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lundi 19 décembre 2016

Oscar Lalo, primo-romancier de l'indicible

Il était une fois un avocat qui habitait Genève. Il quitta ensuite le barreau suisse et exerça divers métiers, prof de droit, auteur de chansons, de scénarios de films, auteur-compositeur-interprète. Toujours en rapport avec l'écriture, qu'elle soit juridique ou artistique. Histoire de se "forger la plume".

Car aujourd'hui, cet ex-avocat, Oscar Lalo, est entré en littérature avec un magnifique premier roman, pudique et éloquent, "Les contes défaits" (Belfond, 218 pages), sorti à la rentrée littéraire et pas assez remarqué. La faute au titre, peu clair, aride? La faute à l'obscur incipit de quatre pages qui embrouille le lecteur s'il ne le chasse pas? Ce début de texte n'apporte rien au livre et peut se sauter sans crainte. Car il serait dommage de passer à côté de cette pépite littéraire.

Le mieux de commencer à la première partie, "Le train". "Le home", "Le puzzle" et "Le coma" sont les titres des trois autres. Quatre mots qui donnent une idée de ce qui va suivre. Le livre parle en effet avec pudeur d'un sujet douloureux, celui d'un enfant abusé très jeune dans un home où il passait toutes ses vacances. Avec son frère mais loin de ses parents. Oscar Lalo le raconte sans pathos, sans rien montrer du crime répété qu'on devine avec horreur. Il suit pas à pas l'histoire du narrateur, ce gamin si seul. Des pas d'enfant, qui nous valent les 79 brefs chapitres que compte l'ensemble, adroitement mis en pages. De cette enfance martyrisée presqu'à l'insu du petit garçon à la prise de conscience qu'il en fera l'âge venant, à 65 ans. "J'ai essayé d'écrire de façon pudique et poétique ce qui ne peut pas se dire", me dit l'auteur, de passage à Bruxelles.

Ce n'est pas un sujet drôle, non, mais il est porté par une si belle plume que le texte paraîtra cathartique aux uns et partagera une douleur tue car non comprise aux autres. "Comment libérer la parole,  dire l’indicible?", s'est questionné l'auteur. Il l'a fait, nous menant aux côtés de ce gamin qui est incapable de grandir autrement que physiquement, blessé à jamais par un adulte qui avait autorité sur lui. Ce qui est superbe ici, c'est qu'on comprend pourquoi l'enfant ne dit rien. Il n'a tout simplement pas les mots pour s'exprimer et sans doute personne à qui les confier.

Oscar Lalo.
Sept questions à Oscar Lalo

Comment s'est porté votre choix sur ce thème difficile?
Il est lié à mon premier métier d'avocat, et à la première affaire que j'ai eue à traiter en tant qu'avocat stagiaire. C'était un viol sur mineur. Quel baptême! Tout m'a marqué dans cette affaire. Les faits eux-mêmes mais aussi l'impossibilité pour l'enfant de mettre des mots sur ce qu'il avait subi, et l'appareillage judiciaire. Aujourd’hui, si je devais remettre la robe, je ferais uniquement du pénal.

Romancier n'est pas votre premier métier.
Jusqu'à présent, je me cachais derrière ma plume, prêtée à la justice, aux étudiants, aux acteurs, aux réalisateurs. J'écrivais un produit qui allait être transformé. Pour la première fois, avec ce premier roman, j'ai créé un produit brut. Curieusement, depuis qu'il est publié, je sais que je suis écrivain. Ce sont les lecteurs du livre qui m'ont rendu écrivain. Depuis, je ressens une utilité sociale que je n'éprouvais pas, paradoxalement, quand j'étais avocat.

Comment s'est écrit ce premier roman?
D'une traite. Quand il m'a pris, il ne m'a plus lâché. Il me fallait tous mes dix doigts. L'écriture a été éreintante et j'en suis sorti exsangue. Quand je me couchais, exténué, le livre me reprenait comme un geôlier. Cela a été une mise en abyme. Etait-ce moi qui écrivais ou le livre qui s’écrivait tout seul? A un moment, le narrateur a pris la main.

Votre livre se compose de quatre parties et de très brefs chapitres, souvent d'une seule page.
Les quatre parties suivent une progression chronologique, sauf la troisième qui donne le regard d'un adulte. Le livre est sur la mémoire et la résilience. Toute personne qui a subi un trauma dans sa vie le porte tant qu'elle ne le résout pas. Même si elle invente des rustines pour ne pas l'affronter.
Je voulais écrire sur la façon dont on se réapproprie sa propre enfance pour la mettre à sa juste place. Mon personnage attend ses 65 ans pour le faire. Tant qu'on ne l'a pas fait, chaque fois qu'on y pense, le trauma revient. On ne se rend pas compte qu'on est assigné au silence par un faux ami.
J'ai écrit de petits chapitres car tout devait être ciselé, sans pathos. Il fallait que cela ne déborde pas.
La mise en pages comporte beaucoup de blancs pour que  le lecteur puisse respirer. Et aussi parce que le narrateur est un enfant, que ses mots ont de la peine à sortir.

Vous semblez connaître des enfants abusés.
Mon expérience m'a appris à repérer avec plus d'acuité les enfants abusés. Plus ils sont jeunes, plus c'est compliqué. Il leur faut trouver l'accès à cette mémoire en gruyère, pleine de trous, se la réapproprier. Que l'enfant ait trois ans ou six ans, l'abus touche à l'innocence absolue. J'ai voulu faire un livre sur l'indicible. On a du mal à parler quand on est dans ce cas. Pour un enfant petit, l'abus est inexplicable. Plus le trauma est grand, plus il est difficile à verbaliser.

Avez-vous eu des réactions de lecteurs?
J'ai vécu des moments très forts avec mes lecteurs, et pas seulement avec des lecteurs qui ont été abusés enfants. Ils me disent que c'est un livre cathartique. "Je me comprends mieux", m'a dit l'un d'eux. Pour les enfants, il est difficile de mettre les morceaux du puzzle dans l'ordre.

Allez-vous continuer à écrire?
J'ai un deuxième livre en chantier. On part totalement ailleurs. Il était important pour moi de l'écrire et de l'écrire assez vite après le premier. "Les contes défaits" véhicule beaucoup d'émotion. J'y ai mis beaucoup de moi.


Pour lire un extrait des "Contes défaits", c'est ici.


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