarié. Mais comme lui, je ne veux pas que l'amour devienne une amitié intime. Je veux une passion à long terme, tumultueuse. Pour cela, il faut remettre un petit coup de feu, vivre mille premières fois avec la même personne, ne pas perdre sa part d'enfance. Enfin, j'aimerais finir comme le quatrième couple.
Quelle belle idée que ces épilogues.
Quand j'ai fait lire le livre à ma fille numéro 3 qui a 18 ans, elle m'a demandé si ces histoires d'amour allaient durer. Il y avait en elle, comme en nous, un besoin de savoir que cela peut marcher. J'ai donc écrit les épilogues, en racontant ce qui se passait dix ans après. C'était génial à faire. Quel cadeau inconscient de ma fille!

Deux couvertures
pour sourire, version française
de 2013,
version italienne
de 2015.









Rappel
DTPE 1 "Nous étions l'avenir", de Yaël Neeman (Actes Sud)
DTPE 2  "Jules", de Didier van Cauwelaert (Albin Michel)
DTPE 3 "Le Caillou", de Sigolène Vinson (Le Tripode)
DTPE 4 "Georges, si tu savais...", de Maryse Wolinski (Seuil)
DTPE 5 "Quatre murs", de Kéthévane Davrichewy (S. Wespieser/10-18)
DTPE 6 "Et si on aimait la France", de Bernard Maris (Grasset)


jeudi 16 juillet 2015

"La femme au tableau" lisait "Strewwelpeter"

Le portrait d'Adele Bloch-Bauer par Gustav Klimt en 1907.

Au cinéma, il est toujours amusant de reconnaître un livre pour enfants au gré d'une scène du film ("L'arbre généreux" de Shel Silverstein par exemple). C'est encore le cas dans le film "La femme au tableau" ("Woman in gold") de Simon Curtis qui vient de sortir sur les écrans belges. L'histoire de Maria Altmann (Helen Mirren), Américaine d'origine autrichienne qui, en 1988, décide de récupérer les œuvres d'art volées par les nazis à sa famille juive de Vienne. Dont le célèbre portrait carré de sa tante Adele Bloch-Bauer, peint par Klimt en 1907, tout teinté d'or. Elle sera aidée dans cette folle aventure par un jeune avocat, Randol Schönberg (Ryan Reynolds), le petit-fils du compositeur. Depuis 2007, le tableau restitué par l'Autriche est exposé à New York, à la Neue Gallery.


Mais si j'évoque ce film, c'est parce qu'on y voit surgir lors de scènes en flashback, le livre qui était lu à Vienne par sa famille à Maria Bloch petite - elle devint Altmann lors de son mariage. Il s'agit tout simplement de "Strewwelpeter" de l'Allemand Heinrich Hoffmann (adapté en français par Cavanna sous le titre de "Crasse-Tignasse", l'école des loisirs, Lutin poche, 1979).

Un livre formidable dont j'ai déjà dit ici tout le bien que j'en pense - c'était à l'occasion du décès de Cavanna, un an avant l'attaque terroriste à "Charlie Hebdo", journal qu'il avait fondé.

Scènes réelles ou imaginaires, ce qui est amusant dans le film, c'est de voir que cette grande famille bourgeoise de Vienne, extrêmement attentive à l'art, mécène pour de nombreux artistes, à la tête d'une superbe collection de tableaux, donnait à lire aux enfants un livre illustré excellent, quoique jugé subversif par de nombreux bien-pensants. Quelle ouverture d'esprit! Quelle joie de voir réapparaître encore une fois ce livre formidable.





mercredi 15 juillet 2015

Anton, mon chouchou absolu


Anton, le formidable héros de l'Allemand Ole Könnecke, haut comme trois pommes, nous revient dans une cinquième histoire traduite par l'école des loisirs, délicieuse à nouveau (faire l'impasse sur celle avec le Père Noël, à La Martinière Jeunesse, ratée, lire ici), drôle, à hauteur d'enfant. Ce petit bonhomme est mon chouchou absolu, je le reconnais. Surtout quand il se mesure à son ami Lukas.

L'album "Anton est-il le plus fort?" d'Ole Könnecke (traduit de l'allemand par Florence Seyvos, l'école des loisirs, 36 pages) s'inscrit en continuité des précédents, "Anton et les filles" (2005), "Anton est magicien" (2006), "Anton et la feuille" (2007) et "Anton et les rabat-joie" (2013). En continuité car il aborde une nouvelle question d'enfant, la compétition. Une question d'enfant parce que souvent des adultes, ou l'école, la lui ont inculquée, mais c'est un autre débat.

