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mardi 4 avril 2017

Wolf Erlbruch, lauréat du Prix Astrid Lindgren

Wolf Erlbruch.

Ce mardi 4 avril 2017, durant la Foire internationale du livre pour enfants de Bologne, a été dévoilé le nom du quinzième lauréat du Prix Astrid Lindgren (Astrid Lindgren Memorial Award, 5 millions de couronnes suédoises soit environ 570.000 euros). Il s'agit de l'auteur-illustrateur allemand Wolf Erlbruch, déjà lauréat en 2006 du Prix Andersen décerné par l'IBBY et de plusieurs prix à la même Foire du livre pour enfants de Bologne.


Le jury de l'ALMA dit de lui:
"Wolf Erlbruch met les questions essentielles de la vie à la portée des lecteurs de tous âges. Avec un humour et une chaleur profondément ancrée dans les idéaux humanistes, son travail présente l'univers à notre échelle. Maîtrisant parfaitement son art, il s’appuie sur une longue tradition graphique, tout en ouvrant de nouvelles perspectives. Wolf Erlbruch est un visionnaire appliqué."

Astrid Lindgren.
(c) Stig A Nilsson.
"Oh! Astrid, I love you!", s'est exclamé le nouveau lauréat à l'annonce de son prix.
"Elle ne me connaissait pas mais je la connaissais depuis longtemps à travers ses livres, que j'aime pour leur humour et leur finesse.  Elle a un humour universel, un genre d'humour que tout le monde peut apprécier.  Je n'ai jamais imaginé que je recevrais ce prix mais maintenant je sais que c'est vrai. J'en suis toujours sous le choc et je le serai encore quelque temps. Mais c'est magnifique!"

Né le 30 juin 1948 à Wuppertal, Wolf Erlbruch a fait des études artistiques à l'Ecole Folkwang de Création Artistique d'Essen-Werden. A partir de 1974, il a travaillé comme illustrateur pour des magazines comme "Stern" et "Esquire" puis est devenu enseignant jusqu'en 2009. Il a été professeur d'illustration et de dessin dans des institutions telles que l'Université de Wuppertal, où il vit toujours. Il a fait ses débuts en littérature jeunesse en 1985 en illustrant "Der Adler, der nicht fliegen wollte" (L'aigle qui ne volerait pas), de James Aggrey.

Il est l'auteur d'une dizaine d'albums pour enfants en tant qu'auteur-illustrateur et d'une cinquantaine en tant qu'illustrateur.

Chez nous, on le limite souvent à tort au livre "De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête" (texte de Werner Holzwarth, Milan, 1993), son premier titre traduit en français, la découverte désopilante de toutes les façons de faire des crottes, lauréat du prix Bernard Versele une chouette en 1995. Dire que ce fut un succès mondial est un euphémisme.


"La petite taupe".
"Le canard et la mort".
Mais Wolf Erlbruch maîtrise aussi d'autres registres littéraires, plus philosophiques, plus poétiques.
Si, quand il a été reconnu, les éditeurs francophones se le sont arrachés, ce graphiste hors pair n'a pas renoncé aux livres pour enfants quand, en 1990, il est devenu professeur d'université. Il a signé plusieurs titres très intéressants chez Milan, notamment l'attachant "Remue-ménage chez madame K" (traduit de l'allemand par Etienne Schelstraete et Gérard Moncomble, 1996), "Moi, papa ours?" (1993) ou "L'ogresse en pleurs" (avec un texte de Valérie Dayre, 1996).





Wolf Erlbruch, publié également abondamment par l'éditeur suisse La Joie de lire allie une très grande exigence, une immense fantaisie, une sobriété et une lisibilité exemplaires.

La preuve aussi dans "Léonard" (Etre éditions, 2002), un album parvenu au lectorat francophone douze ans après sa création. Léonard est un petit garçon qui voudrait être un chien. Les images le montrent dans ces situations. Motif de ce souhait: le gamin est terrorisé par les chiens. Tous les chiens, les grands et les petits.Une fée transforme le héros en un molosse affectueux, marron et blanc. Les parents, d'abord surpris, acceptent le changement. Mais Léonard n'est pas au bout de ses peines: lors de sa première promenade en laisse, il aperçoit un enfant et découvre aussitôt que les petits garçons le terrorisent! Une finale en douceur amènera Léonard à apprendre à vivre avec ce qu'il est.

Album nécessaire, "La grande question" (Etre éditions, 2003, réédité aux Editions Thierry Magnier en 2012) est celle qui ne sera jamais écrite ici noir sur blanc, même si elle est universelle: pourquoi suis-je sur terre? A chacun de se faire son opinion, en examinant les 21 réponses (frère, chat, pilote, grand-mère, mais aussi le chiffre 3, un soldat, la mort et d'autres) apportées à l'enfant qui traverse ce livre né en français. Tout le goût pour la réflexion et toute l'imagination de Wolf Erlbruch apparaissent dans cet album accessible, aussi sobre que riche. Une économie de moyens dans le texte comme dans les images - superbes - renvoie chaque lecteur à lui-même tout en l'accompagnant dans son questionnement.

