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lundi 27 novembre 2017

Une belle histoire de l'oncle Jean-Michel

Jean-Michel Guenassia.

Il est arrivé dans le petit monde de la littérature avec un premier roman, une brique, à l'âge de 59 ans. Bon, il avait publié un autre livre avant, un "petit polar", mais il préfère l'oublier. Son "Club des incorrigibles optimistes" (Albin Michel, 768 pages, 2009) avait tout de suite été remarqué. Il avait même figuré dans la sélection du prix Goncourt de l'année "Mais c'était un livre trop positif, pas assez sombre, pour être primé", analyse Jean-Michel Guenassia, raconteur d'histoires d'exception - les lycéens du Goncourt opteront toutefois pour lui.

Ont suivi ce véritable phénomène d'édition en France et dans le monde, "La vie rêvée d'Ernesto G." (Albin Michel, 544 pages, 2012), "Trompe-la-mort" (Albin Michel, 400 pages, 2015), "La Valse des arbres et du ciel" (Albin Michel, 2016). Un million d'exemplaires en tout quand même.




Pour son cinquième roman, "De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles" (Albin Michel, 331 pages),  Jean-Michel Guenassia change de registre. Il quitte l'Histoire avec son grand H et sa grande hache pour suivre Paul, un grand ado, un presque adulte. Surtout, un personnage androgyne qui cherche sa voie dans une existence peu commune dont les chapitres sont conduits par cinq chansons: "Con te partirò", "In the Mood for Love", "Puisque tu pars", "Heroes" et "Papa was a Rolling Stone".

Bizarre? Pas du tout. Pas plus que le titre en tout cas qui ne prend toute sa signification qu'une fois le roman refermé. "De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles" est un roman passionnant, qui captive jusqu'au bout et conduit en mille lieux insoupçonnés. Une histoire pleine de rebondissements, tenant diablement bien la route et convoquant  à l'occasion divers éléments d'actualité, la question des migrants, le trafic de drogue ou la garde à vue. "J'aime bien qu'il y ait des rebondissements dans mes romans parce que j'aime qu'il y en ait dans les romans que je lis", explique Jean-Michel Guenassia, de passage à Bruxelles. "Je suis un raconteur d’histoires."

On y suit Paul, 17 ans, fils unique de Lena qui vit en couple depuis douze ans avec Stella. Paul, dont l'apparence est autant celle d'une fille que d'un garçon. Paul qui a l'oreille absolue et s'interroge sur lui-même et sur son père inconnu. "Mon personnage fait un coming-out à l'envers", analyse l'écrivain. "Tous les codes sont renversés." Paul, résolument hétéro, est attiré par les filles et prêt à tout pour se faire remarquer d'elles.  Une colonne vertébrale qui devient accessoire tant s'y greffent de florissantes branches.

Le personnage de Paul n'est pas né d'hier. "Il y a environ dix ans", se souvient Jean-Michel Guenassia, "je me suis retrouvé dans le métro parisien face à une personne jeune, très belle, de 18-20 ans, dont j'étais incapable de dire si c'était un homme ou une femme. Ce fut très troublant pour moi. Si je suis convaincu d'être hétérosexuel, j'éprouvais de l'attirance pour cette personne. Mais si elle était un homme? Je n'ai jamais su. J'ai longtemps conservé ce cœur émotionnel et je l'ai placé au cœur de mon roman."

"De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles" est un roman palpitant qui vous mène constamment là où vous n'imaginiez pas aller. Lié par le sang à Lena, par le cœur à Stella, Paul nous entraîne dans son amour de la musique en général et du piano en particulier, nous introduit dans un univers réservé aux lesbiennes, que ce soit un studio de tatouage, un restaurant branché foot certains soirs ou des clubs ultra-mode. Il nous ouvre son cœur d'artichaut en recherche de l'âme-sœur, nous dévoile le job de client-mystère, nous fait passer du rire aux larmes, nous présente une cohorte de personnages incroyablement attachants. Dont David Bowie évidemment (le concert de Werchter en Belgique en 1997). L'ensemble paraît rocambolesque mais s'avère parfaitement maîtrisé. Difficile à résumer de peur de gâcher les surprises de la lecture. On se cogne, on s'embrasse, on s'engueule, on se réconcilie, on se cherche. On s'aime pour finir. Et le lecteur, la lectrice?, se lave la tête avec ce roman positif.


Cinq questions à Jean-Michel Guenassia

Comment avez-vous construit ce cinquième roman?
J'avais dès le début l'essentiel de l'intrigue ainsi que les personnages. Et j'ai commencé ce roman, comme tous les précédents, par la fin. J'ai délibérément choisi d'alterner entre romans sur l'Histoire et romans plus contemporains. J'essaie d'attraper la vie entre les personnages.
Ce livre emporte le lecteur dans son histoire.
Je suis partisan du roman narratif. L'autofiction, ce n'est pas pour moi. Le sujet est borderline avec le risque d'être glauque. Mon narrateur a 17 ans. C'est un ado, pas sérieux. Il y a des drames mais des éclats de rire aussi. Je me rapproche de la comédie italienne, des Dino Risi, Ettore Scola, etc. Avec cette tonalité où on balance du pathétique au rire.
Il devient rare aujourd'hui de voir un livre positif.
On est gouverné par l'esprit de sérieux. Il écrase tout aujourd'hui. Il n'y a qu’à voir les romans primés cette année. J'ai eu une relation amicale avec Jorge Semprun qui a toujours dit avoir été sauvé de Buchenwald par le rire.
Comment arrivez-vous à la fluidité de votre écriture?
Je travaille énormément. Les gens n'ont aucune idée de la quantité de travail que ce roman a représenté. Je travaille tout le temps, tous les jours quand je peux et j'en suis ravi. Le style doit être au service du roman. C'est parce que je le reprends vingt fois que j'arrive à la fluidité. Je travaille par séquences que je retravaille jusqu'à ce que je ne puisse plus retravailler. Alors je passe à la suivante. C'est en retravaillant que des idées me viennent pour la suite.
Vous vous mettez au défi?
Je change de registre pour changer et par défi personnel. Je me documente et j’imagine. Le fait d'entrer dans la réalité donne de la vie. Les détails du quotidien crédibilisent les personnages comme les anecdotes. Chaque roman est différent. Ici, il est à la première personne, le nouveau sera à la troisième et cela change tout. Il y a une plus grande proximité dans la première personne mais il est impossible de dire certaines choses. Dans le nouveau, il y aura aussi un narrateur en voix off qui raconte et commente.

On peut lire le début de "De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles" en ligne ici.








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