Tout est dit entre Anton et Lukas. (c) l'école des loisirs.

L'album commence l'air de rien: Anton arrive, avec son beau chapeau de mousquetaire. Il croise son ami Lukas, équipé d'un casque à cornes - à noter, la variété des couvre-chefs au fil des livres. Les deux petits mecs vont tout de suite (jouer à) se mesurer. L'annonce: "Je suis plus fort que toi". La réponse: "Ha, ha!" Les preuves: et vas-y que je te soulève une pierre, et vas-y que tu en soulèves une encore plus grosse.
On va se rendre compte peu à peu que les objets utilisés dans ce qui ne sont pour finir que des joutes verbales sont représentés de telle sorte qu'on comprend qu'ils sont imaginaires. Chapeau à la mise en page sur fond blanc qui centre l'attention sur les deux jeunes coqs montant sur leurs ergots, au dessin aussi sobre qu'expressif ainsi qu'au texte concis et efficace.
Surenchères en tous genres. (c) l'école des loisirs.
Vexé, Anton revient avec trois troncs d'arbre. Pas de quoi impressionner Lukas qui se ramène avec un piano, droit heureusement. De quoi voir qui est le plus fort et entendre qui fait le plus de bruit. Les compères rivalisent de surenchères pour le plus grand plaisir du lecteur. Ce dernier a vite compris que si ces manifestations de force n'hésitent pas à se faire violentes, elles sont impossibles. On n'a jamais vu de si petits enfants manipuler de si gros maillets ou de si grands revolvers. C'est là la force des livres, permettre de vivre ses désirs sur le papier.

La dispute se poursuit et les exagérations aussi. Mais à un moment, il faut bien arrêter de se bagarrer. Le tout est de trouver comment, sans tomber dans le déshonneur. La meilleure solution n'est-elle pas de déterminer un ennemi commun à abattre? Anton et Lukas s'en trouvent un, que le lecteur appréciera à sa juste valeur. Porte de sortie honorable à leur différend, mis en sourdine à cet instant....

Ole Könnecke a le don d'épingler avec humour des traits de caractère enfantins sans les ridiculiser pour autant. Il observe ces deux jeunes mâles, il raconte, il permet à chacun d'exister grâce à l'imaginaire et trouve une issue convenable pour autant qu'on aime sourire. L'Allemand établit ainsi une belle complicité avec ses jeunes lecteurs et montre qu'être amis, c'est aussi se disputer. Etre garçon, est-ce être le plus fort, glisse-t-il encore en filigrane. Quant à ses images, elles croquent à merveille les expressions des deux bretteurs - ah, leurs chapeaux qui se soulèvent et leurs bouches qui s'ouvrent ou se réduisent à rien - et, rapportées au texte, elles procurent une formidable lecture.

Les surprises se suivent. (c) l'école des loisirs.

Les précédents albums d'Anton


"Anton et les filles"
Ole Könnecke
traduit de l'allemand par Florence Seyvos
l'école des loisirs, 2005

Dix ans déjà qu'on a découvert avec bonheur le tombeur du bac à sable! Comme le temps file! Seau, pelle et "supergrossevoiture" rouge, Anton pense avoir ce qu'il faut pour draguer les demoiselles occupées à jouer dans le bac à sable. Mais la réalité peut être cruelle avec les machos. Ole Könnecke observe finement les choses de la vie et les rend avec une tendresse amusée et amusante.

Anton débarque. (c) edl.
Comme les filles du bac à sable, on nie un peu Anton et ses grands airs du début. Mais quand le gros cou tombe en faisant le malin, on est prêt(e) à aller le consoler et à lui donner un gâteau, exactement comme les demoiselles du bac à sable. Et même à prendre en compte son existence, maintenant qu'Anton est devenu un petit humain qui pleure parce qu'il s'est fait mal. Et même, aussi, on est prêt(e) à jouer avec lui, surtout qu'on dirait que ça l'amuse de jouer avec nous les filles. Du moins, avant que ne déboule un Lukas suréquipé !

Avec ses illustrations orange qui se détachent bien sur les fonds blancs, l'album épingle avec beaucoup d'humour des scènes vécues à hauteur de trois pommes - déjà bien sexuées, sans moraliser. Ouf. Un garçon qui essaie d'impressionner les filles, c'est une histoire vieille de quelques siècles, non?


