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samedi 29 août 2015

"Le malheur, c'est jadis"

Hier (lire ici), l'écrivain français Charles Dantzig, par ailleurs poète et éditeur, me parlait du sujet de son nouveau roman, le formidable "Histoire de l'amour et de la haine" (Grasset, 477 pages). Poursuite aujourd'hui de l'entretien exclusif qu'il m'a accordé à l'occasion de la sortie de ce livre, il y a quelques jours à peine.
Un roman de son temps, qui le scrute et le raconte en mots choisis.




D'où est venu ce roman?
Charles Dantzig. (c) Zazzo.
Il est né de l'assassinat de trois autres livres. Un manuscrit très avancé, de huit cents pages, qui se composait de théories, sur l'amour, le sexe, les baisers, les cheveux, les taxis, etc., que, le relisant, j'ai trouvé décharné et sec; une pièce de théâtre sur un jeune gay prénommé Ferdinand que je n'ai pas achevée non plus, mais dont j'ai gardé le personnage; un pamphlet contre un député homophobe existant en France, qui s'était déchaîné au moment du projet de loi et auquel j'ai renoncé, parce que ce n'était pas un livre littéraire et que je ne voulais pas me retrouver sur des plateaux de télévision avec des alligators politiques qui auraient été de bien meilleurs débatteurs que moi et m'auraient dévoré. Le renoncement à ces trois livres a produit l'"Histoire de l'amour et de la haine" où j'ai adapté la structure du premier, conservé le personnage de Ferdinand et transformé celui du député.

Et les autres personnages ?
Il y a Pierre, un écrivain qui n'écrit plus, et qui est la projection de ce que je ne voudrais pas devenir. Il est l'auteur de grands livres, si grands qu'il hésite à en écrire d'autres et perd courage. De plus, il essaie de ne pas tomber amoureux de Ginevra, un Italienne d'une cinquantaine d'années, belle, intelligente, solide, car ses mariages ne se sont pas très bien passés. Il y a Armand et Aaron, un banquier et un employé au rayon bricolage du Bazar de l'Hôtel de Ville, qui vivent ensemble depuis plusieurs années, très tranquillement, de façon neutre, ce qui devrait être le cas de tout couple qui s'aime, homo ou hétéro.

Et puis il y a Anne, la délicieuse Anne…
Anne est la plus fortunée et la plus infortunée du roman. Elle est d'une beauté magnifique. Et la beauté peut être un fardeau. La beauté crée une sidération et toute sidération amène une séparation. Les gens très beaux sont séparés du monde, ils le savent, ils le sentent. Ils sont l'objet d'admiration ou de concupiscence, mais jamais de rapports "normaux", et c'est ce qui arrive à Anne, qui a infiniment de mal, toute belle qu'elle est, parce qu'elle est très belle, à trouver l'amour. J'ai eu un personnage approchant dans "Je m'appelle François", où François qui est très beau est très gêné par sa beauté. Dans l'"Histoire de l'amour et de la haine", Ferdinand est très beau aussi, et il est dit que depuis l'âge de quatorze ans, sa vie a consisté à repousser les nombreuses personnes, hommes ou femmes, qui ont cherché à coucher avec lui.

On sent dans votre roman, par moments d'une grande drôlerie, une forme de tristesse et d'indignation.
Il reflète sans doute ma désolation de la façon dont la société traite l'amour. Elle a beaucoup changé au cours de ces dix dernières années. Elle est devenue réactionnaire, amère, agressive. Toute souplesse a disparu. La société est devenue raide en tout. Un populisme dégoûtant cherche des boucs émissaires. Mon député Furnesse, un incapable politique, devient un star des médias parce que nous sommes arrivés en un temps où on peut faire carrière dans l'homophobie, comme, toute proportions gardées, on pouvait faire carrière dans l'antisémitisme dans les années 30. Tout cela prospérant sur la crise économique.

Ce qui est frappant est que le député Furnesse est sympathique aussi.
Et cela ne prouve rien d'autre que: il est sympathique. Mao, qui a tué des millions de personnes, était très sympathique, Staline était très sympathique. Furnesse est sympathique, il fait des blagues, c'est un humoriste. Je me méfie des humoristes, vous savez. L'humour peut être un forme habile de la haine. Nous avons en France des "humoristes" douteux. La façon dont pendant des années ils ont fait des blagues épaisses sur les Belges était d'une bassesse arrogante qui devrait entraîner des excuses publiques. Furnesse, lui, fait en permanence des blagues sur les gays.

La vulgarité vous blesse?
Une grande partie de la vulgarité du monde vient de ce qu'il oublie sa part d'enfance, et voilà pourquoi mon roman contient de nombreuses pages sur l'enfance et la façon dont on la traite.

C'est aussi un roman très critique sur l'idéologie de la virilité?
On célèbre la virilité alors qu'elle rend tout le monde malheureux: les enfants, que cela force à des comédies, les femmes, que ça habitue à l'idée qu'elles ne sont pas tout à fait bien, et les hommes eux-mêmes, qu'elle panique.

Parmi toutes ces vulgarités et ces souffrances, le ton du roman est pourtant très positif.
Je n'ai aucune admiration pour le malheur. Je n'ai aucune croyance en la fatalité. Je voulais dépasser une certaine complaisance du malheur qui peut exister au sujet de l'homosexualité. On nous l'a imposé, c'est vrai, mais le procès d'Oscar Wilde, l'assassinat de Pasolini ou le sida d'Hervé Guibert, c'est un temps que nous devons enterrer. Le malheur, c'est jadis.


vendredi 28 août 2015

"Je n'ai aucune admiration pour le malheur"

"Histoire de l'amour et de la haine", le nouveau roman de Charles Dantzig (Grasset, 477 pages) tout juste sorti, est une somme. Car s'il ne l'était pas, ce ne serait pas le nouveau roman de Charles Dantzig. Voilà un livre qui réjouit autant qu'il surprend, qui charme et élève, nourrit et cultive, scrute le vivant et conjugue au présent le mot "écrire". Il y est question d'amour et de haine. Surtout, il y est question de notre temps et de nos façons de vivre à travers sept personnages attachants, sauf un. Le romancier érudit nous offre son indignation contre une société intolérante qui le met en colère et son aspiration à un monde qui aimerait l'amour. A sa manière, évidemment.

