Nombre total de pages vues

jeudi 31 décembre 2015

Garder le meilleur pour la fin (de l'année): l'Italien Paolo Di Paolo en roman étranger

"Où étiez-vous tous", le deuxième roman de Paolo Di Paolo (traduit de l'italien par Renaud Temperini, Belfond, 260 pages) à être traduit en français après "Tanta Vita!" en 2014, nous montre combien grand peut être le fossé entre littérature italienne et littérature française. Grand mais pas infranchissable car la lecture de ce livre est fort réjouissante, pour peu qu'on s'y avance l'esprit libre et ouvert, sans œillères. Ce n'est pas pour rien que cet auteur remarqué est qualifié de "jeune prodige des lettres italiennes" par Antonio Tabucchi. Jeune car il est né à Rome en 1983.

L'histoire est celle de Mario Tramontane, professeur retraité, qui renverse devant le lycée un des ses anciens élèves, Thomas Marangoni. Fait divers ou accident volontaire? Quand les parents du jeune homme portent plainte, la famille Tramontane explose. Le père se mure dans le silence, la mère fuit à Berlin, la fille est furieuse. C'est Italo, le fils étudiant en histoire contemporaine, qui déroule ce récit privé, proche de l'enquête, tout en posant la question du lien entre les petites histoires de nos vies et la grande histoire du monde. Les vingt années de la politique berlusconienne dans le cas présent. En même temps, l'aventure paternelle oblige le narrateur à ouvrir les yeux sur le monde qui l'entoure, sur sa vie et sur ce qu'il en fait.

Ce qui est épatant dans ce roman, c'est son écriture faisant intervenir différents types de textes, des coupures de journaux, des dessins et bien sûr son ton original, hâché, morcelé, définitivement prenant.


Sept questions à Paolo Di Paolo

Paolo Di Paolo.
Comment êtes-vous arrivé à cette écriture originale?
Par le journalisme. C'est ce qui influence le thème et la structure de mes livres. La présence des journaux et des thèmes politiques viennent d'une passion pour le journalisme que j'avais adolescent. En ce qui concerne la structure du roman, j'aime l'idée que, sans devenir un auteur d'avant-garde, je puisse modifier les structures du roman et insérer des éléments différents. Je pense qu'on peut résoudre le débat sur la fin du roman des années 60 et 70 en disant que le roman est toujours en évolution et donc à remplir avec des structures différentes.
Vous terminez le livre par une note explicative.
En Italie, cette note finale a été critiquée parce que les lecteurs ne veulent pas toujours tout savoir. Moi, j'ai besoin de raconter ce qui se cache derrière le roman que j'écris. Le lecteur peut ne pas lire la note. Par contre, il peut être intéressé qu'on lui dise que le livre a été un pont vers d'autres lectures. Moi, en tant que lecteur, je suis curieux de savoir ce qu'il y a sur le bureau d'un écrivain. Il y a une façon très émotionnelle de lire les romans, quand le lecteur plonge dans l'histoire et ne veut rien savoir. On peut aussi lire le livre différemment, de façon plus consciente et plus profonde, pas seulement naïve. Le livre est parallèle aux objets sur mon bureau. Je ne raconte jamais une histoire juste pour raconter une histoire, alors je serais devenu scénariste et non écrivain.
C'est quoi, un roman, pour vous?
Pendant des siècles, les romans ont pu contenir des questions sur les références culturelles. Aujourd'hui, il est plus difficile de considérer ces aspects alors que pour moi, le roman, ce sont beaucoup de couches qui s'emboîtent, sans que ce soit compliqué pour autant. On peut demander au lecteur de commencer un voyage profond avec l'écrivain. Si quelqu'un lit un livre, va se doucher et ne se rappelle de rien, c'est que le livre n'a pas fonctionné. Je préfère qu'on ne se rappelle pas de l'intrigue mais d'un détail qui reste.
Après avoir fini un livre, videz-vous votre bureau des objets accumulés?
Pas vraiment. Alors que je suis encore en train d'écrire un livre, des objets apparaissent déjà pour le suivant. Pendant que j'avais rassemblé des objets pour "Tanta vita", j'ai commencé à écrire ce livre-ci. Certains livres demandent plus de temps. Je suis en train d'en écrire un nouveau, mon troisième roman. J'écris à l'ordinateur mais auparavant je remplis des cahiers de notes. Pour le roman que je termine, mes notes datent de 2011...
Comment avez-vous choisi le titre, une question sans point d'interrogation?
"Où étiez-vous tous", je l'ai choisi en pensant à une question qu'Italo pose à la génération de ses parents. C'est une question politique, comme un acte d'accusation: où étiez-vous pendant que l'Italie devenait ce qu'elle est aujourd'hui? Il est sans point d'interrogation pour montrer la volonté de comprendre: où étaient les personnes de sa famille pendant toutes ces années? C'est seulement en comprenant où étaient les membres de notre famille avant nous, nos grands-parents, etc., qu'on peut comprendre où nous sommes nous.
Avez-vous utilisé votre famille pour votre roman?
Quelques éléments de mon adolescence ressemblent à ceux d'Italo. Heureusement, mon père n'est pas celui d'Italo même si ma mère est enseignante. Peut-être est-ce en écoutant ses histoires sur le monde de l'école que j'ai pu imaginer la relation professeur-étudiants. L'élément le plus autobiographique est la présence du grand-père dans sa camionnette. 
Que pensez-vous de Berlin?
1) Dans les années 2000, Berlin est devenue pour beaucoup de jeunes une ville créative, encore plus que Londres.
2) Mais Berlin a une relation étrange avec son propre passé. C'est une ville capable de se montrer active comme ville moderne, remplie de chantiers, non pas belle comme Paris ou Rome, mais une beauté un peu européenne. C'est une ville chaotique du point de vue urbanistique mais obsédée par son passé. Elle est prisonnière de la question de conserver ses souvenirs plus que de celle des souvenirs eux-mêmes. Elle a peur d'avancer sans rappeler le passé et que le reste du monde le lui rappelle. 

Pour lire le début de "Où étiez-vous tous", c'est ici.

mercredi 30 décembre 2015

Garder le meilleur pour la fin (de l'année): Sophie Daull en catégorie premier roman

Il y a des livres dont on aimerait se contenter de dire: prenez-le, lisez-le et voyez comme vous l'aimez. Le premier roman de Sophie Daull, "Camille, mon envolée" (Philippe Rey, 186 pages) est de ceux-là. Un texte bouleversant, une mère se remémore le décès inopiné de sa fille de seize ans, emportée en quatre jours, mais d'une telle force et d'une telle lumière qu'il ne donne pas envie de pleurer. Ou alors sur soi, en se disant qu'on ne sera jamais à la hauteur de cette femme-là. Ou de son mari. C'est un livre de survie, d'amour, de souvenirs, de questions. Il ne mégote pas sur l'humour malgré le drame qu'il relate simplement au fil des souvenirs que la mémoire rappelle. Un "tombeau" sublime mettant en lumière des êtres de chair et de sang, d'émotions et de force.

Sophie Daull.
Ce roman, je l'ai lu début septembre, je l'avoue. Il m'a subjuguée. Mais comment partager ces émotions si intimes, celles de l'auteure devant son drame, les miennes devant son texte? Déjà alors, l'envie de conseiller le livre comme ça, en brut, sans l'artifice de mes mots. La peur de passer en dessous, à côté, la peur de mal dire, de ne pas assez dire ou trop. J'ai attendu l'inspiration. J'ai recommencé cette note cent fois pour finalement décider de l'abandonner et me contenter de dire: "Camille, mon envolée", prenez-le, lisez-le, ressentez-le.