"Anton est magicien"
Ole Könnecke
traduit de l'allemand par Florence Seyvos
l'école des loisirs, 2006

Une histoire simplissime, dans de chaleureuses tonalités d'ocre orangé: un marmot joue à être magicien. Un traitement parfait de justesse, à la fois complice du héros dont on a envie de croire le jeu et complice du lecteur qui voit bien ce qui se passe réellement. C'est du grand art de réussir le doublé sans faux pas, en quelques coups de pinceau et à peine davantage de texte. Ole Könnecke joue magistralement du rapport texte - images, sachant ce que doit être une histoire à hauteur d'enfant.

Turban magique. (c) edl.
Tout commence quand Anton examine, un turban à plume sur la tête, une affiche vantant en anglais Sorcar, le plus grand magicien au monde. La couleur est annoncée: "Anton a un chapeau de magicien. Un vrai." Le héros va donc faire de la magie. Faire disparaître un arbre, pourquoi pas? Il se met à l'œuvre, turban enfoncé jusqu'au nez, mains tout agitées. Que va-t-il se passer? Réponse en page suivante bien entendu. Un peu dépité de son échec, Anton tente un nouvel essai avec un oiseau, plus petit.

Concentration, mouvement du turban et des doigts menus: "Anton fait de la magie..." La suite est facile à deviner, mais on s'amuse follement à la découvrir. L'oiseau a disparu: ce qui confirme Anton dans son impression qu'il est magicien. Suit alors la rencontre avec Lukas, l'ami dubitatif qui s'évapore lui aussi. Ne se serait-il pas transformé en oiseau (ce dernier est revenu)? Anton est fier. Jusqu'à ce que les filles arrivent avec Lukas, annonçant que l'oiseau de Greta a disparu... Le joyeux méli-mélo permet à Anton de montrer tout son talent de magicien. La bonne humeur qui émane de ces pages est terriblement communicative sans qu'on ne puisse y soupçonner de magie. Plutôt le talent d'un auteur qui a une notion juste de l'enfance.


"Anton et la feuille"
Ole Könnecke
traduit de l'allemand par Gilda Roth
l'école des loisirs, 2007

Les travaux d'automne de mon héros chéri. Muni de son chapeau et de son râteau, il a ramassé toutes les feuilles, sauf une, qui le nargue, lui et ses copains habituels appelés à la rescousse, Lukas et aussi les filles Greta et Nina.

La situation est claire. (c) edl.

Ils ne sont pas trop de quatre pour attraper cette feuille récalcitrante qui s'échappe, s'envole, décolle... Ils ne sont pas trop de quatre mais ils ne savent pas trop lequel d'entre eux l'a ramassée... Toujours la même vivacité de trait et d'esprit chez l'auteur-illustrateur allemand.


"Anton et les rabat-joie"
Ole Könnecke
traduit de l'allemand par Florence Seyvos
l'école des loisirs, 2013

Encore une aventure d'Anton fort réussie, sans un faux pas. Pas d'inquiétude: s'il y est beaucoup question de mort, il s'agit de mort pour jouer.

Tirant son chariot bien garni de bonnes choses à manger et à boire, Anton rejoint ses copains, Greta, Nina et Lukas, en train de jardiner. "Si vous me le demandez très gentiment, vous aurez peut-être un peu de jus de pomme et un petit gâteau", leur glisse-t-il. Mal vu! Les autres sont vexés par la formule et déclinent l'invitation: pas le temps, du travail… "On ratisse, on bêche et on bine", lui dit Lukas. Pire, ils ne veulent pas qu'il travaille avec eux puisqu'il n'a pas apporté d'outil!

Anton se montre presque définitif. (c) edl.

La tension monte d'un cran. Anton se met à crier: "JE M’EN VAIS!" Pire, il menace de ne plus jamais revenir parce qu'il sera mort! De fait, un Anton tout contrarié s'en va, s'allonge par terre, est mort - mais dément le texte en soufflant sur une feuille qui s'est posée sur son visage. Il ne reste pas seul longtemps. Lukas arrive, l'interroge et a immédiatement l'idée de creuser une belle tombe à son ami. Sauf que les deux filles n'apprécient pas du tout qu'on leur vole une pelle. Du coup, Lukas boude aussi, se couche par terre pour être également mort. Arrive alors Nina, en dispute avec Greta: "Je me couche et je suis morte!"

