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mardi 30 janvier 2018

"Orpheline de deux mères vivantes"

Donatella Di Pietrantonio.

Il faut quelques pages pour comprendre ce que veut dire le titre de ce magnifique roman venu d'Italie, né sous la plume de Donatella  Di Pietrantonio, "La Revenue" (traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Seuil, 237 pages). Et pourtant le mot est parfait. Il s'applique à la narratrice de ce livre bouleversant, une jeune fille de treize ans qui apprend le jour où elle est rendue à sa famille biologique qu'elle avait été adoptée peu après sa naissance! Pour sa vraie mère, elle est la "Revenue".

Le roman a reçu l'important Prix SuperCampiello 2017 en Italie. Il est le troisième roman de l'écrivaine, née en 1963 dans un petit village des Abruzzes, également dentiste pour enfants, mais le premier publié en français. Quelle chance pour nous que cette traduction.

"La Revenue" nous plonge immédiatement au cœur de son sujet. Le roman se déroule dans l'Italie du milieu des années 1970.
En voici le premier chapitre.
"A treize ans, je ne connaissais plus mon autre mère.
Je grimpais non sans mal l'escalier de chez elle avec une valise encombrante et un sac bourré de chaussures. Sur le palier m'ont accueillie une odeur de friture récente et une attente. La porte refusait de s'ouvrir. A l'intérieur, quelqu'un la secouait sans rien dire et s'affairait autour de la serrure. J'ai regardé une araignée se démener dans le vide, pendue à l'extrémité de son fil.
Après le déclic métallique, une gamine dont les nattes lâches dataient de plusieurs jours est apparue. C'était ma sœur, je ne l'avais jamais vue. Elle a écarté le battant pour me permettre d'entrer, ses yeux perçants pointés sur moi. Nous nous ressemblions à l'époque, plus qu'à l'âge adulte."

Quelques lignes, et tout est en place. On va suivre cette enfant de la ville, fille unique d'une famille aisée et moderne, choyée, protégée, obligée de plonger dans sa famille de sang, nombreuse, une sœur et quatre frères de tous les âges, pauvre, vivant à la campagne, brutale souvent, parlant un dialecte qu'elle ne comprend pas, dont la débrouille est le maître mot. Une situation inouïe, inimaginable quelques semaines auparavant, inédite pour l'enfant chouchoutée.

Mille questions se posent à elle, pourquoi a-t-elle été adoptée, pourquoi ne l'a-t-elle pas su, pourquoi a-t-elle été rendue, pourquoi sa première mère est-elle malade, pourquoi son premier père ne lui a-t-il rien dit, qu'est devenue son amie d'école Lidia, pourquoi ne peut-elle pas rendre visite ou téléphoner à ses premiers parents, pourquoi ses vrais parents ne sont-ils pas plus aimables avec elle, pourquoi la vie de pauvre est-elle si différente... Un tourbillon, une tornade dont on elle ne sait comment s'en sortir, on la comprend.

Après avoir perdu brutalement sa première vie, la narratrice va devoir s'en construire seule une seconde. Elle a toutefois la chance de pouvoir compter sur sa petite sœur Adriana, plus jeune mais tellement plus mûre qu'elle, qui l'aide et la soutient au quotidien malgré toutes leurs différences, et aussi sur son grand frère Vincenzo. Pas étonnant que la "Revenue" s'estime "orpheline de deux mères vivantes" et qu'elle ne sache plus qui elle est ni où elle en est.

Donatella Di Pietrantonio maîtrise admirablement son récit. Elle ne se contente pas de dire délicatement la détresse de son héroïne, de brosser un tableau de ces deux familles, elle glisse aussi en filigrane une très belle représentation de l'amour maternel qui peut être fort et soutenant au-delà des apparences, la "Revenue" en fera l'expérience.

Magnifique portrait d'adolescente, à la fois intime et universel, ce roman d'apprentissage entraîne son lecteur à sa suite, dans une Italie pleine de soleil et de joie de vivre, le bouleverse et le marque profondément. Voilà un texte rare et précieux qui sonde les sentiments et les émotions, ne juge pas, révèle la part sombre et la part lumineuse de chacun, quitte à ce qu'elles ne soient pas là où on les imagine. La "Revenue" ne dit-elle pas à un moment "Le faux se révélait plus plausible que la réalité"? Une lecture incontournable en ce début d'année.

Pour lire le début de "La Revenue", c'est ici.



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