J'en glisse juste quelques éléments, tant ça me paraît réducteur. Camille, enfant unique de seize ans, à qui tout souriait, a été emportée à la veille de Noël par une fièvre qu'aucun médecin n'a comprise. Le livre a la forme d'un double journal un peu décalé dans le temps, adressé à Camille: le premier débute une semaine après son enterrement et relate les événements qui se déroulent dans la famille, le second commence avec la dernière soirée de Camille et consigne sa douloureuse et brutale extinction jusqu'à la remise des résultats des derniers examens. C'est la mère qui tient la plume mais toute la famille est autour d'elle et de son envolée.







mardi 29 décembre 2015

Garder le meilleur pour la fin (de l'année): Philippe Jaenada en catégorie roman

Incroyable, et je ne suis pas la seule à le dire. Le dernier roman en date de Philippe Jaenada, le formidable "La petite femelle" (Julliard, 714 pages), n'a obtenu aucun prix littéraire, après avoir été sélectionné seulement par le jury du Renaudot et rajouté en dernière minute par celui de l'Interallié. Reste celui des Deux Magots dont il est l'un des quatre finalistes et qui sera remis le 26 janvier. Cette formidable brique de 700 pages est pourtant un des meilleurs romans des derniers mois.

Philippe Jaenada consigne la longue enquête qu'il a menée sur Pauline Dubuisson, cette jeune Française accusée d'avoir tué son amant au début des années 50. Pourquoi la France entière s'en prend-elle alors à cette jolie jeune femme? Cette haine massive a intrigué l'écrivain qui lui rend magnifiquement justice dans ces pages. Il déroule son enfance, son adolescence, sa jeunesse, sa soif de liberté dans les différents mondes qu'elle a côtoyés et qui, tous, l'ont enfermée. Il explique que Pauline Dubuisson n'est pas née au bon endroit au bon moment. C'est la France de l'après-guerre au moment du procès, ne l'oublions pas. Il y a des consciences qui veulent se racheter et un bouc émissaire pareil est une aubaine à ne pas laisser passer.

Pourquoi personne n'a-t-il pris la défense de l'accusée? Vu d'aujourd'hui, c'est incompréhensible. Mais Jaenada va rassembler toutes les pièces du dossier pour essayer de comprendre. En même temps, il brosse un tableau de la France des années 30 aux années 50. Il nous offre un épatant roman vrai, prenant, précis, incroyablement documenté sur son sujet et entrelacé de digressions personnelles qu'on découvre avec enchantement. Une manière d'écrire originale qui rend la lecture hautement addictive... Peut-être "La petite femelle" est-il un roman trop peu conforme pour les prix?

Sept questions à Philippe Jaenada

Votre roman précédent, "Sulak", sur un cambrioleur, était déjà un roman-enquête. C'est votre nouvelle voie?
Je me suis renforcé par rapport à "Sulak" qui se passait dans les années 80. J'ai rencontré des gens qui ont connu Bruno Sulak. J'avais une base de documentation et des témoignages, dont celui d'une fille amoureuse de lui. J'ai fait ce livre avec une retenue inconsciente pour les gens vivants.
Dans "La petite femelle", je ne suis pas tendre pour le frère de Pauline Dubuisson. J'ai eu toute liberté d'écrire mais par contre aucun témoignage direct, je n'ai rencontré personne. Mais j'ai travaillé énormément sur archives. J'ai eu des lettres, les traces de la police, de la justice. Le dernier dossier, je l'ai trouvé quand j'avais presque fini le livre.
Philippe Jaenada. (c) L. Reynaert.
Vous avez amassé une imposante documentation sur elle.
Cela m'a pris un an de recherches et un an d'écriture, sept jours sur sept, cinquante-deux semaines par an. Mais je n'ai pas la sensation d'un travail énorme: c'est comme quand on revient bronzé de vacances. J'avais le matériau brut sur Pauline Dubuisson. Mais je n'ai pas eu son "petit carnet" qui doit être dans une poubelle: dans les archives de la police, on parle d'un carnet disparu. J'avais une somme d'infos, comme un gros rapport de police. Ce qui est triste, c'est qu'il n'y a pas un point de lumière dans sa vie, sauf quand elle a entre 13 et 17 ans, mais c'était avec les Allemands.
Comment avez-vous choisi le ton du livre?
Je ne voulais pas écrire un livre au premier degré, qui aurait été triste et lourd. Je voulais de la légèreté. Je fais des digressions sur moi, sur ma vie, pour alléger l'histoire. Pour augmenter l'attention du lecteur. Quand ça va mal, je ne vais pas écrire "la pauvre". Ces parenthèses sont ma manière décalée de dire que je compatis. Mes émotions étaient vraiment fortes en écrivant ou en faisant mes recherches - j'avais les larmes aux yeux dans la salle d'archives juridiques. Mais je suis pudique, je donne du recul au lecteur. J'ai une histoire à raconter. Je tente de la raconter de la manière la plus sincère, la plus fiable, comme un conte.
Au fond, comment avez-vous rencontré Pauline Dubuisson?
Par hasard, juste à la fin de mon livre précédent. Chez moi, à Paris, je ne sors pas de mon appartement, sauf pour aller une heure par jour au bistrot. Là, on me pose des questions sur le livre suivant, sur le plaisir de parler de quelqu'un d'autre que moi. Peut-être une femme cette fois? Je discute avec une habituée qui me propose l'idée d'une femme cambrioleuse. Le lendemain, elle m'amène un livre sur les femmes criminelles du XXe siècle. Le bouquin est mal écrit, mais je le feuillette. J'y vois Pauline Dubuisson, présentée comme un monstre, comme une créature lubrique, cruelle, ayant le diable au corps, qui exécute le seul homme qui lui résiste!
Et vous avez voulu en savoir davantage.
J'ai voulu contrer les reproches qui lui étaient faits de parler trop bien, d'en faire une mauvaise femme. Je me suis renseigné sur elle. J'ai découvert que tout ce qui construisait cette légende de hyène malfaisante était des choses mensongères. Je me suis retrouvé à défendre le personnage que je voulais attaquer. Elle n'était pas née au bon endroit, dans la bonne famille, à la bonne époque. Si on la regarde objectivement, elle est une personne normale, presque une angelote de nos jours. Elle a eu 36 ans de vie et tout était contre elle. Pas d'école, un frère de treize ans plus âgé qu'elle, deux frères par moment, une mère effarante. Elle a vécu sa puberté sous l'occupation allemande. Dunkerque était une forteresse complètement fermée.
Qu'est-ce qui déplaisait chez elle?
Elle a été le bouc émissaire. Elle était trop libre dans sa tête. A 24 ans, elle avait connu cinq ou six garçons. Pauline Dubuisson menait sa vie mais a refusé de se marier, de connaître un seul homme, de demander pardon. Elle a réagi normalement à chaque étape de sa vie et a été accusée d'être une diablesse. Elle était en deuxième année de médecine dans l'idée d'étudier la pédiatrie quand elle a été demandée en mariage. Son refus était logique. Elle était en avance pour son temps. Ces jeunes-là vont être les parents des jeunes de 68. Le contexte est marquant, je ne le connaissais pas bien. C'est une période de basculement qui se concentre au procès de Pauline Dubuisson. Des vieux messieurs contre une jeune femme toute seule! Cela montre ce que la société va devenir après guerre. 
La couverture médiatique a été à charge, écrivez-vous.
Les femmes dans les journaux sont d'une cruauté incroyable! Que de mensonges pour l'enfoncer! Le journaliste Jean Cau est d'une méchanceté absolue. Même quand on veut rendre justice à Pauline Dubuisson, on invente des choses. Comme son viol à la Libération par des résistants. Cela a un effet pervers et accrédite la thèse qu'elle veut se venger des hommes. Je me suis renseigné sur Internet et sur Wikipédia.Tout est à disposition, les journaux, les livres d'époque. Il y a des erreurs, bien sûr. Mon but était de trouver ce qui reste quand on a enlevé tout ce qui est faux (la scène du parc, le viol). Il reste la vie d'une jeune femme nouvelle. Je refuse la thèse du crime passionnel par rapport à son fiancé, je penche plutôt pour l'accident. 







dimanche 27 décembre 2015

Quand 10/18 se met en habits de fêtes


Un cadeau de dernière minute? Pourquoi pas un livre de poche mais en version "collector"?
10/18 a revêtu quatre de ses titres, et pas des moindres, d'habits de fête, dont une nouvelle agréable couverture illustrée, à rabats de surcroît.