Il ne manque plus que Greta pour que le compte soit bon. Il l'est: elle déboule, est morte aussi. Il faut saluer une fois de plus le talent d'Ole Könnecke, fin observateur de l'enfance et de ses remous, pour  saisir ses personnages et les poser côte à côte sur les pages à fond blanc. C'est sobre, graphique, esthétiquement réussi et très éloquent.

Le quatuor se montre jusqu'au-boutiste: ni la pluie ni le chien ne parviennent à les distraire de leur mauvaise humeur apparente. Car il s'agit bien sûr d'un jeu. Un jeu qu'interrompra une cohorte de fourmis baladeuses. Que faire alors, à part filer? Greta, Nina, Lukas et Anton s'encourent à toutes jambes. Et pour aller où? Pour, évidemment, savourer ensemble et tout sourire un goûter de gâteaux et de jus de pomme.


Anton for ever. (c) edl.

mardi 14 juillet 2015

DTPE 6: éloge de la France avec Bernard Maris

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.

14 juillet. Le défilé est maintenant terminé sur les Champs Elysées, les promus de la Légion d'honneur divulgués. La vie dans l'Hexagone peut continuer. Quelle vie? Celle que Bernard Maris raconte dans "Et si on aimait la France" (Grasset, 142 pages). Un petit essai positif que l'économiste était venu présenter à son éditeur en décembre 2014 et dont il lui envoya le texte le 2 janvier 2015. Cinq jours avant d'être assassiné lors de la conférence de rédaction de "Charlie Hebdo", le 7 janvier 2015.

Bien sûr, ce livre bilan n'avait pas vocation à être publié de manière posthume. Et il faudrait, idéalement, le lire comme si l'oncle Bernard était toujours parmi nous. Même si les lignes sur la Grèce semblent tellement prémonitoires: "C'est un patti pays, méprisé par d’autres au nom de l'argent (par l'Allemagne, par exemple). Et pourtant... Nous avons tant de dettes vis-à-vis de la Grèce endettée..." Même quand "Et si on aimait la France" - sans point d'interrogation ni d'exclamation par volonté de l'auteur - s'ouvre quasiment sur la mention des deux plus grands défenseurs de la France aux yeux de Bernard Maris, François Cavanna et "Mustapha, algérien, correcteur de son métier, immigré". Mustapha, le correcteur de "Charlie Hebdo" assassiné lui aussi le 7 janvier. L'ouvrage paraît "dans son état originel, inachevé mais nécessaire", précise Christophe Bataille en introduction du texte.

Le texte. Positif, né d'une réflexion de Michel Houellebecq, ami de l'auteur: "On ne doit rien à son pays. Non. On ne doit rien à  son pays". De l'anti french bashing de bout en bout. Un bilan brillant et personnel qui veut avant tout rassurer les Français: ils ne sont pas coupables, ni du chômage, ni de la catastrophe urbaine, ni du déclin de la langue, ni du racisme... "Retrouvez ce sourire qui fit l'envie des voyageurs pendant des siècles, au "pays où Dieu est heureux"", est l'exhortation de Bernard Maris, complètement à l'opposé des tentatives de destruction de Lorànt Deutsch, Bicolas Baverez  et autre Eric Zemmour. "Voilà la raison de ce livre", poursuit-il, "depuis peu, le french bashing me ravit, m'exalte; je me sens bien. Je relève la tête et je souris; et mes traits se durcissent, comme ces prisonniers giflés avant l'exécution. Tremblez, ennemis!"

Les lecteurs, eux, se réjouissent de ces prises de position originales et totalement étayées, souvent surprenantes mais si enrichissantes. Défense de l'école et des instituteurs, du maître qui "nous donnait simplement envie de lire", de Victor Hugo, tellement français avec ses contradictions, hymne à l'amour courtois, cette exception française, incursion dans la science de la démographie, France des villes et France des champs, sans oublier le beau mot de République. Autant de manières pour Bernard Maris de signifier son amour de la France et de la vie.