Entretien exclusif avec Charles Dantzig

Amour et haine sont annoncés en titre mais il y a plus d'amour que de haine dans votre nouveau livre, non?
Le roman commence au moment des premières manifestations contre le mariage pour tous à Paris et se termine par les dernières manifestations contre ce même mariage. Cela a duré des mois et des mois, où on a entendu des choses ignobles, où des actes ignobles ont été commis. On a agressé des gens en actes et en paroles, d'ailleurs les paroles sont des actes. La violence verbale n'est que différemment blessante de la violence physique. Elle peut même être plus douloureuse. Elle est insinuante, elle dure. Et je vais vous dire, plus que les injures et les stupidités du genre "l'homosexualité est une menace pour la survie de l'humanité", le plus pénible a été les soi-disant "spécialistes" qui, dans les médias, pendant des mois et des mois, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, hommes de religion, médecins, sociologues, psychanalystes, sont venus commenter ce que c'est que "les homosexuels" comme si c'était une espèce d'animaux de zoo très curieux à analyser, et qu'ils ne fassent pas partie de la communauté nationale.
Charles Dantzig.
Un de mes personnages dit "Paris est la ville la plus méchante du monde", et je l'approuve. Paris est une ville élégante, spirituelle, littéraire, mais également méchante et contente de l'être. C'est une forme de stupidité, du reste, et je devrais donc retirer le qualificatif d'"intelligente". Un autre personnage dit "La France, le pays de la liberté où tout est interdit", et je ne le désapprouve pas. Mon roman sert à dire que la France n'est pas ce qu'elle dit qu'elle est. La France adore projeter l'image, se projeter l'image, d'un pays tolérant, libéral, ouvert, elle se voit comme la Liberté guidant le peuple de Delacroix, un sein à l'air guidant un monde qui l'adorerait et à qui elle raffole de donner des leçons de morale; mais la France n'aime pas la liberté, elle aime les seins nus. Et encore, de moins en moins.
C'est un pays, et ces mois de haine moutonnant dans les rues de Paris l'ont montré, réactionnaire, agressif, et malade. Le populisme que j'attaque depuis des années a explosé. Il ne s'agit pas de se dire: attention, ça risque d'arriver, c'est là. Et les haines les plus opposées s'entendent très bien dès qu'il s'agit de s'attaquer aux plus faibles. Dans la dernière manifestation, qui a osé s'appeler "manif de la colère", se côtoyaient des musulmans fanatiques, des catholiques intégristes et des crânes rasés avec bombers et Doc Martens, qui brandissaient des pancartes "Europe pédo-criminelle-sioniste-sataniste". Ceci est authentique. Que cette manifestation n'ait pas été interdite est d'ailleurs une des démonstrations de la façon pitoyable dont le gouvernement de l'époque a laissé se déverser la haine dans la capitale de la France. "Histoire de l'amour et de la haine" est un roman qui cherche à comprendre comment cet énorme événement a retenti sur la vie de sept personnages.

Votre roman présente une forme singulière.
Pour moi, la narration classique ne correspond plus à la société actuelle. Elle convenait à un temps où on avait des loisirs, trois mois de vacances à remplir, que la vie était un tapis roulant. Un de mes romans s'intitule "Nos vies hâtives", et c'est ce que nous vivons désormais. Hâtives, et qui sautillent, et zappent, et twittent, et ce n'est ni bien, ni mal, c'est comme ça. Les romans sont la vie même; leurs modes de narration doivent avoir le rythme de cette vie. Mon roman se présente comme un manuel avec différents thèmes, l'amour, le sexe, les objets, les taxis…

… et quelques listes…
C'est l'auteur de l'"Encyclopédie capricieuse du tout et du rien" qui vous parle! Chaque chapitre est divisé en deux, une première partie racontant ce qui arrive aux personnages, la deuxième donnant des aperçus historiques ou analytiques sur le sujet du chapitre (les baisers, la masturbation, les chaussures, etc.). Un roman, selon moi, est le récit d'une modification, celle du personnage principal. Et le personnage dont la modification a lieu est un garçon de dix-neuf ans, Ferdinand, le fils d'un député homophobe, le député Furnesse. Ce député va dans les médias jour après jour faire des déclarations contre le mariage pour tous et l'homosexualité. J'ai voulu ce personnage d'homophobe car, sauf erreur, il n'y en avait pas dans la fiction, en tout cas pas au premier plan. Les meilleurs romans, à mon sens, sont ceux qui prennent quelque chose à la vie, quelque chose qu'elle se cache, pour le lui faire regarder. De même, Zola a introduit l'ouvrier dans le roman ou Jean Genet, les travestis. Sans ce genre d'annexion, les romanciers raconteraient encore des histoires de chevaliers allant attaquer des dragons et les pouvoirs continueraient à bien tranquillement écraser ce qui les gêne.
Parmi les nombreuses accusations dont je fais l'objet, car je ne suis pas un écrivain qu'on laisse tranquille, devant qui on se prosterne à chaque parole qu'il prononce, je sais très bien pourquoi et d'une certaine façon, ça me rassure, car il n'y a jamais eu que les anodins qu'on a systématiquement flattés d'hyperboles, ils ne sont pas dangereux et il faut les soutenir un peu, ces pauvres Meccanos branlants, parmi ces accusations, il y a que je serais un romancier intellectuel, formaliste ou autres inepties. Comme si c'était mal d’être intellectuel, comme s'il fallait être bête pour être romancier. Et d'ailleurs c'est faux. Je suis un romancier pour enfants, moi. Dans mes romans, et dans "Histoire de l'amour et de la haine", les salauds sont des salauds, les méchants sont des méchants. Le député Furnesse est un salaud sans nuances. Si je suis pour la finesse, je prends garde aux nuances. Un personnage de mon livre cite des lettres pleines de nuances où Furtwangler se justifiait d'avoir joué devant Hitler, et la réponse de Toscanini: "Quiconque joue devant les nazis est un nazi." Ça n'est pas nuancé, mais c'est avec cette absence de nuance que l'humanité se sauve parfois des monstres. Le député Furnesse est un salaud de l'espèce homophobe…

… et son fils Ferdinand découvre qu'il est gay. C'est dur de découvrir à 18 ans qu'on a un père homophobe, surtout quand on est gay.
Ferdinand dit: "Les Noirs ont des parents noirs, les Juifs ont des parents juifs, les gays ont, jusqu'à nouvel ordre, des parents hétérosexuels." Quand un enfant noir ou juif a été agressé et rentre chez lui, il voit des parents noirs ou juifs semblables à lui et qui comprennent exactement ce qu'il ressent, étant identiques et ayant probablement subi les mêmes avanies. Un enfant gay agressé rentre chez lui, et il a des parents qui, même s'ils l'aiment, ne comprennent pas complètement ce qu'il ressent et en tout cas n'ont jamais eu la même expérience. Les gays ont un rapport à l'agression tout à fait différent des autres. Imaginez mon pauvre Ferdinand qui entend son père déblatérer à la télévision et, en famille, faire des blagues bien grasses sur "les pédés".