Un demi-siècle plus tard


Les choses
Georges Perec
10/18, 170 pages

"Une histoire des années 60", selon la définition que Georges Perec donne lui-même de son livre. Se rappelle-t-on que "Les Choses" parut en 1965 chez Julliard, à l'initiative de Maurice Nadeau, et reçut la même année le prix Renaudot? Un demi-siècle plus tard, il est passionnant de (re)lire ce roman, celui de Perec qui eut le plus grand succès. Un livre culte qui met en scène Sylvie et Jérôme, jeunes psychosociologues de la classe moyenne qui cultivent une idée matérialiste du bonheur au risque d'être happés par le vertige des choses... Oui, il y a cinquante ans.

Les premières lignes
"L'œil, d'abord, glisserait sur la moquette grise d'un long corridor, haut et étroit. Les murs seraient des placards de bois clair, dont les ferrures de cuivre luiraient. Trois gravures, représentant l'une Thunderbird, vainqueur à Epsom, l'autre un navire à aubes, le Ville-de-Montereau, la troisième une locomotive de Stephenson, mèneraient à une tenture de cuir, retenue par de gros anneaux de bois noire veiné, et qu'un simple geste suffirait à faire glisser. La moquette, alors, laisserait place à un parquet presque jaune, que trois tapis aux couleurs éteintes recouvriraient partiellement."



Le Cercle littéraire des amateurs
d'épluchures de patates
Mary Ann Shaffer et Annie Barrows
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Aline Azoulay
10/18, 412 pages

Sorti au printemps 2009 en français chez Nil éditions (et en 2014 chez 10/18), le livre aussi délicieux que poignant eut un destin aussi incroyable que sa genèse: un formidable succès tant public (vingt mille exemplaires de la traduction française avaient trouvé preneur en quinze jours de mise en vente) que critique couronna ce roman épistolaire situé durant la Seconde Guerre mondiale. Malgré son titre. En effet, titrer un roman "Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates", il faut l'oser! Et encore, la traduction française n'est qu'un raccourci de la version originale, "The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society" (Le cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey).

Sous l'appellation déconcertante se niche un formidable roman, touchant, surprenant et très addictif, qui mêle littérature, amour et esprit de résistance à l'envahisseur. Sa genèse est déjà un roman en soi. Il est l'œuvre unique de Mary Ann Shaffer, une bibliothécaire et libraire américaine née en 1934. En 1976, elle visite l'île de Guernesey et découvre la vie des habitants sous l'occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Vingt-cinq ans plus tard, pressée par son cercle littéraire de se lancer dans l'écriture, elle repense à son excursion anglo-normande – toute sa vie, elle avait rêvé d'"écrire un livre que quelqu'un aimerait assez pour avoir envie de le publier". Elle se lance et opte immédiatement pour la forme épistolaire qu'elle pense plus aisée. Sa première version enchante son entourage et trouve un éditeur. Mais le contrat signé, Mary Ann Shaffer tombe gravement malade. Elle demande alors à sa nièce, Annie Barrows, de poursuivre son travail. Elle décédera en février 2008, peu avant la sortie du livre aux Etats-Unis.

Le roman débute en janvier 1946. Londres se relève péniblement de la guerre. Alors que Juliet Ashton, jeune écrivain, cherche un sujet pour son prochain livre, elle reçoit la lettre d'un jeune fermier de Guernesey, Dawsey Adams, qui possède un livre mentionnant son nom et son adresse. Il lui fait part de son admiration pour l'écrivain Charles Lamb et évoque une affaire de cochon rôti pendant la guerre et la création d'un cercle littéraire local pour échapper aux Allemands. Curieuse, Juliet lui répond, lui pose des questions, s'intéresse à lui, à ses voisins, à leur passé durant la guerre, raconte tout cela à son éditeur, à une amie. Avant de se décider à se rendre sur place, par amitié pour ces amis postaux.

D'autres prennent également la plume: les membres du cercle littéraire, une voisine acariâtre, peu enthousiaste à l'idée que Juliet écrive un roman à partir de ce que les habitants de Guernesey lui racontent. Surtout qu'elle veut y évoquer Elizabeth, personnage finalement central de ce superbe roman. Une jeune originale qui a disparu depuis son arrestation par les Allemands (pour avoir secouru un prisonnier polonais) et a laissé une petite fille née de son amour pour un médecin militaire allemand.

Des séquences du passé se révèlent dans ces échanges épistoliers, d'autres histoires d'amour se construisent au jour le jour. Plein de douceur, de beaux sentiments et de références littéraires, original et percutant, jamais mièvre, cet épatant roman offre une lecture extrêmement réjouissante.

Les premières lignes
"8 janvier 1946
Mr. Sidney Stark, Editeur
Stephens & Stark Ltd.
21 St. James Place
Londres SW1
Angleterre

Cher Sidney
Susan Scott est une perle. Nous avons vendu plus de quarante exemplaires du livre, ce qui est plutôt réjouissant, mais le plus merveilleux, de mon point de vue, a été la partie ravitaillement. Susan nous a déniché des tickets de rationnement pour du sucre glace et de vrais œufs afin de nous confectionner des meringues. Si tousses déjeuners littéraires atteignent ces sommets, je suis partante pour une tournée dans tout le pays. Penses-tu qu'un somptueux bonus l'encouragerait à nous trouver du beurre? Essayons, tu n'auras qu'à déduire la somme de mes droits d'auteur.
A présent, les mauvaises nouvelles. Tu m'as demandé si mon nouveau livre progressait. Non, Sidney, il ne progresse pas."




Un jour
David Nicholls
traduit de l'anglais par Karine Regnier
10/18, 622 pages

Cette excellente comédie romantique et sociale venue de Grande-Bretagne est arrivée en traduction française chez Befond début 2011 (elle sera reprise en 10/18 l'année suivante). Le troisième livre du Britannique David Nicholls, mais le premier à être traduit en français, est l'histoire d'un coup de foudre que ni Emma ni Dexter ne veulent voir. Sous une apparente légèreté, le roman fouille à fond l'humain et la société ! Cette comédie pleine d'humour et de charme raconte le long chemin qui mènera Emma et Dexter l'un vers l'autre tout en pointant, l'air de rien, les grands thèmes de l'actualité britannique des vingt dernières années.

Le roman débute le 15 juillet 1988, à Saint-Swithin. Dexter Mayhew et Emma Morley ont passé ensemble la nuit qui a suivi la remise de leurs diplômes universitaires. La vie s'ouvre devant ces jeunes gens, 23 ans, qui se sont à peine vus durant leurs études. Se seraient-ils trouvés en ce dernier jour? Lui vient d'un milieu bourgeois ; il est sûr de lui, insouciant, frivole. Elle est d'origine modeste, bourrée de complexes et de convictions.

Que vont-ils en faire de cette vie qui les attend? David Nicholls a eu l'excellente idée de raconter leur histoire, non de manière linéaire, mais de 15 juillet en 15 juillet. Un rendez-vous annuel qui photographie les mois écoulés au moyen de procédés graphiques d'écriture variés: narration, dialogues, lettres, flash-back, points de vue d'autres personnages, répétitions volontaires de textes. Une belle trouvaille qui aiguise l'appétit de lecture.

Si Dexter entame son existence adulte par deux ans de vacances, Emma étanche sa passion pour le théâtre. Mais elle peine à trouver du travail et à subvenir à ses besoins. Les petits boulots, comme serveuse dans un restaurant tex-mex, seront pour elle avant de se lancer dans l'enseignement où elle rayonne. Ecrire des livres? Elle y pense plus qu'elle ne le pratique avant que ses choix de vie, faits parfois à reculons, ne lui en donnent l'occasion. Dexter de son côté, deviendra une star de la télé qui découvre les paillettes, avec tout ce que cela suppose: femmes, alcool, drogue… L'ascension, puis la descente…

Les années se succèdent sans que Dexter et Emma se perdent de vue. Ils se voient plus ou moins selon les moments, se chamaillent souvent, pensent en réalité bien plus l'un à l'autre qu'ils ne l'avouent. S'aimeraient-ils?