Rappel
DTPE 1 "Nous étions l'avenir", de Yaël Neeman (Actes Sud)
DTPE 2  "Jules", de Didier van Cauwelaert (Albin Michel)
DTPE 3 "Le Caillou", de Sigolène Vinson (Le Tripode)
DTPE 4 "Georges, si tu savais...", de Maryse Wolinski (Seuil)
DTPE 5 "Quatre murs", de Kéthévane Davrichewy (S. Wespieser/10-18)

vendredi 10 juillet 2015

Soyez rebelles, lisez les livres à l'index vénitien

Là où il est, Mario Ramos (1958-2012) doit rigoler doucement. Deux de ses albums pour enfants, "C'est moi le plus beau" et "Un monde de cochons" (l'école des loisirs, Pastel), figurent dans la liste des 49 titres retirés des écoles par le maire de Venise, Luigi Brugnaro (centre-droit).

Officiellement, parce que ces livres, pour la plupart excellents, traitent d'homosexualité ou de la fameuse question du genre et que ces thèmes doivent être traités en famille et non à l'école.

Mais à détailler la liste, on ne comprend pas en quoi ces ouvrages mis à l'index correspondent à ce que le maire leur reproche. Traiter du handicap, de l'acceptation de soi, est-ce subversif? A quoi sert la littérature selon lui?

Ici, les couvertures des 49 albums incriminés. Elles sont en italien, mais on reconnaît facilement ceux qui sont nés en français ou y sont traduits.

Cela vaut la peine d'aller y voir pour y découvrir que les enfants de Venise doivent être préservés de l’œuvre de Gabrielle Vincent, Leo Lionni, Grégoire Solotareff, Janik Coat, et autres perturbateurs avérés... Bravo à l'école des loisirs et satellites qui remportent la palme des titres retirés!

Dingue. On imagine le maire et ses adjoints lire tous ces titres, les uns après les autres, en éructant de plus en plus.
De quoi être fier de les avoir aimés et soutenus ces livres. Que leurs auteurs en soient remerciés.
De quoi donner envie de les lire ou de les relire.
Ce qu'ont immédiatement mis en place les Vénitiens rebelles et indépendants en organisant un marathon de lecture présentant les 49 titres censurés. Gloire à eux.

Et chez nous?
Soyons aussi rebelles. Lisons et lisons à nos enfants des livres interdits d'école vénitienne.

Ci-dessous la liste de ces titres dans leur version française, originale ou traduite.
Restez assis, les surprises sont au rendez-vous.


"Ernest est malade", de Gabrielle Vincent (Casterman)
"Petit-Bleu et Petit-Jaune", "Pezzettino" et "Pilotin" de Leo Lionni
(l'école des loisirs)
"La chasse à l'ours",de Michae l Rosen et Helen Oxenbury (Kaléidoscope)
"Jean a deux mamans", d'Ophélie Texier (l'école des loisirs)
"Fort comme un ours", de Katrin Strangl (Albin Michel Jeunesse)
"Bonjour facteur", de Michaël Escoffier et Matthieu Maudet
(l'école des loisirs)
"César", de Grégoire Solotareff (l'école des loisirs)
"Je ne suis pas comme les autres", de Janik Coat (MeMo)
"Les papapas", de Joseph Jacquet et Dupuy-Berbérian
(Albin Michel Jeunesse)
"Les chiens ne font pas de danse", d'Anna Kemp et Sarah Ogilvie (Milan)
"Comme toi", de Geneviève Côté (Scholastic)
"Le chat et le  poisson", d'André Dahan (Duculot)
"La petite casserole d'Anatole", d'Isabelle Carrier (Bilboquet)
"Et avec Tango, nous voilà trois", de Justin Richardson, Peter Parnell et Henry Cole (Rue du monde)
"Oreilles papillons", de Luisa Aguilar et André Neves (Père Fouettard)
 trois titres de la série "Les grands jours Apolline" d'Armelle Modéré et Didier Dufresne (Mango)
"Rosso Miccione", d'Eric Battut (Eli)
et d'autres titres italiens non traduits en français dont un Babette Cole, "If I were you", texte de Richard Hamilton (Bloomsbury), un Todd Parr," The family book" (Little), un Donaldson-Scheffler, "Dov’è la mia mamma?".



jeudi 9 juillet 2015

DTPE 5: famille avec Kéthévane Davrichewy

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.


Les deux mots "Quatre murs" font penser à une maison, et il en est bien sûr question dans le superbe roman de Kéthévane Davrichewy qui porte ce titre (Sabine Wespieser, 2014, 192 pages, 10/18, 2015, 142 pages). Son troisième, excellent, sans compter de nombreux romans pour la jeunesse, tout aussi bons, à l'école des loisirs.