Demain, suite de l'entretien.
Charles Dantzig évoquera la genèse d'"Histoire de l'amour et de la  haine" et ses sept personnages. Notamment.
C'est à lire ici.






jeudi 27 août 2015

Les petits ours vont aussi à l'école

La rentrée scolaire amène les éditeurs jeunesse à publier régulièrement des albums ayant l'école pour thème. Pourquoi pas s'ils sont bons?

Hasard des sorties, deux moyens formats envoient des jeunes ours en classe pour la première fois. Chacun à sa manière bien entendu.

J'ai nommé "Un ours à l'école" de Jean-
Luc Englebert (l'école des loisirs/
Pastel, 40 pages) et "Premier matin" qui est aussi le premier livre de Fleur Oury (Les fourmis rouges, 40 pages).

"Un ours à l'école" se déroule un peu plus tard dans la saison que la rentrée des classes, le dernier jour de l'automne précisément. Un petit ours se promène une ultime fois dans la forêt avant de plonger dans son sommeil d'hiver. Les délicates illustrations à l'aquarelle nous montrent cette balade heureuse, pimentée par la découverte d'une chose blanche et rouge, laineuse et douce, jolie et rigolote, accrochée  à une branche d'arbre...

La découverte de l'ourson. (c) Pastel.

Le héros pose sa découverte sur sa tête et poursuit sa promenade. Ses pas le mènent à une école. Une école avec des enfants qui ont le même bonnet que lui et l'accueillent immédiatement: "Oh, bonjour! Tu dois être le nouveau. Rentre vite, tu es en retard!" Une scène qui me fait penser à ce dialogue qui circule en ce moment sur les réseaux sociaux: un adulte demande à un enfant de maternelle: "Y a-t-il des étrangers dans ta classe?" "Non, répond l'enfant, il n'y a que des enfants!" 

L'arrivée à l'école. (c) Pastel.

Ensuite, c'est la classe, où l'ourson est conduit par une fillette à cheveux blonds bouclés qu'on jurerait avoir déjà vue dans la vraie vie. Juliette est une voisine de table charmante et la porte-voix du nouveau, dont la maîtresse va finir par découvrir qu'il est un ours - comme le titre du livre de Frank Tashlin. Et que sa maman doit sûrement le chercher partout.

Reconduit, l'ourson va attendre sa maman. (c) Pastel.

Voilà toute la classe, dûment chapeautée, en route vers la forêt pour rendre l'ourson à sa maman. L'ourse le retrouve vite, mais est pressée parce que la neige commence à tomber. Elle n'écoute guère ce que son petit lui raconte de sa journée d'école mais le ramène au chaud. Lui, épuisé par toutes ces aventures, s'endort sur le dos de sa mère et ne se rend pas compte de l'incident qui permet à l'album de repartir en boucle.

Voilà un album qu'on a plaisir à lire et relire. Jean-Luc Englebert a imaginé une très jolie histoire d'école, différente de ce qu'on lit d'ordinaire, suffisamment ouverte pour y accueillir de nombreux jeunes lecteurs. Et comme toujours, ses aquarelles de toutes les tailles sont des merveilles de douceur et d'expressivité.

* *
*

Petit Ours n'a pas trop envie de se lever pour la rentrée. (c) Les fourmis rouges.

Dans "Premier matin", Fleur Oury choisit un thème classique, la première rentrée des classes, mais le transpose chez les ours, croit-on en lisant les premières pages, chez l'ensemble des animaux, comprend-on ensuite. C'est le matin et Petit Ours a bien de la peine à se lever. Il se cache sous les fougères, un des nombreux éléments de nature que l'auteure, biologiste de formation, glisse dans ses magnifiques pages sur fond blanc. L'ours adulte, papa ou maman on ne sait pas mais qu'importe, l'interroge: "Mais que se passe-t-il, Petit Ours?" Quelques câlins amènent la réponse: "Je ne veux pas aller à la rentrée des classes."

L'album se poursuit à la fois dans les images qui montrent la tendresse et l'attention d'un(e) adulte pour son petit, il (elle) le cajole, joue avec lui, autant d'encouragements silencieux, et dans le monologue de Petit Ours qui énonce toutes ses craintes par rapport à l'école. Entre-temps, on avance sur le chemin de l'école, non sans déguster quelques fruits et croiser d'autres paires enfant-adulte.

On joue et on se parle sur le chemin de l'école. (c) Les fourmis rouges.

Vient ensuite la réponse apaisante de Grand(e) Ours(e), "C'est normal d'avoir peur, Petit Ours", en parallèle à d’autres jeux sur le chemin (la boue, il n'y a que ça). Une réponse détaillée aussi qui évoque tout ce que l'école va apporter de bon au jeune ours, petit à petit, à son rythme. Avec en fil rouge l'idée que "Mais surtout, tu vas t'amuser et grandir."

Petit Ours n'est pas le seul nouveau de l'école. (c) Les fourmis rouges.

Les nouveaux sont désormais nombreux en face de l'école qu'on ne voit jamais, de toutes espèces animales, dans un décor toujours aussi luxuriant. Il est alors temps de dire "à ce soir"... Fleur Oury signe un très joli album sur la première rentrée, doux et apaisant, extrêmement bien construit et à l'excellent rapport texte-images. Il n'élude pas les craintes habituelles et offre d'excellentes réponses, incitant les enfants à découvrir et à grandir. Et j'ajouterai encore que "Premier matin" est remarquablement illustré dans un style naïf qui n'a rien de naïf.

Et encore...

Stephanie Blake
Nultiplications
L'école des loisirs, 40 pages

Les problèmes de Simon avec les tables de multiplication. Plus précisément, la manière dont le lapin blanc résout son problème avec les tables de multiplication. En passant de l'abstrait au concret. Ce qui est aussi une excellente manière de gagner aux billes. Vécu, rigolo et encourageant.


Davide Cali et Benjamin Chaud
Je suis en retard à l'école parce que...
traduit de l'anglais par Sophie Giraud
Hélium, 40 pages

Dans l'esprit du précédent "Je n'ai pas fait mes devoirs parce que...", un catalogue d'excuses à présenter en cas de retard à l'école, à condition de ne pas éclater de rire car elles sont graves: fourmis géantes, voisins guerriers, démons ninjas, majorettes... Et ce n'est que le début de cette incroyable succession de situations abracadabrantes proposées à la maîtresse, laquelle n'est guère impressionnable, la raison dans la dernière image.


Mim et Nathalie Choux
Ouvre la porte de mon école
Albin Michel Jeunesse
16 pages qui se déplient

Un livre à rabats plein de suspense et de surprises pour les plus jeunes. On visite toutes les classes de l'école maternelle où le matériel disparaît comme par enchantement. Plus de peinture ici, plus de stylos là, ni de cerceaux, ni de papier de toilette... Mais il faut regarder les pages avec attention, plein de disparitions s'expliquent déjà en cours de route avant le bouquet final! Joyeux, vivant et coloré.