Comédie romantique, "Un jour" brosse aussi un vif portrait de l'Angleterre récente. "Le livre était une histoire d'amour au départ", me disait à sa sortie David Nicholls. "Mais je voulais aussi décrire l'ambiance de la fin des années 80. Je suis sorti de l'université en 1988, comme Dexter et Emma. Les temps étaient austères, rigoureux. Tout le monde était politisé. Puis, en quatre ou cinq ans, tout cela s'est évanoui. L'époque est devenue frivole. C'était très désorientant."

Bien entendu, le lecteur voit tout de suite le coup de foudre entre Dexter et Emma. Eux pas. David Nicholls s'explique: "J'ai voulu m'inscrire dans la grande tradition des écrits romantiques, où les promis s'aiment mais se querellent sans cesse. Cela a donné de grandes œuvres, dont "Beaucoup de bruit pour rien", de Shakespeare, qui m'émeut plus que "Le Roi Lear". J'aime beaucoup le moment où les querelles s'apaisent et où le couple comprend qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Le challenge d'écriture était d'autant plus intéressant que, dans la vie occidentale moderne, les gens peuvent se mettre ensemble comme ils veulent. Il n'y a plus d'obstacle comme avant: famille, parents, tradition, etc. Comment maintenir alors le suspense? Outre ceux de l'intrigue, j'ai placé des obstacles liés aux étapes par lesquelles passent les héros. Dexter à 23 ans est beaucoup trop frivole et immature pour comprendre qu'Emma est la personne qu'il lui faut. Emma à 25 ans est trop centrée sur ses problèmes pour s'ouvrir et aller vers ce que lui propose Dexter."

Serait-ce à dire q'un jour peut conditionner toute une vie? "Je suis sûr que oui. Il n'y a pas de jour qui n'ait d'influence sur le reste de notre vie. C'est le mot d'ordre du livre. Aucun jour de notre vie n'est ordinaire, banal, ou inutile. Dickens dit que si on enlève un jour, toute la chaîne de notre vie en est modifiée. C'est vrai pour moi. Quand je reviens en arrière sur ma vie, je m'aperçois qu'il y a eu à tel moment, une rencontre, un coup de téléphone, qui aurait pu modifier le cours de ma vie s'il ne s'était pas produit."

Bourré d'humour de tous les types, jusqu'au plus noir, ce roman séduit aussi par la finesse de sa construction, dont on ne s'aperçoit heureusement qu'à la toute fin du livre.

Les premières lignes
"Vendredi 15 juillet 1988
Rankeillor Street, Edimbourg
"Je crois que... ce qui compte, c'est de faire bouger les choses, dit-elle. D'arriver à les changer.
- Comment ça? Changer le monde, tu veux dire?
- Pas le monde tout entier, mais celui qui t'entoure... Si tu pouvais y changer quelque chose, ce serait déjà pas mal, non?"
Le jour allait bientôt se lever. Allongés l'un contre l'autre dans le petit lit, ils marquèrent un silence, puis se mirent à rire d'une voix rauque, cassée par leur longue nuit blanche."



Ainsi résonne l'écho infini des montagnes
Khaled Hosseini
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Valérie Bourgeois
10/18, 498 pages

Il était vraiment attendu il y a deux ans, le troisième roman de Khaled Hosseini, qui avait déjà réjoui des millions de lecteurs avec "Les cerfs-volants de Kaboul" (2005) et "Mille soleils splendides" (2007), des romans se déroulant entre l'Aghanistan et les Etats-Unis, en parallèle à l'itinéraire de l'auteur. Il est paru chez Belfond en 2013 et a été repris en 10/18 en 2014. Le revoilà sous de nouveaux atours.

Khaled Hosseini est en effet né à Kaboul, en 1965. Cadet de cinq enfants, fils d'un diplomate et d'une professeur de farsi et d'Histoire, il a passé son enfance en Iran, puis à Paris, déménageant au gré des affectations de son père fixées par le ministère des Affaires étrangères. En 1980, alors que l'Afghanistan est occupé par l’armée soviétique, les Hosseini obtiennent le droit d'asile aux Etats-Unis et s’installent à San Jose, en Californie. Après une licence de biologie et des études de médecine, Khaled Hosseini devient interne au Cedars-Sinai Medical Center de Los Angeles en 1996.

En 2001, parallèlement à la pratique de la médecine, il entame l'écriture de son premier roman, "Les cerfs-volants de Kaboul". Le livre sort en 2003 aux Etats-Unis et bénéficie d'un extraordinaire bouche à oreille. Traduit dans plus de 70 pays, vendu à plus de 15 millions d'exemplaires dans le monde, acclamé par la critique, il devient un phénomène international.  Dès sa sortie en 2007, son deuxième roman, "Mille soleils splendides", se classe aussi sur les listes des meilleures ventes aux États-Unis et en Europe.

Marié et père de deux enfants, Khaled Hosseini vit actuellement dans le nord de la Californie. En 2006, il a été nommé ambassadeur par l’UNHCR, l'agence internationale des Nations unies pour les réfugiés. Depuis, l'écrivain s'est investi dans de nombreuses causes humanitaires. A l'occasion d'un voyage en Afghanistan, en 2007, il a créé sa fondation personnelle, afin de venir en aide aux populations réfugiées afghanes. "En tant qu'originaire d'Afghanistan, pays où la population de réfugiés est l'une des plus importantes du monde, la question des réfugiés est une cause dont je me sens proche et qui est chère à mon cœur. Mon rôle est de parler au nom de cette cause et d'être l'avocat public des réfugiés du monde entier."

Après une attente de six ans, la parution du troisième roman de Khaled Hosseini, "Ainsi résonne l'écho infini des montagnes", a été mondialement saluée. Il nous conduit d'un village afghan des années 1950 à la Californie des années 2000, en passant par Kaboul sous les talibans, Paris durant des  seventies et une petite île perdue de l'archipel grec aujourd'hui. Cette fresque historico-familiale nous donne à  connaître les destins de Pari, petite fille de 3 ans vendue par son père veuf trop pauvre, et de son entourage, dont son frère de 10 ans, Abdullah, sous forme d'un roman choral bouleversant.

Après le lien père-fils dans "Les cerfs-volants de Kaboul", le destin des femmes afghanes dans "Mille soleils splendides", Khaled Hosseini prend comme fil rouge de "Ainsi résonne l'écho infini des montagnes" l'amour entre un frère et une sœur.


 Les premières lignes
"Bien. Vous voulez une histoire, je vais vous en raconter une. Mais seulement une. Inutile de m'en réclamer une autre ensuite. Il est tard et un long voyage nous attend demain, Pari et moi. Vous aurez besoin de dormir cette nuit. Oui, toi aussi, Abdullah. Je compte sur toi, mon garçon, pendant que ta sœur et moi nous serons partis. Tout comme ta mère. Bon, une histoire, donc. Ecoutez-moi, tous les deux. Ecoutez-moi bien et ne m'interrompez pas."





mercredi 23 décembre 2015

Dans ma hotte de mère Noël 2

Dans ma hotte rouge, encore plein de livres évidemment.
Après les albums en couleurs excellents (à lire ici), d'autres en noir et blanc pour toutes les tranches d'âge tout aussi réussis.
Oui en noir et blanc, comme le faisait déjà la photographe américaine Tana Hoban dans ses cartonnés à destination des bébés ("Noir sur blanc, Blanc sur noir" ou "Qui sont-ils? Qu'est-ce que c'est?", chez Kaléidoscope).
Sans oublier tous ceux que j'ai déjà présentés précédemment (à retrouver sous le libellé "jeunesse")

Vert j'espère


Voici l'histoire
Sara Donati
Rouergue, 40 pages

Bon d'accord, il y a un peu de rose et encore un peu plus de vert dans ce très délicat album au crayon noir, presque sans texte mais aux dessins magnifiques et éloquents. A chacun de se construire son histoire au départ des éléments fournis: une graine qui germe et donne une plante géante, un éléphant qui s'ennuie devant sa télé et sort de chez lui, Hydromel l'amateur de thé qui attend une improbable visite dans sa maison. Quelle éloquence et quelle douceur dans ces pages carrées célébrant simplement l'amitié tout en éparpillant une théière à pois dans différentes images. Une découverte. Dès 4 ans.


