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lundi 29 janvier 2018

Décès de l'éditeur et auteur Jean-Claude Lattès

Jean-Claude Lattès.

On a appris par un tweet de Bernard Pivot ce dimanche le décès de l'éditeur Jean-Claude Lattès, survenu  à Paris le samedi 27 janvier, à l'âge de 76 ans. Il était né le 3 septembre 1941 à Nice. Avant de devenir éditeur, il avait exercé d'autres métiers, journaliste ("Combat", "Candide", "L'Express", "Les Nouvelles littéraires", "L'Observateur"), attaché de presse (Pierre Belfond, Robert Laffont).

Si Jean-Claude Lattès avait quitté le milieu de l'édition en 1991, à l'âge de 50 ans, pour sérieuses divergences avec Hachette qui avait repris sa maison en 1981, son nom y restait fortement attaché. D'abord parce qu'une maison porte toujours son nom. Ensuite parce qu'il a publié des auteurs qui ont marqué la littérature. Des prix Nobel et des écrivains de talent. Des best-sellers aussi. Il était fier des uns comme des autres, tout en étant lui-même un fin lettré.

 En 1968, Lattès crée Édition Spéciale avec Jacques Lanzmann chez Robert Laffont. Leur premier titre, "Ce n'est qu’un début", de Philippe Labro, sur les événements du mois de mai 1968, est un best-seller. En 1972, il se lance en solo avec les Editions Jean-Claude Lattès. Les "Tarzan" d'Edgar Rice Burroughs sauvent le lancement. Puis viennent les succès, "Un sac de billes" de Joseph Joffo, les livres de Patrick Cauvin, "Louisiane" de Maurice Denuzière, "Le nabab" d'Irène Frain, "Léon l'Africain" d'Amin Maalouf, "Le vent du soir" et d'autres de Jean d'Ormesson, Françoise Xénakis, Jacques Lanzmann, Naguib Mahfouz...

Les Editions JC Lattès sont toujours aujourd'hui un fleuron du groupe Hachette. Elles publient des auteurs français dont certains connaissent de grands succès comme Delphine de Vigan ou Grégoire Delacourt, et bon nombre de best-sellers internationaux comme les "Da Vinci Code", de Dan Brown, les différents tomes de "Cinquante nuances de Grey", d'E.L. James. Mais aussi des documents, des essais.


Depuis sa retraite en Provence, l'ex-éditeur écrivait des romans historiques, en duo ou en solo.

J'avais eu le plaisir de rencontrer Jean-Claude Lattès à Bruxelles il y a cinq ans, à la sortie de son dernier roman, "Le dernier roi des Juifs" (NiL, 2012), une passionnante biographie de Marcus Julius Agrippa. Le passionné d'Antiquité entend y rendre justice à un "oublié de l'Histoire" selon ses mots, Agrippa, le dernier roi des Juifs. Si le petit-fils d'Hérode vécut il y a deux mille ans, à lire Jean-Claude Lattès, on pourrait le croire notre contemporain.

Drôle d'idée que ce sujet, pourrait-on penser. Il suffit pourtant de se lancer dans les premières pages pour ne plus lâcher ce récit passionnant, documenté, superbement écrit et qui nous renvoie inlassablement à notre actualité. Rien n'aurait donc changé? Diplomatie, conquêtes, complots, assassinats, prises de pouvoir, mariages arrangés se succèdent à bon rythme en même temps que Rome, Alexandrie et Jérusalem résonnent des bruits des fêtes et des sons du quotidien. Pour se rendre de l'une à l’autre cité, on prend le bateau. Trois semaines de navigation et on est à bon port. Un roman qui fait le lien entre le passé et le présent.

Six questions à Jean-Claude Lattès
Il est frappant de constater la proximité entre ce que vous racontez, qui s'est déroulé dans l'Antiquité, et notre monde.
Les hommes sont éternels. Ce qui change, ce sont les échelles de valeurs. Ce qui était important à une époque ne l'est plus après. Cela vaut autant pour l'amour que pour la haine. C'est l'enseignement qu'on peut avoir de l'Histoire: se rappeler qu'on est des hommes et des femmes.
Comment se fait-il qu'on ait "oublié" ce roi?
On a oublié les hommes de l'Histoire, on a gardé seulement un certain nombre de faits. Certains ne retiennent que Jésus, les Juifs ne retiennent que la chute du Temple. On oublie ce qui s'est passé à côté et dans le reste du monde. On a négligé pour des raisons idéologiques ce roi à la jeunesse dissipée, sans aucun sens moral. On a gardé le courage des Juifs qui se sont révoltés contre Rome. Mais on peut être révolté et idiot. Les Romains n'étaient pas des nazis, ils respectaient les croyances des autres, mais ils se croyaient supérieurs. L'alliance avec Rome était aussi indispensable. Avec dix-neuf siècles de recul, on dit qu'Agrippa est un collabo. Le christianisme a effacé le judaïsme. À cette période, les Juifs d'Alexandrie veulent avoir la culture grecque.
Juifs et Romains ont donc cohabité.
Les Juifs ont eu de nombreux bénéfices grâce aux Romains, la paix, la sécurité, l'infrastructure, mais ces derniers pillaient leurs richesses. Sa double appartenance a nui à Agrippa mais il est parvenu à emmener beaucoup de gens derrière lui. Il avait du charisme et a su en faire bénéficier son peuple.
D'où vous vient votre passion pour l'Antiquité?
Elle m'a toujours habité surtout depuis que j'ai quitté le métier de l'édition. C'est aussi l'héritage des philosophes grecs et de la Bible que j'ai étudiés. Les rapports entre l'Orient et l'Occident, la raison et le mystique, m'ont toujours passionné. On est les enfants de cela, ici en Europe. L'intelligence du côté grec est d'’une clarté absolue. Ils ont inventé le mot "pathos".
C'était une époque terrible.
Oui, mais on peut faire le parallèle avec l'époque stalinienne et d'autres dictateurs. Toute tête qui dépasse doit être coupée. Fidel Castro a nettoyé tout son entourage. Dès le moment où l'homme devient un tyran, détient le pouvoir absolu, cela devient inéluctable. Les philosophes ont cru qu'ils allaient éclairer les tyrans. Ils n'y sont pas arrivés.
Il est beaucoup question de religion dans votre livre aussi.
Quand il s'agit de religion, rien n'a changé. Des hommes répandent la terreur. Ils ne voient pas où est l'enjeu. L'extrémisme religieux, la folie religieuse fonctionnent toujours. Un individu peut réussir par son charisme, son intelligence, sa prudence. Agrippa a été un roi caméléon mais il a réussi. Il a eu l'intelligence d'apporter la paix, d'être Juif avec les Juifs, Grec avec les Grecs.


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