Bruno Heitz
A l'école de Louisette
Casterman, 104 pages

Une compilation de trois bonnes histoires de Louisette la taupe, héroïne appréciée des écoliers, publiées en solo précédemment. A savoir "Et un raton-laveur!" (tome 4, 2008), "Mouton circus" (tome 3, 2007) et "L'heure du Grimm" (tome 8, 2011). Humour, aventure et un brin d'actualité.



Laurence Salaün avec Emmanuelle Cueff
Gilles Rapaport
A l'école, il y a des règles!
Seuil Jeunesse, 72 pages

L'école est le lieu où les maîtresses répètent inlassablement les mêmes choses, à propos du "bonjour", des retards, des récrés, des pots de colle, des gros mots... Une auteure, une enseignante et un illustrateur ont listé 36 sujets dans les plus répétés et les ont édictés en "règles" à lire par tous les écoliers, petits ou grands. Drôle, si on adhère à ce projet d'école.



Ont déjà été à l'école avec succès. Ou pas.
  • un chien dans "Chien Pourri à l'école" de Colas Gutman et Marc Boutavant (Mouche de l'école des loisirs, 2014)
  • un lapin, Simon, dans "Je veux pas aller à l'école" de Stephanie Blake (l'école des loisirs, 2008), un autre dans "Petit Lapin va à l'école" de Harry Horse (l'école des loisirs/Pastel, 2004)
  • un ourson dans "Calinours va à l'école" de Frédéric Stehr et Alain Broutin (l'école des loisirs, 1994)
  • la fille du roi dans "Même les princesses doivent aller à l'école" de Susie Morgenstern (Mouche de l'école des loisirs, 2008)
  • un dragon dans "Charles à l'école des dragons" (Seuil, 2010)
  • un âne dans "Trotro va à l'école" de Bénédicte Guettier (Gallimard Jeunesse, 2001)
  • une souris dans "Juliette s'inquiète" de Kevin Henkes (Kaléidoscope, 2002, Folio cadet, 2012)
  • un raton-laveur dans "Timothée va à l'école" de Rosemary Wells (l'école des loisirs, 2007, Folio Cadet, 2012)
  • un ornithorynque dans "Mais où est donc Ornicar?" de Gérald Stehr et Willi Glausauer (l'école des loisirs, 2000)
  • un jeune félin dans "L'école d'Eliott" de Françoise de Guibert et Olivier Latyk (Gallimard Jeunesse, 2014)
  • un petit loup dans "Un monde de cochons" de Mario Ramos (l'école des loisirs/Pastel, 2005)
  • des animaux dans "La rentrée des animaux" de Samir Senoussi et Henri Fellner (Gallimard Jeunesse, 2013) 
  • des enfants dans "Nous, on va à l'école en dinosaure!" de Julia Liu et Bei Lynn (Rue du monde, 2010), d'autres dans "A l'école" de Pittau et Gervais (Seuil, 2003)
  • une fillette dans "Rita et Machin à l'école" de Jean-Philippe Arroud-Vignod et Olivier Tallec (Gallimard Jeunesse, 2012)
  • et même les lettres dans "A l'école de l'alphabet" de Lionel Koechlin (Mango, 2013)



mardi 25 août 2015

Le conte sur le comte de la baronne Nothomb

Les lecteurs de ce blog le savent désormais. Ma rentrée littéraire commence toujours par le nouveau roman d'Amélie Nothomb (lire ici). Le cru 2015 s'intitule "Le crime du comte Neville" (Albin Michel, 135 pages), en hommage à l'écrivain irlandais Oscar Wilde et plus particulièrement à sa nouvelle "Le crime de Lord Arthur Savile" (1887). Il s'agit du 24e roman publié depuis 1992 par la Belge devenue baronne le 21 juillet - fille du baron Patrick Nothomb, elle était noble mais non titrée puisque femme!

Ironie du sort, ce nouveau livre se déroule dans le petit milieu de la noblesse belge, milieu que la romancière connaît bien et qu'elle bouscule gentiment. Savait-elle en l'écrivant qu'elle serait anoblie lors de la fête nationale belge? Le roman était alors imprimé depuis longtemps. On sourit en tout cas en découvrant ses portraits.

Tout commence chez une voyante au nom incroyable, Rosalba Portenduère. Le comte Neville lui rend visite. S'inquiéterait-il de son avenir, la suite du livre justifiera grandement ses craintes, ou de celui de son château? Non, il vient y récupérer sa troisième enfant, Sérieuse, 17 ans, qui a fugué et a été récupérée par la dame. Laquelle profite de la venue du comte pour lui asséner qu'il va tuer quelqu'un lors de la grande fête qu'il va bientôt donner! Double surprise chez le noble.

Amélie Nothomb. (c) Olivier Dion.
Après cet agréable début, mais tous ses débuts de livres sont réussis, Amélie Nothomb va nous entretenir avec ses mots toujours aussi bien choisis de la famille du comte, Madame, les deux enfants aînés, Oreste et Electre, 22 et 20 ans, la tante décédée, et de la faillite économique de la petite entreprise familiale. Les affaires vont tellement mal qu'il va falloir prendre des mesures définitives. Le comte en souffre terriblement, lui qui adore recevoir du monde et chouchouter ses hôtes. Mais il assume le destin funeste de sa lignée - il en a souffert aussi quelques années plus tôt.

La garden-party annuelle qui approche s'assortit toutefois pour lui d'un nuage bien sombre: cet assassinat qu'il va commettre. Qui? Pourquoi? Ado plus que décidée malgré son changement de comportement quatre ans plus tôt, Sérieuse a bien des idées sur la question et une façon définitive de ligoter son père... Mais quand même, il hésite.

On n'en dira pas plus de l'intrigue de ce conte plaisant si on accepte de se laisser conduire les yeux fermés par l'auteur. Amélie Nothomb n'hésite pas à utiliser tous les ressorts possibles à la fin d'un long suspense pour finir son histoire. Avec moi, ça a marché! Et j'ai aimé ses moqueries sur les mots à la mode, comme les "ressentis" évoqués par Sérieuse et par son père. Sa chiquenaude à Fleur Pellerin à propos de sa (non) lecture de Patrick Modiano. Son intérêt pour les gens et les ados dans cete histoire et son imagination sans limite quand il s'agit de mêler tragédie grecque et conte ardennais. "Le crime du comte Neville" n'est sans doute pas inoubliable mais il fonctionne bien si on accepte le jeu proposé. "Ce qui est monstrueux n'est pas nécessairement indigne", dit la quatrième de couverture.