Le vertige du vide


Annette
Gabriel Schemoul et Grégory Elbaz
l'école des loisirs/Pastel, 40 pages

Annette vit avec son papa sur une île. Ce matin-là, elle aide le pêcheur à préparer ses filets. La barque paternelle s'éloigne et la fillette reste seule dans la brume. Elle en a l'habitude. Mais ce matin-là n'est pas pareil. Sa solitude lui pèse. Elle s'angoisse: quand son papa reviendra-t-il? Les images la saisissent dans ses expressions d'inquiétude et d'ennui. Son trouble ne nous gagnerait-il pas? Quand, soudain, son nom est prononcé d'une voix grave. Ouf! Papa est de retour. Le danger est passé, la fillette rassurée. L'île retrouve ses couleurs. Premier album jeunesse de deux auteurs-illustrateurs, Gabriel Schemoul étant passé au texte ici, laissant les illustrations à Grégory Elbaz, "Annette" saisit avec beaucoup de justesse et de délicatesse la crise d'angoisse de la fillette. Le modelé de ses traits, ses attitudes, ses expressions, ses regards lui donnent une réelle présence. Dès 5 ans.

Courses folles dans la neige


Par une journée d'hiver
Ruth Krauss et Marc Simont
traduit de l'américain par Isabelle Finkenstaedt
Kaléidoscope, 40 pages

Quelle bonne idée de rééditer cet album paru en français en 1991 mais sorti à New York en 1949. C'est l'hiver, il neige. Tous les animaux dorment, les souris des champs, les ours, les escargots, les écureuils, les marmottes. Les images nous les présentent durant leur sommeil, bien au chaud chacun à sa manière dans l'immensité blanche. Tout d'un coup, tous les animaux se réveillent. Ils reniflent l'air et les images nous les montrent de nouveau, chacun à leur tour. Maintenant, tous les animaux courent et les images nous font partager leurs courses folles. Vers quoi? Ils s'arrêtent. Ils rient. Ils dansent. Pourquoi? Le mystère est levé en dernière page de cet album délicieux, plein de joie et de vie. Dès 3 ans.


Le chat d'une enfance


J'veux pas oublier mon chat
Troubs
l'école des loisirs/Mille bulles, 80 pages

Une fois n'est pas coutume, une bande dessinée. Celle que Jean-Mac Troubet, dit Troubs, consacre à Skippy. Non pas un kangourou comme y ferait penser une série télévisée mais un chat noir. Le chat de son enfance. Son chat, doté d'une forte personnalité, aimé et aimant. Il nous le raconte au quotidien, avec son caractère indépendant, son amour des souris, des écureuils et surtout de la liberté. Il évoque aussi la relation que sa soeur et lui ont eu avec ce chat magnifique. Les dessins sont très plaisants et l'album (sorti en 2007 chez Max Milo) une merveille. Dès 7 ans.


Ségrégation raciale


Nina
Alice Brière-Haquet et Bruno Liance
Gallimard Jeunesse, 40 pages

L'auteur prend le prétexte de l'enfance de Nina Simone, immense interprète de jazz s'il en est, pour aborder la question de la cohabitation des Noirs et des Blancs aux Etats-Unis avant Martin Luther King. C'est une idée mais elle ne fonctionne pas tellement bien. Nina adulte raconte à sa petite Lisa qui ne trouve pas le sommeil le quotidien durant ses jeunes années. Le piano, avec ses touches blanches et ses touches noires, et le bus où les Noirs devaient céder leur place aux Blancs. L'église, où sa mère ne peut prendre place au premier rang. L'arrivée d'un pasteur noir et de sa célèbre phrase "I have a dream". Basé sur les oppositions balnc-noir, le projet est méritoire mais le ton du texte ne paraît assez juste pour lui donner toute sa force. Dès 5 ans.


Déjà douze Gorey traduits en français


L'enfant guigne
Edward Gorey
traduit de l'anglais par Oskar
Le Tripode, 72 pages

Merveille d'humour noir que cet album carré s'inspirant du roman de Frances H. Burnett "Princesse Sara: aventures d'une petite écolière anglaise", datant de 1888. Tout le monde se rappelle de l'histoire de cette petite fille riche, tombée dans la misère à la disparition tragique de son père. L'Américaine avait toutefois imaginé un happy end particulièrement lacrymogène à son récit. Bien entendu, Edward Gorey (1925-2000) ne la suit pas sur ce terrain-là. Son "Hapless Child" écrit en 1961, revu en 1989, qui nous parvient pour la première fois en français, aura une fin tragique, conformément à la personnalité de l'auteur (lire ici). C'est d'ailleurs ce qui fait le charme de cet album noir de noir superbement illustré. Un tout grand Gorey!



La vague déchaînée: ou l'imbroglio de la poupée noire
Edward Gorey
traduit de l'anglais par Oskar
Le Tripode, 72 pages

Savait-on que les "livres dont vous êtes le héros", en vogue dans les années 1980, n'avaient en réalité rien inventé? Edward Gorey utilisait déjà en 1961 dans cet album revu en 1987 ce procédé de questions au lecteur l'envoyant selon sa réponse à l'une ou l'autre page pour la suite de l’histoire. En format à l'italienne, le récit ici est complètement absurde, que l'on suive Skrump, le chien hyper poilu, Naeelah, la poupée sans visage, Hooglyboo au bras en écharpe ou Figbash, animal tout noir aux bras démesurés. La formule peut paraître déconcertante au début de la lecture mais dès qu'on se laisse prendre, on est cuit et on découvre la force surréaliste en Gorey. Et le plaisir de lecture qu'il nous procure.







mardi 22 décembre 2015

Dans ma hotte de mère Noël 1

Dans ma hotte rouge, plein de livres évidemment.
Des albums en couleurs pour toutes les tranches d'âge.
Demain, des albums en noir et blanc tout aussi excellents (à lire ici).
Sans oublier tous ceux que j'ai déjà présentés précédemment (à retrouver sous le libellé "jeunesse")


A tout seigneur, tout honneur


L'affreux moche Salétouflaire
et les Ouloums-Pims
Claude Ponti
l'école des loisirs, 48 pages

Le livre était fini avant l'été et pourtant il y règne un petit air de COP 21. Le monstre du titre, Salétouflaire, a arraché les rayons de soleil. Il a enterré les maisons de Paloum-Pîm et de Kobaloum-Pïm, les deux héros de ce superbe album qui ne se connaissent pas au début. Une obscurité qui ne les empêche pas d'avoir plein d'occupations que nous présentent les somptueux dessins, incroyables de détails. Mais voilà, même avec des Kreuzafons, des Zieutilles, des Baladons-Baladins, ils se sentent enfermés chez eux. Comme dans une prison. L'appel du dehors va les pousser hors de leurs intérieurs douillets et rudement bien équipés. Ils vont se rencontrer et vivre toute une série d'aventures et d'épreuves, afin de réparer les rayons du soleil. Ils vont découvrir l'amitié et même tomber amoureux, le tout devant le chat Panzé. Plans larges, plans serrés, personnages à fourrure typiques de Claude Ponti ou grands visages de bébés humains se découvrent dans ce très bel album tout en hauteur, à la fois limpide et énigmatique, plein d'éléments à débusquer et célébrant la chaleur de la rencontre. Dès 5 ans.


La vie doublement rose


Pomelo et l'incroyable trésor
Ramona Badescu et Benjamin Chaud
Albin Michel Jeunesse, 48 pages

Un lit d'algues ne vaut pas un potager, se dit Pomelo, le mini éléphant rose à trompe démesurée qui vit sous un pissenlit entre les légumes (lire ici)  en se réveillant près de la mer ce matin-là. Il a le cœur à marée basse. Pas longtemps. Dans ce douzième épisode de ses aventures, en bon format à l'italienne, il va découvrir l'amour, incroyable trésor, en la personne de Stela l'étoile de mer. "La vie est doublement rose", pour les amoureux, l'un rose, l'autre rouge-orangée, qui s'amusent sur la plage. Oui, mais Pomelo vient de la terre et Stela de la mer. Entre eux s'étend le miroir de la surface de l'eau... Chacun le traversera pour découvrir le jardin de l'autre et retrouver le sien, fraises et herbes d'un côté, anémones et algues de l'autre. Tout en étant aussi content d'être parfois seul dans le sien. Les amoureux en sont là quand débarque une autre étoile, rose, géante, venue du ciel, Mamamelo elle-même. Parfaitement conforme à la description qu'en avait faite Papamelo: "Une étoile qui brille dans le ciel..." Ce soutien maternel inattendu va l'ancrer dans ses impressions premières et faire de lui un compagnon attentif, joyeux et philosophe. "Que chacun apporte ses trésors pour faire encore et encore grandir l'incroyable trésor de cet instant". Notre Pomelo poète et amoureux a encore une fois les mots parfaitement justes. Dès 5 ans.