Mais on se rend très vite compte que le titre peut aussi qualifier l'attitude des quatre frères et sœurs de cette famille d'origine grecque. En un prologue, trois chapitres sur les enfants, Saul, Hélène et, ensemble, les jumeaux Réna et Elias, et un épilogue, la romancière fait le portrait d'une famille hantée par un secret. Elle ancre son propos dans un lieu, la maison familiale dont il faut se défaire, une fois le père mort et la mère trop âgée pour y résider seule.

Kéthévane Davrichewy.
Une maison dont les quatre murs n'ont pas besoin de parler puisque Kéthévane Davrichewy déroule son propos par les prises de parole successives des enfants. Quatre regards de frères et de sœurs sur la vie, sur leur vie. Des points de vue forcément différents que le lecteur assemble pour son puzzle personnel - il en sait vachement plus que chacun des personnages, au moins jusqu'à la finale où les choses se disent.

On prend beaucoup de plaisir à découvrir cette fratrie qui a été tellement soudée dans l'enfance et qui, deux ans après la vente de la maison familiale, semble s'être dissoute. Il faut dire que leurs chemins de vie ainsi que les questions d'héritage, décidées par la mère, n'ont pas aidé à la bonne ambiance. Là, ils vont se retrouver tous ensemble pour la première fois, avec leur mère, dans une autre maison, celle de l'aîné, en Grèce. Murés dans leur passé collectif dont tous ne savent pas tout, ils vont finir par le découvrir et dépasser leurs silences et leur éloignement.

En nous donnant à connaître successivement les histoires des uns et des autres, Kéthévane Davrichewy signe non seulement un superbe récit où on reconnaît sa belle écriture vive mais une remarquable construction littéraire. On navigue entre Saul qui s'est réfugié sur une île grecque, Hélène qui court le monde, Elias qui ne parvient plus à être musicien et Réna qui cherche sa voie, tout en découvrant en filigrane les portraits des parents. Qu'est-ce qui a fissuré ces quatre enfants pleins de vie? Réponse dans "Quatre murs", un roman bref qui vous suit longtemps.


Le début de "Quatre murs" en grand format peut se lire ici.


Rappel
DTPE 1 "Nous étions l'avenir", de Yaël Neeman (Actes Sud)
DTPE 2  "Jules", de Didier van Cauwelaert (Albin Michel)
DTPE 3 "Le Caillou", de Sigolène Vinson (Le Tripode)
DTPE 4 "Georges, si tu savais...", de Maryse Wolinski (Seuil)
 

mardi 7 juillet 2015

DTPE 4: déclarations avec Maryse Wolinski

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.

Maryse Wolinski vient de se constituer partie civile pour "comprendre" ce qui s'est passé à "Charlie Hebdo" lors du sanglant attentat du 7 janvier dernier, il y a juste six mois. Douze personnes, dont son mari, ont alors été assassinées par les frères Kouachi. Elle se dit inconsolable de cette perte et on la comprend. Cela me rappelle le très beau récit qu'elle avait publié il y a quatre ans, "Georges, si tu savais..." (Seuil, 2011, 170 pages). Plein de questions amoureuses et sans compromis.

"En ces quarante années de vie commune", écrit Maryse Wolinski dans ce récit aussi personnel que réussi, "j'ai eu mille raisons de te quitter. Mais j'ai eu aussi mille et une raisons de ne pas le faire." Peut-on rêver plus belle déclaration d'amour?

Et pourtant, l'occasion de ce livre a été donnée à l'auteure par un dessin de son mari paru lors du Festival de Cannes 2010, dans le "Journal du dimanche" – où ils s'étaient rencontrés en 1968, pour la petite histoire. Wolinski y traitait de "pétasses" les actrices de Mathieu Amalric. Utilisé ainsi, le mot écorche les oreilles de Maryse qui finit par demander des explications. "Pour faire rire", est la réponse laconique du dessinateur. Que faire? Planter là, ce mari phallocrate? "Oui, mais te quitter, c'est comme si je me quittais moi-même", reconnaît l'auteure. Elle finit par opter pour la tangente, une chronique adressée au "JDD" et ce récit où elle fait le point sur sa vie en s'adressant directement à Georges. Sans concession et avec beaucoup d'amour.