Pour en lire les premières pages, c'est ici.

samedi 22 août 2015

DTPE 10: un semainier de romans

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.

Grand moment de lectures obligées pour esprits s'affirmant libres, la rentrée littéraire pointe le bout de son nez déjà. Va-t-on lui donner le droit d'évacuer les livres sortis plus tôt cette année? Nooooon! Pas tout de suite. Entre le semainier et la neuvaine, coup de projecteur sur huit romans de la rentrée précédente.



Patrick McGuinness
"Vide-grenier"
traduit de l'anglais (Grande-Bretagne)
par Karine Lalechère
Grasset, 263 pages

Bouillon, oui, la ville de Belgique, pas le surveillant du Petit Nicolas, ni la potion de Georges. Bouillon, la ville de la famille maternelle de Patrick McGuinness, écrivain, poète et professeur de littérature comparée à l'université d'Oxford. Une petite cité wallonne dont je découvre avec bonheur le passé disparu tant elle prend vie dans le merveilleux "Vide-grenier" que lui consacre l'auteur né en 1968, britannique par son père, belge par sa mère.

Patrick McGuinness.
Un texte composé de souvenirs épars, assemblés au gré de la mémoire, prolongés de photos en noir et blanc. "Je voulais écrire quelque chose qui n'existait pas, sans savoir où j'allais, sur l'enfance et la mémoire. Bouillon est une ville unique et particulière comme chaque petite ville." A tel point qu'à la sortie du livre en Angleterre, certains lecteurs y retrouvaient aussi leur ville natale. "Maintenant, il n'y a plus rien, plus de magasins, moins d'habitants. C'est un livre sur la fin d'une certaine façon de vivre."

Un livre aussi pour savoir d'où l'on vient. "Il y a un gouffre entre mes enfants et leurs grands-parents."

Un autoportrait en creux. "C'est une mosaïque de la mémoire avec la subjectivité comme mortier."

Un livre en fragments qui file adroitement dans tous les sens, raconte des lieux, des gens, leurs interconnexions, l'Histoire. Un père diplomate engendre de nombreux déménagements pour la famille et Bouillon a été le lieu d'ancrage de Patrick McGuinness enfant. "Mes enfants voulaient connaître mon enfance à Bouillon. Je leur racontais des histoires, les miennes et d'autres à moitié inventées et d'autres encore, totalement fausses celles-là. Le livre explore la frontière entre le vrai et le moins vrai. Ce sont des souvenirs à moi et des souvenirs à d'autres. Des friandises emballées de mémoire."

Avec ses bonbons en couverture, "Vide-grenier" offre un très agréable moment de lecture, qu'on connaisse la ville de Bouillon ou non, qu'on ait une bonne mémoire ou pas. On y fait des trouvailles d'histoires, superbement racontées, comme dans un vrai vide-grenier (brocante en belge).



Paula Jacques
"Au moins il ne pleut pas"
Stock, 355 pages

C'est en 1959 que commence le nouveau roman de Paula Jacques, dont le titre ne s'expliquera que dans les pages ultimes. Un bateau conduit à Haïfa les "olim", les immigrants en hébreu, venus du Caire et désireux de s'installer en Israël avec l'aide de l'Agence juive. Parmi eux, Solly, un gamin frondeur de quatorze ans, et sa sœur Lola, de treize mois sont aînée, dingue de littérature et beaucoup plus sage. Les orphelins n'ont qu'une idée en tête: éviter leur placement séparé. Au port, ils vont rencontrer un certain Georgie qui leur propose de les aider. Ils finiront par s'installer dans une maison ouverte, où vivent deux femmes, Ruthie et Tante Magda, rescapées d'Auschwitz. Officiellement du moins.

Paula Jacques.
Ce qui est passionnant dans le roman de Paula Jacques, c'est qu'elle raconte formidablement la vie en Israël dans ces années-là, la politique mais aussi le quotidien d'un frère et une sœur si différents et obligés de se débrouiller. Avec les joies et les difficultés, et des difficultés, il y en aura. Bien sûr, c'est elle qu'elle met en scène sous le nom de Lola. Mais ce qui est surtout intéressant dans ce livre, c'est qu'il aborde sans détour un aspect peu évoqué dans la littérature autour d'Israël: le chemin de ceux qui ont été prisonniers dans les camps et ont été "kapos". Pas pour blâmer, pour comprendre.

"Le livre évoque une situation que j'ai connue en tant qu'orpheline venant du Caire en Israël", m'explique Paula Jacques. "Ce furent deux années extrêmement riches en événements, le soulèvement d'un quartier, les contestations israéliennes... mais la situation de survivants des camps était mal vue à l’époque. Ils étaient considérés comme des lâches. On ne pouvait pas parler des horreurs vécues dans les camps. Par ailleurs, les deux orphelins de l'histoire ont besoin d'une famille, d'un cocon. Surtout Lola. Ils découvrent cet aspect de l'Histoire parce qu'en Egypte, on ne parlait pas du génocide."

"J'ai voulu reprendre pour ce livre une situation affective de détresse que j'avais vécue. Et j'avais vu un documentaire sur les kapos. Ces hommes et ces femmes n'ont pas le choix. Tout le monde aurait fait pareil. J'étais liée aux souffrances de ces deux rescapées d'Auschwitz qui témoignaient. Moi-même, je n'ai jamais osé entrer à Auschwitz. Mais je le fais en tant qu'écrivain par mes personnages."

"Pour moi, le plus important quand j'attaque un livre, ce sont les personnages. J'aime lire des romans bien écrits où on entre tellement dans un univers qu'on en oublie tout le reste, ces livres qui ont le don de vous arracher un temps à la réalité." "Au moins il ne pleut pas" vous emporte en Israël entre 1959 et 1961, de Haïfa à Kiryat-Yam. "C'est un roman sur le bien et le mal, l'idée est là dès le début. Il n'y a pas beaucoup de livres sur les collaborateurs juifs - ils s'acharnent à dénoncer les autres -, je voulais regarder cela en face."



Eliette Abécassis
"Alyah"
Albin Michel, 243 pages

L'"alyah" est pour les juifs le fait de quitter le pays où ils vivent pour s'installer en Israël. Cette question est au cœur de la réflexion d'Esther Vidal, double littéraire de l'auteure, de nationalité française. Un livre qu'Eliette Abécassis considère comme un roman, écrit dans l'urgence, dans la déroute, dans la tristesse, dans la colère sans doute aussi. Un livre qui fait entendre la voix des juifs de France mais évacue les autres religions et les actes de guerre ou de racisme qu'elles subissent également. Quant aux gens de gauche, ce ne sont que des bobos. Et ne parlons pas des pro-palestiniens. D'où mon malaise à la lecture même si la romancière se dit pour la coexistence de deux états là-bas, Israël et Palestine.