Nelson, le chien / Nelson, the Dog


Nelson, le coffret
Nelson, the Box
Martine Perrin
Les Grandes Personnes
4 livres cartonnés sous coffret

Un super coffret, joli comme tout et rigolo à fond, consacré à Nelson. L'amiral? Non / No, pour reprendre la formule des quatres petits livres bilingues qui racontent les aventures de ce petit chien noir fort malicieux. Nelson est un scottish terrier (ou terrier écossais si on se réfère à l'album suivant) terriblement sympathique. "Cent Nelson / One Hundred Nelsons" apprend à compter et à détailler une image. "Nelson & Cie / Nelson & Co" fait découvrir tous les amis du petit chien en autant de saynètes expressives. "Nelson, les contraires / Nelson, Opposites" aligne des doubles pages où les duos d'opposés composent des scènes savoureuses. "Nelson, les jeux / Nelson, Games" réunit jeux et devinettes pour jouer avec ce joyeux compagnon. Textes simples et illustrations superbement graphiques, le tout baigné d'humour, font un petit bijou de ce coffret aux quatre petits formats carrés. Dès 18 mois.


Popov, Nono, Micha, Alex, Kaki, Zaza, Jane, Omar, Pedro


Tout tout sur les toutous
Dorothée de Monfreid
l'école des loisirs
loulou & cie, 64 pages

L'album bien épais et de bon format est dédié à Richard Scarry (1919-1994). A raison! On y retrouve l'esprit du créateur américain, mais à la sauce française et moderne puisqu'il vient de sortir. Dorothée de Monfreid nous raconte les chiens par doubles pages. Autant d'enchantements, qu'elle nous en présente les races, la maison, le bain, les habits, la ville, l'école, etc., etc. En tout, trente thèmes entièrement habités par des toutous, qui ressemblent évidemment beaucoup à des humains. Les intentions des héros poilus sont toujours bonnes mais les résultats parfois surprenants. Heureusement, voir les bêtises des autres, c'est ce qu'on préfère. Et ça peut aussi donner des idées... Dès 3 ans.


Bretzel, un vrai méchant


Billy et le gros dur
Catharina Valckx
l'école des loisirs, 40 pages

Billy et son père, hamsters de leur état, ont un problème. A côté de chez eux s'est installé un bandit, un "gros dur". L'expression intrigue considérablement Billy le gentil qui s'en ouvre à son ami Jean-Claude, le ver de terre. Ils n'ont pas longtemps à attendre. Bretzel, un blaireau, passe devant eux, l'air mauvais. En effet! Il vole toutes les réserves de carottes des lapins, famille nombreuse comme il se doit. Billy et Jean-Claude concoctent un plan de récupération nocturne... qui leur permettra de rencontrer Poko, un perroquet qui connaît le point faible de Bretzel. Heureusement, car ce dernier les menace méchamment - il est un vrai méchant. Suspense et rebondissements rythment cette aventure très plaisante, illustrée de peintures qui s'inspirent de Munch dans les scènes de ciel. Dès 4 ans.


Où est le Grand Méchant Loup?


La chasse au loup
Sally Grindley et Peter Utton
traduit de l'anglais par Maurice Lomré
l'école des loisirs/Pastel
36 pages avec rabats

Dans la veine de leurs précédents et excellent albums animés qui interpellent les enfants lecteurs, "Chhht!" (1991) et "Ouste!" (2013, lire ici), les Britanniques Sally Grindley et Peter Utton mettent cette fois en scène l'idée originale d'une chasse au loup par des petits cochons! Histoire de ne pas se faire manger tout simplement. Rabats à soulever et questions directes ponctuent cette chasse peu courante qui fait bien entendu référence au conte classique. Impasses et fausses pistes pimentent l'aventure contée de façon vivante et illustrée avec humour et talent. Dès 4 ans.


Une course en pyjamarama



Les billes font la course
Michaël Leblond et Frédérique Bertrand
Rouergue, 24 pages tout carton et une grille

On a désormais pris l'habitude de découvrir chaque année un nouvel album en pyjamarama (images animées par le déplacement d'une grille transparente, lire ici). Après s'être promené à Paris, New York, ou au lunaparc grâce à cette technique magique, on va tout simplement jouer aux billes. Les bleues contre les rouges. Tout simplement? Non, bien sûr. Quand les billes déboulent, elles sont des centaines, sur leurs deux circuits qui se croisent et se recroisent, à tel point qu'on ne sait plus à un moment si on est sur la piste rouge ou sur la piste bleue. Tout s'est embrouillé et les mécaniciens sont bienvenus pour remettre chaque couleur à sa place. La course se poursuit de péripétie en péripétie, suivie par de nombreux spectateurs. Qui va gagner? Les rouges ou les bleues? Réponse dans ce très joyeux album pour les plus jeunes faisant largement concurrence aux circuits de petites voitures. Dès 3 ans.


Le premier samourai à peau noire


Yasuke
Frédéric Marais
Les fourmis rouges, 32 pages

Fidèle à sa technique graphique, extrêmement dépouillée et efficace, apposant ocre sombre de la terre et vert turquoise des ciels, opposant touches de blanc et noir très présent, Frédéric Marais nous conte en phrases courtes et bien rythmées une histoire vraie. Celle d'un jeune garçon né sans nom car esclave en Afrique qui deviendra, au XVIe siècle, le premier samouraï noir du Japon. Un rebelle, un pur, un dur, prêt à tout quitter pour avoir une vie d'homme. Il passera du Kilimandjaro au Mont Fuji, se fera remarquer et apprécier du seigneur de guerre local. Ses qualités lui vaudront de devenir samouraï et de recevoir un nom, celui de Kuru-san Yasuke. Fabuleux destin que celui de cet esclave venu par la mer d'Afrique au Japon (l'époque est aux grands voyages). Formidable récit initiatique basé sur une histoire vraie. Dès 6 ans.


Un texte de 1927 toujours actuel


Le Tigre qui voulait être roi
James Thurber et JooHee Toon
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Angèle Cambournac
Ed. Thierry Magnier, 40 pages

Ce conte animalier de James Thurber (1894-1961), euteur, illustrateur et éditorialistes du "New Yorke"r, donne envie d'en lire d'autres tant il est bien pensé et bien raconté. Il met en scène un tigre qui se réveille un matin avec l'envie absolue d'être le roi des animaux, de détrôner le lion. Par "besoin de changement"! Il va s'en suivre des combats terribles entre partisans de l'ancien et du nouveau, au point que la jungle sera dévastée. A la levée de la lune, tous les animaux sont morts à l'exception de deux oiseaux terrifiés et du tigre blessé. Moralité, dit ce livre qui cerne finement les mouvements des partisans, leurs avancées et leurs reculades: "Il n'est pas évident d'être le roi des animaux quand il n'y a plus d'animaux." Le sujet est très bien servi par les sérigraphies en rouge et vert, sur doubles pages dont une impressionnante fresque centrale qui se déplie en quatre panneaux. Ce conte animalier n'a pas pris une ride, au contraire, hélas. Pour tous, dès 5 ans.