"L'atelier des papillons", de Gioconda Belli et Wolf Erlbruch, est né en 1994 avant d'arriver aux Editions Etre en 2003. Un groupe d'artistes y est chargé par la Vénérable, une divinité féminine bienveillante, de créer le monde. En respectant certaines limites: ne pas mêler règnes animal et végétal lors de la création d'une nouvelle espèce. Comment contourner "honnêtement" le règlement? C'est le défi que relève Rodolphe, créateur émancipé. Un superbe récit qui se lit d'une traite et s'enrichit des illustrations très inspirées de Wolf Erlbruch.

"Le nouvel abécédaire", de Karel Philipp Moritz et Wolf Erlbruch (Etre Editions, 2003), n'a de nouveau que le nom. Car il existait déjà en version illustrée en 1790. Erlbruch s'est inspiré du manuel initial pour le refaire à sa mode. Un travail tout simplement époustouflant. Les 25 étapes dans l'alphabet (les lettres I et J sont confondues) proposent un cheminement initiatique à penser. En partant des cinq sens, l'auteur élargit la perception du lecteur au monde puis à la pensée pure. Philosophie et imagination sont au rendez-vous de cet album où l'ordre initial des notules allemandes a été conservé lors de la traduction. Une idée rare et lumineuse qui évite les inutiles contorsions de vocabulaire et met en lumière la pensée et l'ouverture d'esprit de ce pédagogue avant-gardiste. A la fois ludique et (im)pertinent, cet album inclassable ne se prend pas au sérieux, tout en prenant la petite enfance terriblement au sérieux.

Dans "Un paradis pour Petit Ours" écrit par le Hollandais Dolf Verroen (Milan, 2003), Erlbruch campe des illustrations aux fonds dépouillés où dessins et collages se mêlent avec force et justesse. Petit Ours est terriblement triste: son grand-père est parti, selon maman, au ciel, là où tous les ours sont heureux. Il veut y aller aussi. Seule solution pour une logique enfantine: mourir. Débrouillard, Petit Ours fait le tour de ses voisins. Mais le crocodile refuse de le dévorer, la girafe, de l'avaler, le renard accepte de le manger accompagné de pommes de terre, le tigre est repu, le chacal dégoûté... Une tournée ratée, superbement mise en images, dont la dernière, au bleu uniforme si apaisant, qui laisse le temps au héros de découvrir que le ciel peut aussi exister sur la terre.

Est-ce parce qu'il est séparé de l'oratorio de Haydn qu'il devait accompagner que "Moi, Dieu et la création" (Rouergue, 2003), écrit par le Flamand Bart Moeyaert et illustré par Erlbruch, paraît un peu creux? Tout démarre pourtant bien, au commencement où il n'y a que Dieu et le narrateur - même pas de mamans -, le graphisme est très réussi, mais le texte s'allonge à s'en perdre dans une création réinventée.

Comment parler de la mort aux enfants? La question taraude souvent les adultes et trouve des réponses justes dans des albums pour enfants à mille lieues du livre-médicament. Comme "Le canard, la mort et la tulipe", de Wolf Erlbruch (traduit de l'allemand par Danièle Ball, La joie de lire, 2007), qui aborde le sujet avec beaucoup de finesse et de sensibilité. Car la mort, c'est la vie et la vie, c'est la mort. "Je suis dans les parages depuis que tu es né", déclare cette dernière au canard qui s'inquiète de sa présence. Dépouillé à l'extrême dans les illustrations, très sobre dans le texte, ce somptueux album fait état de la rencontre de la mort et du canard, de leurs dialogues, de leurs apprivoisements, jusqu'à l'inéluctable fin, vécue avec sérénité. Sur un sujet grave, Wolf Erlbruch a réalisé un album majeur et simple.



Les lauréats ALMA précédents

2016 Meg Rosoff (lire ici)
2015 Praesa (lire ici)
2014 Barbro Lindgren (lire ici)
2013 Isol
2012 Guus Kuijer (lire ici)
2011 Shaun Tan
2010 Kitty Crowther
2009 Tamer Institute
2008 Sonya Hartnett
2007 Banco del Libro
2006 Katherine Paterson
2005 Philip Pullman et Ryôji Arai
2004 Lydia Bojunga
2003 Maurice Sendak et Christine Nöstlinger

Ce n'est pas pour rien que le Astrid Lindgren Memorial Award est aujourd'hui considéré comme l'équivalent jeunesse du prix Nobel de littérature, détrônant les prix Andersen de l'IBBY de cette appellation. Il est le prix en littérature de jeunesse le plus important au monde.








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