Eliette Abécassis.
"Je n'ai jamais écrit un livre aussi vite", me dit Eliette Abécassis. "Je l'ai commencé en août 2014, lors de la manifestation contre les juifs à Paris - au départ, une manifestation pour les Palestiniens. J'écrivais autre chose. J'ai arrêté. J'ai ouvert un autre dossier. Ecrire, c'est mettre de l'ordre dans ses obsessions. En janvier - ndlr attaques de "Charlie-Hebdo", du supermarché kasher -  j'étais en train de finir mon texte. J'ai tout repris. L'angoisse devenait une tragédie, j'ai repris les choses avec une autre perspective, celle de la fatalité, de la déception, plus que de l'angoisse."

"Ce livre est un roman. Une histoire d'amour avec un homme, une histoire d'amour avec un pays. Un plaidoyer pour la France. Je raconte une histoire, ce n'est pas un essai. Je présente plein de points de vue. Je n'ai que des questions, pas de réponse."

"Esther Vidal est mon double littéraire. Comme moi, elle est Française, née à Strasbourg de parents venus du Maroc mais c'est un personnage. Julien, lui, est inspiré de plusieurs personnes qui existent. Esther découvre que l'histoire de sa famille remonte jusqu'à l'Antiquité. Elle se sent profondément française. Envisager de quitter le pays est douloureux pour elle. Il est le lieu de sa culture, de ses racines collectives, de sa langue."

"Je me pose la question du départ depuis l'affaire Ilan Halimi. C'était un acte terrifiant qui a été suivi du drame de Toulouse jusqu'à l’attentat de janvier. Tout le monde autour de moi se pose cette question. La réalité de la vie quotidienne devient difficile, obsessionnelle."

"Ecrire, c'est créer une alchimie, transformer le négatif en positif ou en autre chose."


Baptiste Beaulieu
"Alors vous ne serez plus jamais triste"
Fayard, 276 pages

Il était une fois un petit garçon qui rêvait d'écrire et de soigner.
Ce petit garçon est aujourd'hui un jeune homme de vingt-neuf ans.
Il s'appelle Baptiste Beaulieu.
Il est "médecin de famille" selon l'expression qu'il apprécie, à Toulouse.
Il a déjà publié deux livres, et est occupé à écrire le troisième.
Il est aussi blogueur à ses heures: "Alors voilà", qui veut réconcilier soignants et soignés, compte plus de cinq millions de visiteurs.

Baptiste Beaulieu.
Le deuxième livre de Baptiste Beaulieu emprunte une toute autre forme que le premier (lire ci-dessous), celle d'un conte à l'envers. "Alors vous ne serez plus jamais triste" (Fayard, 278 pages numérotées de façon décroissante) met en scène un médecin malheureux bien décidé à se suicider depuis le départ de sa femme. Chance ou pas de chance, en sautant dans un taxi, il rencontre une extraordinaire vieille dame excentrique. La conductrice du taxi obtient du médecin qu'il postpose sa décision de sept jours. Ce sont ces sept journées que nous conte par le menu le généraliste. Un suspense qui permettra de faire connaissance avec les deux protagonistes principaux de ce roman positif.

"La numérotation à l'envers est un objet ludique pour le lecteur. Je voulais que le lecteur arrive à la page zéro. J'ai voulu écrire un conte réaliste. Avec de l'humour. Il faut faire rire les gens, c'est beaucoup plus difficile que les faire pleurer."


C'est le nom de son blog qui donne son titre au premier livre de Baptiste Beaulieu, "Alors, voilà: les 1001 vies des Urgences" (Fayard, 2013, Le Livre de poche, 2015, Audiolib, 2015, 6h44, lu par Emmanuel Dekoninck). On y découvre une semaine de la vie d'un apprenti-médecin aux urgences d'un hôpital, entre patients, internes, médecins, chirurgiens, aide-soignants, infirmières et public.




Valérie Tong Cuong
"Pardonnable, impardonnable"
JC Lattès, 340 pages

Il n'y a pas de suspense, heureusement, sur ce qui arrive à Milo, douze ans. Il roulait à vélo, surveillé par sa tante, et il a eu un accident. Grave. Imprévisible comme tous les accidents de ce type. Non, là où Valérie Tong Cuong polit son récit à plusieurs voix, c'est dans les relations au sein de la famille, les parents, Céleste et Lino, la grand-mère Jeanne, la jeune tante Marguerite. Les adultes se déchirent et Milo lutte à l'hôpital pour rester en vie. Des secrets venimeux vont sortir.


Valérie Tong Cuong.
"C'est un livre sur le pardon", me dit Valérie Tong Cuong. "Un chemin qui passe par une série d'épreuves pour une famille dont tous les protagonistes auront leur propre lot d'épreuves dans leur parcours. Pour moi, ce n'est pas un livre noir même s'il remue et s'il bouleverse. On entre au cœur de l'intime de chacun. On va au fond des blessures."

"Je cherche à voir comment on peut avancer. Le pardon est un outil de libération. Mais quand on est fondé sur quelque chose de bancal, tout doit d'abord s'écrouler avant de pouvoir se reconstruire. Je veux montrer que cet accident est la conséquence des multiples dysfonctionnements familiaux aux générations précédentes. Que nos vies sont en interaction avec le présent et le passé."

"J'ai tout de suite su qu'il me fallait donner la parole à chacun de mes personnages tour à tour. En écrivant, j'étais chaque fois à 100 % dans chaque personnage."

"Le fil rouge du livre est la santé de Milo. Mais il me fallait aussi que l'histoire avance pour que l'intrigue soit intéressante. Je démêle les nœuds qui apparaissent progressivement. Les mensonges que l'on se fait à soi-même, à l'autre. Tout le monde ment. Parfois pour protéger l'autre, comme on pense. Chacun des personnages a cru qu'il faisait ce qu'il pouvait faire de mieux. Il n'y a pas une vérité mais la vérité de chacun. Aucun ne possède l'ensemble des clés. Le lecteur a toujours de l'avance et peut nuancer ainsi son jugement."

"Aucun des personnages n'est à la place qu'il devrait occuper pour des raisons qu'il ne connaît pas. C'est la force invisible et destructrice des secrets de famille. L'histoire se répète tant que le secret n'est pas levé."

"J'ai pleuré d'émotion, pas de tristesse, en écrivant ce livre. J'ai suffoqué. Je n'ai pas envie d'écrire un conte de fées, mais de montrer la possibilité du chemin. Je voulais affronter ce lot d'émotions rudes parce que nécessaires, pour aller vers l'apaisement, la libération. Mon livre comporte une notion d'espoir."