La beauté du quotidien


La vie des gens
François Morel et Martin Jarrie
Les fourmis rouges, 44 pages

Nouvelle couverture pour le passage en format rétréci (comme le prix) et très sympathique aussi car plus intime de ce magnifique album sorti initialement en 2013. Rappelons-en l'origine. L'année précédente, Martin Jarrie demanda à quinze habitants de la banlieue parisienne de lui envoyer un objet qui leur était cher. Il le dessina, comme l'habitant, et envoya ces paires à François Morel. A charge pour ce dernier de rédiger des textes portraits à la première personne. Seule règle: la liberté pour l'auteur et pour l'illustrateur de tout réinventer. Voilà donc les vies de Paulette, Kader, Elsa, Michel, Marie-Claire, Antoine, Christine, Arnaud, Mathilde, Jean-Pierre, Assia, Violaine, Maurice, Maria et Bernard. Quelle présence ont ces hommes et ces femmes de papier! Ils composent un formidable kaléidoscope de la société, ils mélangent le quotidien et les grandes idées, les questions, les réflexions et les confidences. C'est prenant comme tout, surtout quand on s'amuse à faire des allers-retours entre textes et dessins. Des vies minuscules? Non, des vies. La mienne, la vôtre. Pour tous, dès 12 ans.





lundi 21 décembre 2015

Une grossesse, trois perspectives

La période de l'Avent n'est-elle pas idéale pour célébrer une grossesse? Voilà trois livres qui l'ont choisie pour thème, un journal de bord, un livre de photos et un pop-up. Trois réussites, chacune dans son genre, dont deux écrites par un futur papa.

Journal de bord

On connaît bien le nom de Julien Blanc-Gras. Le journaliste amateur de voyages est notamment l'auteur de "Paradis (avant liquidation)" (Au diable vauvert, 2013, Livre de poche, 2015), grand succès public et critique. Il avait débuté en littérature avec "Gringoland" (Au diable vauvert, 2005, Pocket, 2007), lauréat en 2005 du festival du premier roman de Chambéry. Ensuite étaient sortis "Comment devenir un dieu vivant" (Au diable vauvert, 2008, Livre de poche, 2015), "Touriste" (Au diable vauvert, 2011, Livre de poche, 2013).

Toujours, Julien Blanc-Gras pose son regard curieux mais amusé sur les choses et sur la vie. Il se montre critique mais bienveillant. Son dernier ouvrage nous propose aussi un voyage. Un voyage de neuf mois, la grossesse de son épouse. "In utero" (Au diable vauvert, 192 pages) est un très joli récit, peu conventionnel, sur cette période unique d'un couple, composé comme un récit de voyage. D'autant plus intéressant qu'élément rare en littérature, c'est un homme qui tient le journal de la grossesse. En même temps que le ventre de son épouse s'arrondit , l'auteur aborde tous les sujets qui viennent à son esprit de futur père, et bien entendu de mari ayant envie de bien faire tout en ayant un regard objectif à propos du quotidien. C'est extrêmement plaisant à lire, pour la forme et pour le fond, que l'on soit parent ou futur parent ou pas. Et la formule du récit de voyage fonctionne à merveille dans cette aventure aussi intime qu'universelle.


Livre de photos


Neuf mois après leur rencontre, l'apnéiste franco-japonaise Leina Sato et le photographe belge Jean-Marie Guislain apprennent qu'ils attendent un enfant. Un autre terme de neuf mois qu'ils célèbrent en même temps que leur combat pour la défense de la planète dans un superbe livre de photos, "L'enfant de l'océan" (Les Arènes, 120 pages). On y voit la maman durant les quatre derniers mois de sa grossesse dans son élément, l'eau, entourée de ses compagnons habituels, dauphins, baleines, requins sauvages. Si au fil des semaines, le ventre de la plongeuse s'arrondit, les photos sont toujours aussi époustouflantes d'harmonie et de beauté.

Le couple s'est rendu successivement à Rurutu, en Polynésie française, pour écouter le chant des baleines, puis aux Bahamas, à l'île Maurice et enfin à Hawaï, pour nager au milieu des cachalots et des dauphins. Deux espèces à sonar, "machine à échographier" capable de détecter la présence d’un fœtus.

En marge des nombreuses photos, le journal de cette grossesse et de cette aventure photographique, jusqu'au final de toute beauté, la naissance de la petite Nai'a, cette "petite étoile" qui a fait tant de rencontres aquatiques quand elle était dans le ventre de sa maman.

Pop-up


Il faut bien chercher pour trouver le nom du créateur de l'époustouflant pop-up qu'est "9 mois" (Albin Michel Jeunesse, 22 pages animées). On le trouve en dos de couverture de ce petit format à l'italienne et il s'agit du Français Jean-Marc Fiess, photographe passionné de pop-ups, déjà auteur de "L'ABC 5 langues" (même éditeur).

En neuf tableaux dont un décomposé en trois saisons, il égrène les neuf mois de l'attente d'un enfant et célèbre son arrivée. Autant de scènes concrètes, sobres et de toute beauté, qui symbolisent les sentiments variés qui animent l'adulte qui va devenir parent. "Affronter la vague", "embrasser les nuages", "construire un nouveau monde", "ne plus avoir peur du loup", "se sentir perdu", "chercher un nom", "t'imaginer", "t'attendre", "ouvrir les yeux", tout est dit, magnifiquement, ressenti avec sincérité, offert avec générosité.

Les scènes qui se dressent en papiers découpés et très savamment agencés quand on tourne les pages sont autant de trésors, suscitant le rêve et la réflexion. On va d'élément en élément, mer, ciel, terre, forêt, univers, ville, maison, jardin, jusqu'au berceau occupé au-dessus duquel s'élève un mobile reprenant les éléments déjà entraperçus. "9 mois" est époustouflant de beauté et de profondeur devant cette magie renouvelée qu'est l'arrivée d'un enfant. Une véritable déclaration d'amour en trois dimensions.

Ici, une vidéo qui montre mieux que des photos les éléments mobiles de ce merveilleux album pop-up qu'est "9 mois".







jeudi 17 décembre 2015

Noël Noël Noël Noël Noël Noël Noël Noël Noël

Noël, thème obligé? Pourquoi pas si les histoires sont belles.
Noël, c'est la preuve par neuf pour moi en 2015.
Sans oublier les publications des années précédentes sur le thème,
à lire ici et ici.

Optimiste


L'arbre de Noël
Delia Huddy
illustrations d'Emily Sutton
traduit de l'anglais par Ilona Meyer
Editions des Eléphants, 40 pages

Et si la magie de Noël était de chanter dehors tous ensemble, jeunes et vieux, riches et pauvres, le soir du réveillon, devant un pauvre petit sapin tordu qui est devenu le compagnon d'un petit garçon pauvre? La foule est immense et l'émotion sensible dans ce très bel album au graphisme à l'ancienne, entièrement composé de doubles pages - et qui vient d'Angleterre, on y roule à gauche. Une magie qui ne s'arrête pas à cette soirée exceptionnelle mais se prolongera des années durant par un nouvel enchaînement de faits: le pauvre petit arbre de Noël est replanté dans un jardin public par un balayeur à la main verte et y grandit dans la joie qu'il offre à  ceux qu'il abrite. Une merveille que cet album qui évoque aussi la pauvreté sans misérabilisme. A partir de 5 ans.

L'histoire de Noël d'un petit sapin tout tordu. (c) Ed. des Éléphants.

 

Etoilé


Lolotte et le coffre à jouets
Clothilde Delacroix
l'école des loisirs
loulou & cie

La décoration du sapin avance bien. Il ne manque plus que l'étoile qui le couronnera. Pas de chance, c'est Nin-Nin qui l'a. Lolotte, Cocotte et Crocotte se lancent dans une folle poursuite derrière le lapin blanc qui a filé dans le coffre à jouets. Très profond ce dernier, curieusement profond même. Les trois poursuivantes vont en utiliser tous les trésors, patins, blocs, canard, déguisements, etc. pour tenter de récupérer la précieuse décoration. Fantaisie et imagination dans cette aventure pleine de couleurs et de surprises. Pour les tout-petits.

Nin-Nin disparaît dans un coffre très profond. (c) edl/loulou.