Dans "Chambre à part" (Albin Michel, 2002), Maryse Wolinski imaginait de nouveaux codes de séduction en s'adressant à ses lecteurs. Dans "Georges, si tu savais…", elle raconte une aventure sentimentale longue de plus de quarante ans. Elle remonte aux débuts, la première rencontre entre la stagiaire de 22 ans et le "veuf joyeux" de 34 ans, misogyne et doté de deux fillettes, le coup de foudre, le désir, la vie commune, leur couple avec deux enfants d'une autre, leur fille à eux, le travail…

Elle revient sur leurs enfances respectives: lui, né à Tunis, élevé là par des grands-parents amateurs de littérature, arrivé en France à l'adolescence, elle, troisième fille d'une famille traditionnelle avant le garçon tant espéré. En rencontrant celui qui voudra l'épouser, elle fait un sacrément grand saut dans un nouvel univers. D'autant que mai 68 se profile et qu'elle adhère aux thèses de liberté. Mais comment les vivre? "J'écrivais des articles invitant les femmes à se libérer, mais comment aider les autres à se libérer quand on ne l'est pas soi-même?", glisse celle qui vit avec un homme très peu féministe.

"Les livres, le dessin, les femmes: voilà de quoi ta vie est composée", ajoute-t-elle, tout en se rappelant comment ils ont avancé dans la vie et ses écueils. "Je te voulais exceptionnel et tu ne l'étais pas. J'étais déçue mais toujours plus amoureuse."

Lui aime sa Maryse, à sa manière de mutique. Il confond parfois la femme qu'elle est et celles qu'il fantasme. Elle s'en accommode. Il la fait rire. "Tu auras passé ta vie à nier les problèmes psychologiques, mais ta carrière à en rendre compte dans tes dessins." Mais ils ont réinventé le couple et c'est bonheur.
Le Seuil devrait publier, en nouvelle édition, "Lettre Ouverte à ma femme", de Georges Wolinski, avec une préface de Maryse Wolinski.
 
Rappel
DTPE 1 "Nous étions l'avenir", de Yaël Neeman (Actes Sud)
DTPE 2  "Jules", de Didier van Cauwelaert (Albin Michel)
DTPE 3 "Le Caillou", de Sigolène Vinson (Le Tripode)

Un mot décliné en rose fluo et en noir, lequel?

Glace, comme dans la pub Magnum qu'on a pu voir au moment du festival de Cannes?
Nooooooooooooon.

Un mot qui est assez bien d'actualité ces derniers jours.

Bon, je vous aide?

Je prends une valise comme dans le jeu télévisé dominical  "Visa pour le monde" (RTB, puis RTBF, de 1967 à 1984), culturel et voyageur, où les candidats hésitants ou ignorants d'une réponse avaient droit à un certain nombre de valises munies de téléphones pour se faire aider par l'extérieur?

Je vous ai beaucoup aidés, là.

Car oui, le mot à trouver est "valise", décliné en deux couleurs dans deux super albums pour enfants.

En version noire, "La valise", de Frédérique Bertrand (Rouergue, 32 pages). En  rose fluo, "La valise rose", de Susie Morgenstern (évidemment), illustré par Serge Bloch (Gallimard Jeunesse, 32 pages).


Avec "La valise", Frédérique Bertrand met subtilement en scène la grosse colère d'un très jeune enfant. Celle qui prend et submerge. L'histoire commence dès les pages de garde. On ne se fait pas d'illusions. Papa et Maman sont barrés d'une croix et du papier découpé surgit un petit bonhomme décidé: "Je pars!"

L'histoire commence en pages de garde. (c) Rouergue.

Dès la double page suivante, on comprend l'idée graphique du livre, le découpage sur l'aplat de couleur de la page de gauche se retrouve dans le dessin aux crayons de couleurs de la page de droite.

"Je prends ma valise". (c) Rouergue.

Le texte, lui, est composé uniquement des mots du candidat au départ.
"Je prends ma valise... et mes cliques! et mes claques!", déclare-t-il en attrapant sa valise noire dans l'armoire bleue. Normal. Démarre alors une folle farandole de tout ce qui va être destiné à cette valise, une accumulation entre tendresse et sourires pour ce petit qui sait comment être accompagné, pull pour le soir, manteau, bottes, short, livre mais aussi camion de pompiers, ballon, crayons... Tout son univers défile dans ces sobres découpages alors que le petit grogne toujours: "J'en ai ma claque".

Découpages et accumulations. (c) Rouergue.