Sylvie Le Bihan
"Là où s'arrête la terre"
Seuil, 287 pages

Quand j'avais rencontré Sylvie Le Bihan pour son premier roman, l'excellent "L'autre" (lire ici), elle m'avait dit qu'elle était en train d'écrire la suite de l'histoire d'Emma. Quelle surprise donc de lire ce second livre de fiction où l'on rencontre Marion, enceinte, et ses hommes: son mari, son amant dont elle révèle l'existence et Roger, rencontré par hasard dans une église où elle s'est réfugiée et qui souffre d'une blessure secrète. 

"Emma devait être Marion", me confie Sylvie Le Bihan. "Elle a peur face au bonheur et à l’amour. C'est le phénomène d'attraction-répulsion." Mais c'était compliqué et elle a changé d'idée et choisi de raconter Marion, dans un nouveau roman bien noir comme elle les aime. Un livre sur la violence psychique, qui n'éblouit toutefois pas autant que le premier, se perd souvent dans des longueurs et des dialogues répétitifs. 

"Marion est une femme et une petite fille gâtée. Elle est en guerre contre tout le monde car elle est en guerre contre elle-même. Elle est bouleversée par la mort de sa mère. Elle se crée un amour impossible qui gâche sa vie avec son mari. Je la voulais agaçante. Je ne suis pas dans la séduction du lecteur. Pareil pour Roger qui est un plouc, on s'en rend compte petit à petit. Mais il est lucide sur lui-même contrairement à Marion qui est tout le temps dans la séduction. Mais elle a aussi un côté animal, elle est à l'état brut. J'écris comme se déroule une corrida avec des passes avant la mise à mort." 


Claire Huynen
"Néfertiti en bikini"
Cherche-Midi, 147 pages

Un voyage mère-fille, adultes toutes les deux, pas très proches dans la vie, une croisière sur le Nil. Un moment d'enthousiasme pour la première, malgré une blessure le premier jour, plus désespérant pour la seconde, priée de vivre les excursions à la place de l'autre et de lui en rendre compte en fin de journée. Tourisme de masse et découvertes mutuelles.

"Je me suis bien amusée à écrire ce roman, mon quatrième", me dit Claire Huynen, Belge installée à Paris. "Le voyage est une belle matière. Le phénomène grégaire est sociologiquement intéressant. J'ai voyagé dans le tourisme de masse, c'était passionnant à regarder. J'ai appris mille choses. Le touriste est de la chair à excursion. L'esprit grégaire est entretenu par le tour-opérateur. Le phénomène de groupe incite à prendre plus d'excursions, à faire davantage d'achats. L'objet de consommation est plus malléable ensemble qu'isolé. Je n'ai pas théorisé sur le sujet mais tout le monde s'y retrouve, même le touriste."

 "J'ai fait deux fois cette croisière avant d'écrire le livre. Je suis allée en Egypte début mai. Les sites étaient vides.  Il n'y avait pas trente bateaux sur le Nil alors qu'il y en avait 350 avant. C'est le drame des Egyptiens mais mon bonheur égoïste. La faute aux derniers attentats, alors qu'en Egypte, tous les sites sont surveillés."

"Le personnage féminin auquel je ressemble le plus est Jo, la fille. Je déteste le tourisme de masse, je suis allergique au groupe. Mais j'ai plus d’affection pour Sylvette qui a lâché prise. Jo, elle, a freiné des quatre fers. N'a vu que le négatif. Sylvette prend ce qu'il y a de bien, la beauté des rencontres, elle a accepté que le temps soit long, lent."

"Au départ, elles ne se connaissent pas bien. La mère est une ouvrière dentellière. Au XXe siècle, chaque génération monte une marche. Il y a de la pudeur chez les deux. Déplacées, elles découvrent le pays ensemble, comme elles découvrent la réaction de l'autre. Jo ment à sa mère, elle joue le simulacre du plaisir. Elle raconte ce qu’elle n'a pas vu."



Véronique Cels
"Voyage de noces avec ma mère"
Calmann-Lévy, 198 pages

Un troisième roman dans une plus grande maison que les deux précédents, publiés chez Genèse Editions. Tout est dit dès le titre: Anne, tout juste mariée à Raphaël, part en voyage de noces sur la côte ouest des Etats-Unis avec sa mère, Dana. Et son mari.

"L'idée du roman m'est venue de mon expérience personnelle, mais il n'est pas autobiographique, et de centaines de conversations sur les conflits intérieurs, émotionnels et moraux. Ces femmes qui adorent leur mère qui leur a tout donné et  ont une énorme envie de s'en défaire, de s'en distancier. Les femmes ont beaucoup parlé de s'émanciper des hommes, beaucoup moins de s'émanciper de leurs mères."

"L'histoire est à la fois un voyage géographique et un voyage dans l'inconscient. Dans l'ouest américain et à l'intérieur des protagonistes, plutôt burlesques. Anne est une jeune femme inquiète et pleine de paradoxes. Elle est éprise de liberté mais c'est une autonome dépendante, très en demande d'attention. Son mari est un homme aimant, aimable, attentif et discret, peut-être trop. La mère est une femme agitée, hyperactive, une petite tornade qui bouscule tout sur son passage, envahissante malgré elle. Ils sont tous les trois dans un état très différent."

"J'ai choisi l'année 1987 parce que je suis nostalgique des années 1980. Il y avait alors un grand sentiment de liberté, perdu aujourd'hui. Les grands espaces américains permettent des situations métaphoriques. Le récit commence de façon réaliste et glisse vers l'absurde."


Rappel
DTPE 1 "Nous étions l'avenir", de Yaël Neeman (Actes Sud)
DTPE 2  "Jules", de Didier van Cauwelaert (Albin Michel)
DTPE 3 "Le Caillou", de Sigolène Vinson (Le Tripode)
DTPE 4 "Georges, si tu savais...", de Maryse Wolinski (Seuil)
DTPE 5 "Quatre murs", de Kéthévane Davrichewy (S. Wespieser/10-18)
DTPE 6 "Et si on aimait la France", de Bernard Maris (Grasset)
DTPE 7 "Les quatre saisons de l'été", de Grégoire Delacourt (JC Lattès)
DTPE 8 "Soudain, seuls", d'Isabelle Autissier (Stock)
DTPE 9 "L'Année dernière à Saint-Idesbald", de Jean Jauniaux (Weyrich)

jeudi 20 août 2015

Les délicieuses accumulations de Yuichi Kasano

Irrésistible, le vol du biplan rouge au-dessus de la  campagne dans le nouvel album de Yuichi Kasano"Tu nous emmènes?" (traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier et Florence Seyvos, L'école des loisirs, 32 pages). Un de ces albums délicieux qu'on adore. Simple en apparence, débordant de fantaisie et d'imagination, plein d'éléments à découvrir dans ses images.