 

Immaculé


Le Noël blanc de Chloé
André Marois
illustrations d'Alain Pilon
Grasset Jeunesse, 56 pages

Parce que Chloé, petite fille intrépide de Québec, s'inquiète que son Noël soit sans neige - comment le traîneau du Père Noël pourrait-il arriver et apporter ses cadeaux? -, elle décide d'aller chercher elle-même la neige nécessaire. La voici partie nuitamment, en secret et seule, à bord d'une montgolfière... Heureusement que des animaux blancs, harfangs des neiges dans le ciel et ours au sol, vont constamment venir en aide à la demoiselle vêtue de rouge durant son expédition. Cet album très réussi nous présente une Chloé résolue, met sur le même plan des éléments réalistes comme le transport de la neige et d'autres imaginaires comme les remerciements du Père Noël. Le tout dans une langue plaisante et des images en aplats sobres mais expressives dans leur simplicité. On suit les péripéties du voyage avec d'autant plus d'intérêt qu'il nous faudrait bien quelques Chloés cette année pour amener la neige dans nos contrées en ce 24 décembre.  A partir de 4 ans.

Chloé reçoit l'aide des ours blancs. (c) Grasset-Jeunesse.


Farce


Pas de cadeau à Noël?
Alex Sanders
l'école des loisirs
loulou & Cie

Un cartonné joyeux et sympa mettant en scène un curieux visiteur qui ressemble au Père Noël mais vient bien trop tôt! Il aurait même des caractéristiques rappelant un conte célèbre... Ouiiii, c'est le loup, venu chercher les enfants pas sages! Mais il été reconnu par ses victimes convoitées et solidement "enguirlandé" par le Père Noël lui-même. Un album-farce pour les plus jeunes. Dès 2 ans.


Alphabétique


Dictionnaire du Père Noël
Grégoire Solotareff
Gallimard Jeunesse, 352 pages

"C'est dans les vieux pots..." l'expression se vérifie même quand il s'agit du Père Noël. Voici donc la quatrième édition de ce génial dictionnaire, déjà vendu à 65.000 exemplaires depuis sa sortie en 1991. Ne boudons pas notre plaisir. Il paraît cette fois sous forme  brochée mais agrandie et sous coffret. On s'amuse toujours autant devant cet album imprimé en rouge donnant la définition illustrée d'un tas de mots en rapport avec le Père Noël. De l'"abeille" ("les abeilles du Père Noël ne fabriquent pas de miel mais des bonbons") au "zèbre" ("le zèbre du Père Noël est un zèbre ordinaire, mais au lieu des lignes noires, il a des lignes rouges et il n'existe pas") en passant par la "fille" du vieil homme ("Heureusement, le Père Noël n'a pas de fille; on sait comment il l'habillerait et elle risquerait de se faire manger par le loup"), le lecteur fait la connaissance de l'univers du vieil homme.

Quand les rennes se déguisent. (c) Gallimard Jeunesse.
La classe du Père Noël aux lutins. (c) Gallimard Jeunesse.
Il apprend, entre autres, pourquoi le Père Noël n'a pas d'enfants, de quelle couleur est sa "bicyclette", combien il a de paires de "bottes", comment il fait la "classe" aux lutins, cette cohorte de moustachus qui savent faire un tas de choses dont danser. Il découvre aussi que les rennes du Père Noël se "déguisent" parfois en sapins et que ça leur va bien, que le Père Noël se pose lui aussi de grandes questions existentielles (a-t-il bien fait de choisir ce métier?), ou qu'il est triste de ne pas être violoniste (son nez le gêne quand il saisit son archet).

Plaisanteries et histoires incroyables - qui sont arrivées "pour de vrai" - s'enchaînent en une ronde endiablée. L'humour, parfois grinçant, de Solotareff veut avant tout prouver que le Père Noël existe. Ce que les adultes savent bien, même si les drôles de questions des enfants les font parfois douter. Les illustrations fixent en quelques coups de pinceau les attitudes des personnages. Si elles privilégient le beau rouge franc des vêtements du Père Noël et de ses lutins, elles ne négligent pas pour autant le bleu, profond comme la nuit, ou le jaune, doré comme le soleil. Autant de tonalités chaudes qui servent bien les définitions, drôles et tendres, des mots proposés. A noter que chaque lettre de l'alphabet est l'occasion d'une blague de l'homme à l'habit rouge. Pour tous dès 6 ans.


Chaud brûlant


Mimi et le dragon des montagnes
Michael Morpurgo
illustrations de Helen Stephens
traduit de l'anglais par Karine Chaunac
Gallimard Jeunesse, 48 pages

Toujours en petit cartonné carré, voilà la quatrième histoire de Noël que nous conte Michael Morpurgo (après "La trêve de Noël"," La nuit du berger" et "Le prince amoureux"). Sa forme en fait un hommage aux veillées d'autrefois, quand on se réunissait pour écouter un conteur. Cette année, ce sera le petit Michael qui évoquera l'histoire de Mimi, la petite paysanne qui a remplacé par la paix la guerre que se livraient les villageois et le dragon de la montagne. La "Tambourinade du dragon des montagnes" est organisée chaque année la veille de Noël dans le village suisse où a grandi le jeune narrateur. Le lendemain soir a lieu une autre cérémonie qui s'achève par le tirage au sort du conteur de l'année. Michael, qui nous livre son récit...

Mimi part rendre le bébé dragon à sa maman. (c) Gallimard.

Je laisse Michael Morpurgo le raconter en détail, bien soutenu par les illustrations de Helen Stephens. En voici le résumé. Partie chercher des bûches le soir de Noël, la petite Mimi trouve un bébé dragon dans la réserve de bois. Bigre! En secret, elle va d'abord s'en occuper puis essayer de ramener l'animal tout vert à sa mère, en haut de la montagne. Le chemin est difficile mais l'équipée positive. Sauf qu'une avalanche se déclenche et engloutit tout le village réuni à l'église pour la veillée de Noël. Mimi ne peut l'admettre. La dragonne va lui venir en aide et sauver tout le village dont la statue principale est un grand ours brun. Elle va tout simplement faire fondre la neige. Bien sûr, quelques maisons garderont des traces de brûlures. Mais qu'est-ce, par rapport à la vie? Le récit est prenant de bout en bout, idéal pour une veillée de 24 décembre. Pour tous, à partir de 7 ans.


Classique


Un Noël d'enfant au Pays de Galles
Dylan Thomas
illustrations de Peter Bailey
traduit de l'anglais par Lili Sztajn
Gallimard Jeunesse, 80 pages

Dylan Thomas (Swansea 1914 - New York, 1953), poète du Pays de Galles inspiré, brillant et lyrique, a fait découvrir ce texte, écrit en 1950, en le lisant lui-même à la radio. Lui-même avait commencé très tôt à écrire de la poésie: dans le journal de son école.

Le chat fixe le feu. (c) Gallimard Jeunesse.
Dans cette histoire de Noël, il se souvient des Noëls de son enfance et nous les raconte de son style particulier. Le narrateur est un jeune garçon. Il est en compagnie de Jim, le fils de Madame Prothero, dans le jardin de laquelle ils se trouvent, équipés de boules de neige préparées pour attaquer les chats. Ces dernières vont s'avérer bien utiles pour combattre le feu annoncé dans la maison. Faut-il appeler les pompiers en cette veille de Noël alors qu'on ne sait pas clairement ce qui brûle? La chute est plaisante et surprenante et mène à d'autres histoires distillées avec autant de talent, de piquant (les boissons de la Tante Hannah)  et d'imagination (qui a déjà vu des hippopotames en Pays de Galles?), et illustrées de manière charmante. Ce livre est un classique en Grande-Bretagne. A partir de 10 ans.


Morcelé


Le livre puzzle 
de Gabriel le lutin de Noël
Antoon Krings
Gallimard Jeunesse Giboulées

Huit double pages comportant autant de puzzles de douze pièces dont les belles images proviennent des "Drôles de Petites Bêtes". De brefs textes en rapport avec l'ambiance de Noël. Dès 3 ans.



Chantant


Mes chants de Noël
Gallimard Jeunesse
Mes petits imagiers sonores

Et puisque Gabriel le lutin invitait ci-dessus à chanter Noël, faisons-le avec cet imagier sonore proposant six chants à écouter (pile fournie) et six images, assez moyennes, à regarder. "Petit Papa Noël", "Mon beau sapin" et "Douce nuit" bien sûr mais aussi "Noël russe", "Vive le vent" et "Une fleur m'a dit". Pour les bébés.

Pour se mettre dans l'ambiance, une chanson à écouter ici.
.