Est-ce fini quand toute l'armoire se retrouve dans la valise? Non, le gamin a encore d'autres choses à emporter, plein d'autres choses de plein d'autres pièces de la maison indiquées par d'autres codes couleurs. Dans la liste, des objets bien trop grands pour la valise mais dont l'évocation crée une jolie complicité avec le lecteur de l'album qui s'achemine tout doucement vers sa conclusion. "Ici, c'est sûr; mon départ va laisser un grand vide, un ÉNORME VIDE!" Surtout quand le héros aura choisi les dernières pièces à emporter, de choix assurément... et se retrouvera seul face à une question sans réponse.

Frédérique Bertrand raconte une colère sous forme de témoignage oral, transformé par la qualité et la sobriété des images. Ne dit-on pas "Less is more"? On ne peut qu'avoir de l'empathie avec ce gamin au nez rouge, fâché, vraiment hors de lui et qui finit par ranger sa colère dans sa valise.

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*

Avec "La valise rose", une de ses couleurs favorites, Susie Morgenstern raconte une jolie histoire de naissance, de doudou et finalement de vie, subtilement mise en images, en traits délicats et expressifs sur des collages graphiques, par Serge Bloch.
"35 ans après notre premier album, enfin le second…merci Suzie et les amis de chez Gallimard", écrit Serge Bloch à son propos sur son blog. Oui, sauf que l'album "Une vieille histoire", celle d'une vieille dame qui se remémore sa vie passée,  est sorti en 1985 chez Messidor, a été repris en Kid Pocket avant de reparaître chez Il était deux fois en 2007. Et qu'entre les deux a paru en 2006 au Rouergue un "Comment ça va?" qu'il ne mentionne même plus puisque l'ouvrage est promis au pilon, encore un. Encore un de trop.
Pas grave, retour à cet excellent album, pour enfants pas trop petits pour qu'ils en savourent tous les niveaux.

Susie Morgenstern ne serait-elle pas elle-même la grand-mère de l'album qui offre au nouveau-né de 3,437 kilos, comblé de cadeaux de naissance "aussi convenables que convenus", une valise à roulettes non emballée et vide! Rose en plus! Pour un garçon... Rose fluo même. Même si la romancière brouille les pistes: elle est la mère de deux filles - on les a souvent rencontrées dans ses romans pour (pré)-ados à l'école des loisirs - et la grand-mère de papier est la mère du papa du bébé.

Dépouillées, les illustrations en douces teintes vert olive où pète le rose de la valise s'accordent idéalement avec le texte généreux où respirent joliment les phrases. Des ondes de mots évocateurs qui enrobent le lecteur et le convient au cœur du récit qui suivra le héros jusqu'à son mariage et à sa lune de miel.

La couleur de la discorde. (c) Gallimard Jeunesse.

Bébé Benjamin est un bébé qui sait ce qui veut. A l'image de sa maman qui refuse cette valise rose, à la différence que lui l'exige près de lui tout le temps. Minuscule petit bout, il avait déjà souri en la voyant. Et tant pis s'il ne savait alors pas encore marcher. Le bagage l'attire même si sa maman le qualifie de "monstruosité".

Une valise multi-usages. (c) Gallimard Jeunesse

On va successivement découvrir tous les usages qu'il en fait: berceau, lit à peluches, table à dînette, tambour, même cartable quand il entre à l'école. Heureusement que le gamin a le père qu'il a, toujours prêt à trouver un compromis entre sa mère et son épouse, habile à trouver des solutions qui conviennent à  toutes les parties. "Tu sais que ma mère ne fait jamais les choses comme les autres, j'en suis la preuve vivante!", dit-il un jour à sa femme. D'autres formules savoureuses suivront.

Une valise doudou. (c) Gallimard Jeunesse.

On l'a compris, la valise rose est devenue un doudou pour Benjamin et un doudou ne s'abandonne pas, même si les parents pensent autrement. Le garçon va grandir avec la philosophie de vie de sa grand-mère, ne pas chercher à ressembler à tout le monde, et devenir un beau jeune homme à marier qui sait écouter sa femme et se faire écouter d'elle (la preuve en quatrième de couverture), tout en ayant recours aux bons soins d’entreposeuse de sa grand-mère, évidemment.

Un doudou, discret, pour la vie. (c) Gallimard Jeunesse.

"La valise rose" est un très joli album familial plein de douceur et de vivacité à la fois, qui roule de l'enfance à l'âge adulte en défendant les doudous, quels qu'ils soient, avec une force tranquille qui le rend d'autant plus attachant. Entre les mots choisis de Susie Morgenstern et les images fines de Serge Bloch, le doudou est en de bonnes mains.