Son look un peu rétro convient superbement à cette histoire d'avion aménagé au fur et à mesure que se présentent de nouveaux candidats au vol. Tous animaux de ferme.

Le biplan rouge. (c) edl.
Au début de l'histoire, père et fils, casquette bleue et casquette jaune, sont tout contents d'avoir terminé leur biplan rouge. Ils se sont installés dans le coucou. L'hélice tourne déjà. Il n'y a plus qu'à mettre les gaz. Mais, mais, mais...  Le chien arrive: "Hé ho, emmenez-moi!" Il suffit d'un instant au pilote bricoleur pour fixer la niche sur l'appareil. Nouveau départ. Mais, mais, mais... Maman cochon et ses quatre petits hèlent le trio: "Hé ho, emmenez-nous!" Nouveau report du décollage et nouveau bricolage sous l'œil toujours attentif du coq. Une fameuse construction cette fois puisqu'une commode est posée à la place du copilote, lequel est maintenant installé dans un fauteuil attaché au meuble.

Le décollage sera cette fois interrompu par l'arrivée de la vache: "Hé ho, emmenez-moi!"

Une formidable machine volante. (c) l'école des loisirs.

Aucun problème. Le biplan est encore modifié et solidement, on s'en doute. Et voilà, le père, le fils et les animaux de la ferme sont enfin prêts à prendre la voie des airs. Ils décollent dans leur drôle d'avion, symbole de l'attention à l'autre et de la joie d'être ensemble. Quel bonheur que l'œuvre de ce Japonais!



Yuichi Kasano était apparu en 1983 en France avec "Une journée à la plage". Il a été redécouvert en 2007 avec l'album "Bloup - bloup - bloup"(adapté du japonais par Florence Seyvos, l'école des loisirs, 32 pages), talent confirmé deux ans plus tard dans "A la sieste, tout le monde!" (traduit du japonais par Madoka, Jean-Christian Bouvier et Florence Seyvos, l'école des loisirs, 32 pages).

Ces deux albums exploitaient déjà le principe de l'accumulation, chacun à leur manière bien entendu.

Bulles à gogo. (c) edl.
A tenir reliure vers le haut, "Bloup - bloup - bloup" démarre avec le regard que se lancent un petit baigneur, flottant dans sa bouée, et une mouette volant haut dans le ciel. Une histoire joyeuse, en boucle si on le désire, quasi sans texte mais pleine de bulles. On y suit les jeux marins complices d'un père et son fils. Flottant seul dans sa bouée, le gamin repère des bulles à la surface de la mer! Ce n'est que son papa qui le soulève de l'eau. Mais qu'y a-t-il? "Bloub bloub bloub", d'autres bulles se font remarquer! Une tortue a glissé sa carapace sous les pieds du papa et hisse le duo dans l'air. "Bloub bloub bloub", encore des surprises. La pyramide s'élève petit à petit vers la mouette, ravissant ses participants étonnés. Simplicité, bonne humeur et imagination à toutes les pages.

"A la sieste, tout le monde!" ne peut cacher qu'il vient du Japon. Sous ses images point le mode de vie de là-bas. Le futon par exemple, qu'une Grand-mère en chaussettes déroule sur la terrasse de sa maison en bois pour l'aérer. Quelle invitation pour le chat qui passe par là! Le matou s'y installe et s'y endort immédiatement. D'abord surprise, Grand-mère s'accorde aussi un moment de repos sur le matelas moelleux.

Un début apparemment anecdotique. (c) l'école des loisirs.

Les dormeurs ne resteront pas à deux longtemps. Leur sommeil paisible est un incitant pour tous ceux qui passent par là. Qu'ils soient poule, poussins, gamin, chien, chèvre ou famille cochon. Tout le monde s'installe rapidement sur l'étroit futon - on les retrouvera tous en quatrième de couverture!

Cette accumulation de dormeurs, extrêmement cocasse à l'œil du lecteur, s'arrête à cause d'un tremblement de terre: Grand-mère se réveille bruyamment de sa "sieste", première apparition dans le texte de ce mot qui échauffe les oreilles de tant d'enfants. "Quelle bonne sieste j’ai faite avec le chat!", déclare-t-elle, refermant délicatement la boucle du secret de l'identité des dormeurs entre ces derniers et les lecteurs de l'album. Belle finesse!

Les premières pages de l'album "A la sieste, tout le monde!" sont à feuilleter ici.


D'autres histoires de voyages

"La baleine et l'escargote"
Julia Donaldson et Axel Scheffler
traduit de l'anglais
par Vanessa Rubio-Barreau
Gallimard Jeunesse, 32 pages

Voilà une très jolie histoire d'amitié et de voyage entre une baleine à bosse et une escargote de mer, oui, le genre bulot que je ne mangerai plus d'aussi bon appétit, par les deux artistes qui ont créé "Gruffalo" (même éditeur).  L'improbable duo va vivre de formidables aventures dans son tour du monde par la mer, racontées avec verve et imagination (ah!, les écrits de l'escargote), et les images que nous propose cette perle d'album né en V.O. il y a dix ans sont de toute beauté.

En route pour le tour du monde. (c) Gallimard Jeunesse.


"Une livraison très spéciale"
Philip C. Stead et Matthew Cordell
adapté de l'américain par Gaël Renan
Le Genévrier, 48 pages

L'histoire est un peu foutraque mais c'est pour cela qu'on l'aime. En résumé, Lily veut envoyer un éléphant à sa grand-tante Joséphine "qui vit pratiquement seule et aurait besoin d'un peu de compagnie". Un éléphant! Par la poste? Il faudrait une brouette de timbres. Elle tente d'autres moyens de livraison, avec plein de surprises en chemin, dont la finale, à l'arrivée. Un album d'une belle longueur, plein d'humour et de détails à observer dans les images dynamiques.

En route pour la première étape. (c) Le Genévrier.


"De plus en plus vite"
Justine de Lagausie et Mikhail Mitmalka
De la Martinière Jeunesse, 40 pages

L'album se tient reliure vers le haut et nous fait passer en quarante pages d'une marche humaine tranquille à 5 km/heure à la vitesse de croisière de la sonde spatiale Helios 2, soit Mach 227! Entre les deux, des modes de déplacement humains ou animaux de plus en plus rapides. Sur terre, en mer, dans le ciel, sur la neige, sur route, sur rail et dans l'espace. Plein de découvertes intéressantes dans ce documentaire original.

Un exemple de page. (c) De La Martinière jeunesse.